Menu

Dialogue sur les droits de la personne en Ontario

Le Code des droits de la personne de l'Ontario et le travail de la Commission ontarienne des droits de la personne : un formidable héritage nécessitant d’être examiné et révisé en temps opportune

Thomas H.B. Symons, C.C., O.Ont, FRSC, LL.D., D.Litt., D.U., D.Cn.L., FRGS, KSS – Président, Fiducie du patrimoine ontarien

En tant que président de la Fiducie du patrimoine ontarien et ancien président de la Commission ontarienne des droits de la personne, c’est pour moi un immense plaisir de participer aujourd’hui à ce dialogue sur les droits de la personne en Ontario.

Je suis particulièrement heureux de revenir sur les circonstances et processus qui ont conduit à la publication du rapport de 1977 de la Commission ontarienne des droits de la personne, intitulé Life Together. Comme vous le savez certainement, ce rapport s’est soldé par une révision importante du Code des droits de la personne de l’Ontario tel qu’il existait alors et par de nombreux changements dans les objectifs et le fonctionnement de la Commission. Je pense que l’étude de la procédure suivie dans le cadre de cet examen est susceptible de nous apprendre bien des choses. Ces enseignements pourront nous servir à enclencher dès aujourd’hui les changements et autres réformes indispensables au Code, ainsi qu’à redéfinir les priorités et le fonctionnement de la Commission pour être en phase avec les conditions actuelles.

Le Code des droits de la personne de l’Ontario est entré en vigueur le 15 juin 1962. C’était le premier au Canada et, à vrai dire, le premier en Amérique du Nord; l’un des premiers au monde, en fait. Douze ans plus tard, la Commission ontarienne des droits de la personne, responsable de l’administration du Code, était réformée pour devenir un organisme public constitué de simples citoyens. La Commission avait alors déjà instruit, réglé, rejeté ou transmis plus de 69 000 plaintes et demandes de renseignements. Lorsque j’ai été nommé à sa présidence, en février 1975, la Commission recevait environ 1 000 plaintes et demandes de renseignements par mois.

Durant l’exercice financier 1975-1976, la Commission a reçu près de 500 plaintes auxquelles elle a tenté de répondre en dépit du fait que le Code ne prévoyait pas de mandat statutaire permettant d’enquêter et de concilier efficacement. Ces plaintes émanaient notamment des personnes célibataires et divorcées qui se voyaient refuser des logements, des personnes ayant une déficience physique qui se voyaient refuser des emplois pour lesquels elles étaient qualifiées, et des personnes licenciées arbitrairement en raison de leur orientation sexuelle. En outre, tout portait à croire qu’un grand nombre de personnes ne prenaient même pas la peine de porter plainte auprès de la Commission puisqu’elles savaient que leur situation ne serait pas couverte par le cadre de référence du Code de l’époque.

Durant cette période, les conditions sociales ont évolué très rapidement en Ontario. Les incidents liés à la discrimination raciale se sont multipliés, y compris des cas de racisme intentionnel tels que les messages téléphoniques haineux, la dégradation d’un temple sikh à Toronto et la profanation de cimetières juifs. Les affaires associées aux droits de la personne portées devant la Province sont devenues de plus en plus nombreuses et de plus en plus complexes.

Après 12 ans d’existence, il était temps d’examiner de près le rôle de la Commission pour voir si elle pouvait couvrir d’autres domaines de service, si les dispositions législatives régissant ses activités devaient être actualisées ou s’il existait d’autres méthodes ou approches susceptibles d’améliorer son action. Tandis que l’Ontario continuait de se développer et d’évoluer, il est devenu évident qu’il fallait absolument que les droits de la personne des habitants de la province soient redéfinis et élargis pour veiller à ce que la vie en Ontario reste placée sous le signe de l’entente mutuelle et du respect de la dignité de chaque personne.

La tâche n’a pas toujours été facile, et elle n’a pas toujours été populaire. D’aucuns en Ontario se contentaient très bien du statu quo et se sont sentis menacés lorsqu’on a laissé entendre qu’il était nécessaire de répondre aux besoins changeants en matière de droits de la personne dans la province. En effet, il y avait manifestement beaucoup de personnes qui n’appréciaient pas le Code et la Commission, et les désapprouvaient. Certains sont allés jusqu’à menacer par écrit, verbalement ou physiquement les commissaires, y compris le président, chez eux ou sur leur lieu de travail. Des membres de la Commission ont reçu de la dynamite dans leur boîte aux lettres et des briques à travers leurs fenêtres. Ma femme et moi avons été réveillés une nuit dans notre domicile de Peterborough par une bande de motards venus de Toronto pour manifester leur mépris à l’égard du Code et de la Commission en défonçant notre porte d’entrée à coups de pied avant de se soulager dans le vestibule.

D’autres émettaient des réserves plus philosophiques à l’égard du concept fondamental des droits de la personne, estimant que leur expansion au sein de la province allait entraver leurs libertés individuelles, que le droit de la personne le plus important de tous était celui d’être laissé tranquille. Cependant, les commissaires et quantité d’autres personnes dans la province estimaient quant à eux que si la collectivité n’était pas libre de prospérer dans la paix et l’harmonie, la liberté de l’individu qui vivait en son sein ne pouvait en aucun cas être garantie, et qu’un acte de discrimination constituait « une déchirure dans le tissu qui unit la société ». Pour nombre d’infortunés, le droit d’être laissés tranquilles équivalait au droit d’être laissés pour compte, de faire l’objet de discrimination et d’être défavorisés.

C’est dans ce contexte que la Commission ontarienne des droits de la personne s’est lancée dans la première révision à grande échelle du Code des droits de la personne de l’Ontario depuis sa promulgation en 1962. La pleine participation de la population ontarienne a été sollicitée à chaque étape de l’examen. Comme nous ne disposions pas des médias sociaux à l’époque, des annonces ont été publiées dans chaque quotidien et chaque hebdomadaire de la province, et 17 audiences publiques ont été organisées d’un bout à l’autre de la province entre mai et septembre 1976.

Le rôle principal des commissaires et du personnel lors de ces réunions était de faciliter le débat et, avant tout, d’écouter. De cette façon, les gens se sont sentis directement associés au processus d’élaboration des mesures législatives qui allaient affecter leur vie et façonner leur collectivité. L’une des réunions, celle de Kitchener, a attiré 250 personnes et duré plus de quatre heures. Ces réunions ont suscité des discussions publiques sur les droits de la personne qui étaient inédites jusqu’alors. La Commission a également reçu plus de 300 mémoires écrits en provenance des quatre coins de l’Ontario, qui ont grandement contribué au processus d’examen.

Les commissaires eux-mêmes ont pris leur rôle très au sérieux et l’étude des ébauches de Life Together s’est accompagnée d’un débat vigoureux et approfondi, et a toujours reposé sur le principe qu’en tant que réponse législative à un consensus communautaire, le rapport devait adopter un style accessible. L’approche n’était pas descendante; au contraire, elle était illuminée par le rôle accordé au public.

The entire process took just over two years and the resulting report, Life Together, was released in July 1977. The report made 97 specific recommendations and provided a detailed proposal for a new Human Rights Code. It called for the allocation of greater resources for research, public education and community outreach, to enable the Commission to get out in front of issues, and to defuse potentially explosive situations before they became crises.

Le processus complet a duré un peu plus de deux ans et le rapport qui s’en est suivi, Life Together, a été publié en juillet 1977. Il formulait 97 recommandations précises et renfermait un projet détaillé de nouveau Code des droits de la personne. Il proposait une plus grande allocation des ressources à la recherche, à la sensibilisation du public et à la liaison communautaire, pour permettre à la Commission d’anticiper les problèmes et de désamorcer les situations potentiellement explosives avant qu’elles ne se muent en crises.

Progressiste, le rapport recommandait également d’inclure le casier judiciaire, le handicap et l’orientation sexuelle parmi les causes de discrimination; d’ajouter une instruction obligatoire sur les droits de la personne à tous les programmes de formation policière; d’assujettir le gouvernement de l’Ontario et tous ses organismes au Code des droits de la personne de l’Ontario; et d’intégrer au nouveau Code une disposition donnant aux « catégories de personnes » aussi bien qu’aux personnes le droit de déposer une plainte.

En tant que commissaires, nous avions conscience que nous repoussions les limites et que nos recommandations ne seraient pas toutes bien reçues d’emblée. À titre d’exemple, le quotidien national du Canada a condamné le rapport, décrivant ses recommandations comme 97 façons de gaspiller les deniers publics. Cependant, parallèlement à la mise en œuvre progressive de presque toutes les recommandations dans les années qui suivent, ce quotidien en a accueilli bon nombre avec un éditorial favorable, oubliant sa propre réaction négative initiale.

Par ailleurs, nous étions bien conscients qu’en étoffant trop le Code, nous courions un vrai risque : celui que la loi oblige la Commission à gérer les plaintes au titre d’un si grand nombre de catégories de discrimination qu’elle aurait éventuellement pu se trouver dans l’incapacité de traiter efficacement ne serait-ce que les domaines posant les problèmes les plus graves. Il s’agissait d’un processus complexe et délicat, mais fondé sur l’obligation vis-à-vis du peuple ontarien de veiller à ce que ses préoccupations à l’égard des droits de la personne soient comprises et reflétées dans le rapport et, au final, dans le Code lui-même.

Comme l’a exprimé l’honorable juge Rosalie Abella, Life Together constituait « probablement le remaniement le plus profond des droits de la personne depuis l’avènement des commissions des droits de la personne dans ce pays », et il a débouché sur une vision nouvelle et plus inclusive des droits de la personne en Ontario. Au fil de la mise en œuvre progressive des recommandations dans les décennies qui ont suivi, le Code et la Commission ontarienne des droits de la personne ont adopté l’approche moderne, inclusive et active des droits de la personne qui est aujourd’hui la leur.

Tout cela ne s’est pas produit dans un vide politique. Il convient de noter qu’à l’époque, la Province a eu la chance que ses dirigeants politiques transcendent les limites des partis pour partager une profonde inquiétude quant à l’état des droits de la personne et coopérer afin de répondre aux questions soulevées par le rapport. Permettez-moi de saisir cette occasion de le reconnaître et de les remercier : le premier ministre William Davis, le chef de l’opposition Robert Nixon et le chef du Nouveau Parti démocratique Stephen Lewis.

D’autres instances, comme les provinces du Québec et de l’Alberta, ont également rapidement pris des mesures visant à mettre en œuvre certaines des recommandations du rapport, et Washington et le reste du Commonwealth lui ont témoigné un vif intérêt.

Toutefois, le respect du public à l’égard des droits de la personne ne peut en aucun cas être tenu pour acquis. Le « climat de compréhension et de respect mutuel » ne va pas continuer de se propager et d’évoluer de son propre chef. Il nécessite un entretien minutieux et constant passant par la sensibilisation du public et une action législative ininterrompue. De ce point de vue, le travail de la Commission n’est jamais véritablement terminé, mais s’inscrit plutôt dans un processus permanent de réponse aux changements sociétaux et aux exigences du public, afin de veiller à ce que la protection des droits de la personne demeure une composante pertinente et importante de la structure de cette province. La tâche est aussi passionnante qu’elle est exigeante, et je tiens à vous féliciter toutes et tous pour votre rôle actif.

Les droits de la personne forment une part essentielle de notre patrimoine canadien commun. Ils constituent un héritage que nous avons reçu et que nous nous devons de transmettre et d’enrichir au fil du temps. Il faut concevoir les droits de la personne comme un mode de vie, une façon d’être, revenant à adopter naturellement des habitudes de respect et de considération mutuels. En tant que Canadiens et Canadiennes, et que membres de la collectivité, nous ne devrions avoir de cesse que cela ne soit une réalité.

La 97e et dernière recommandation du rapport était peut-être la plus importante : il s’agissait de soumettre périodiquement le Code des droits de la personne de l’Ontario à un examen approfondi et complet afin de garantir son efficacité pour faire face aux problèmes nouveaux et changeants en matière de droits de la personne.

Life Together a été publié en 1977. Trente-cinq années se sont donc écoulées depuis le dernier examen public complet de l’état des droits de la personne en Ontario. Puis-je respectueusement suggérer qu’il est temps d’en entreprendre un autre?

Je vous remercie.