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Le lieu de sépulture de l'église baptiste de Niagara

Le 28 avril 2022, la Fiducie du patrimoine ontarien a dévoilé, à Toronto, une nouvelle plaque provinciale commémorant le lieu de sépulture de l’église baptiste de Niagara. L’ancienne plaque a en effet été mise à jour dans le cadre des efforts déployés actuellement par la Fiducie pour raconter les histoires de l’Ontario de manière honnête, authentique et inclusive.

Voici le texte de la plaque bilingue :

LIEU DE SÉPULTURE DE L'ÉGLISE BAPTISTE DE NIAGARA

    La congrégation de l'église baptiste de Niagara est établie en 1829. Un temple est construit en ce lieu en 1831 grâce aux efforts de John Oakley, un ancien soldat britannique blanc devenu enseignant et pasteur. Au départ, la paroisse est principalement composée de colons, avec quelques membres noirs. La population noire de la ville de Niagara passe alors à une centaine de personnes en raison de l'afflux d'anciens esclaves en quête de liberté après l'adoption par la Grande-Bretagne de la loi sur l'abolition de l'esclavage de 1833 et de la loi sur les esclaves fugitifs de 1850 par les États-Unis. À la fin des années 1840, les fidèles de l'église sont majoritairement noirs et, de 1849 à 1856, l'église est présidée par le pasteur baptiste noir Francis Lacy. L'enclos paroissial compte au moins 15 sépultures, dont celles de Herbert Holmes et de Jacob Green, tous deux tués lors de l'affaire Solomon Moseby, qui s'est déroulée à la prison de Niagara en 1837. Herbert Holmes et Jacob Green faisaient partie des membres de la communauté de Niagara qui ont empêché que Solomon Moseby ne retourne à sa condition d'esclave aux États-Unis. Dans les années 1860, la population diminue et l'église finit par fermer en 1878. Ce lieu de sépulture témoigne de l'existence de l'église et de l'importante communauté noire de Niagara.

NIAGARA BAPTIST CHURCH BURIAL GROUND

    The Niagara Baptist Church congregation was established in 1829. A meeting house was erected at this site in 1831 through the efforts of John Oakley, a white former British soldier turned teacher and minister. Initially, the church congregation mainly consisted of colonists, with a small number of Black members. The Black population of the Town of Niagara grew to about 100 due to the influx of freedom seekers after Britain passed the 1833 Slavery Abolition Act and the United States enacted the Fugitive Slave Act of 1850. By the late 1840s, the church’s membership was predominantly Black and from 1849-56 was led by Black Baptist minister Francis Lacy. There are at least 15 burials in the churchyard, including Herbert Holmes and Jacob Green, who were killed in the Solomon Moseby Affair that took place at the Niagara jail in 1837. Holmes and Green were among Niagara community members who prevented Moseby from being returned to slavery in the United States. After the 1860s, the population declined, and the church closed in 1878. The burial ground is a reminder of the church and the significant Black community in Niagara.

Historique

La présence d’une communauté noire dans la région de Niagara remonte au début des années 1780. À l’époque, la plupart des personnes noires y sont amenées de force comme esclaves, avec l’arrivée des loyalistes en Amérique du Nord britannique après la révolution américaine. Au moins 81 hommes, femmes et enfants noirs sont ainsi asservis jusqu’aux années 1820 ou 1830, principalement à Newark (devenue ville de Niagara après 1798 et aujourd’hui Niagara-on-the-Lake).1 Au début du XIXe siècle, la population noire est également composée d’hommes et de femmes libres, parmi lesquels des loyalistes noirs qui ont gagné leur liberté en servant dans l’armée britannique pendant la révolution américaine ainsi que d’anciens esclaves qui ont fui les États-Unis en quête de liberté. Au fil du temps, les descendants de ces groupes font partie des citoyens noirs.

À l’origine, la ville de Niagara est une base militaire britannique et une colonie temporaire offrant un refuge aux loyalistes en fuite pendant la guerre d’indépendance américaine.2 À la suite de la défaite britannique, elle devient une colonie permanente et la communauté coloniale s’agrandit. Les colons y établissent leur propriété et construisent des infrastructures communautaires, au nombre desquelles des établissements religieux. Les premiers offices religieux ont souvent lieu dans les maisons ou les granges des fidèles, jusqu’à ce que ces derniers puissent récolter suffisamment d’argent pour acheter un terrain et y bâtir une église. L’église presbytérienne St. Andrew’s et l’église anglicane St. Mark’s sont les premières églises à compter de larges congrégations. La confession baptiste est également introduite par les colons dans les années 1780.

À la fin des années 1820, le nombre de baptistes à Niagara a augmenté et, sous la direction du pasteur John Oakley, les fidèles cherchent à ériger un lieu de culte. En juillet 1830, un appel aux dons est publié dans le Niagara Gleaner par les administrateurs de l’église baptiste pour solliciter des fonds permettant la construction d’un lieu de réunion.3 Les administrateurs désignés sont John Oakley, Robert B. Groat (libraire) et James Pickard (tailleur), tous colons européens. Ce même mois, ils publient également un appel d’offres à destination des entrepreneurs pour la construction de l’église d’ici au mois de novembre.4 John Oakley, d’origine anglaise, est le premier pasteur de cet église. Arrivé à Niagara comme soldat, il est stationné à Fort George et occupe le poste de quartier-maître de la base, ou responsable de l’approvisionnement, de 1814 à 1824, année où il prend sa retraite. Quand il est rétrogradé, il devient enseignant et prédicateur baptiste.

En 1830, John Oakley écrit dans son journal : « le Seigneur m’a permis d’obtenir les moyens de faire construire une chapelle à l’ouest de la ville. Il s’agit d’un important bâtiment tout simple de 9 mètres par 12.5 » C’est George Ball qui vend à l’église baptiste, pour 2 livres, une partie de son lot 315, donnant sur le côté est de la rue Mississauga, au sud de la rue Mary. Selon l’acte notarié, il le fait pour respecter les dernières volontés de son frère, John Ball.6 En 1831, la salle de réunion est construite et le premier office s’y tient le 28 juin 1831.7 John Oakley est à la tête de la congrégation tout au long des années 1830, jusqu’en 1845. Après son départ, il atteste que l’aîné Reuben Winchell de l’église baptiste de Queenston prêche à Niagara une semaine sur deux pendant un an et l’aîné Neill une fois par mois.8 De1849 à 1856, c’est le révérend Francis Lacy (Lacey), un pasteur noir, qui conduit les fidèles.9 Puis, c’est au tour du révérend John Bower Mowat de l’église presbytérienne St. Andrew’s de prêcher à l’église baptiste les dimanches après-midi pendant quelque temps. De nombreux pasteurs exercent ainsi leur ministère dans cette église pendant son existence.

Pasteurs de l’église baptiste de Niagara10

  • 1831-1845 John Oakley
  • 1845-1846 Aîné Reuben Winchell (une semaine sur deux)
  • Aîné Neil (une fois par mois)
  • 1849-1856 Francis Lacy (Lacey)
  • 1856-1858 John Bower Mowat (pasteur de l’église presbytérienne St. Andrew’s)
  • 1858-1863 Poste vacant
  • 1864- C. Campbell (pasteur de l’église presbytérienne St. Andrew’s)
  • B.W. Rogers
  • 1865- Diacre Bullett (?)
  • 1864-1869 Joseph Ward Stone (pasteur remplaçant de l’église baptiste de Queenston)
  • 1869-1877 Poste vacant
  • 1878- Retrait du registre baptiste

Dans les premières années, les paroissiens sont en majorité blancs avec quelques membres noirs. À la fin des années 1840, le nombre de fidèles baptistes noirs a augmenté et ils représentent la majorité de la congrégation, aux côtés d’une poignée de fidèles blancs. À l’époque, l’église baptiste de Virgil a grossi de manière conséquente et un bon nombre de membres blancs de Niagara en font leur nouvelle paroisse. John Oakley écrit dans son journal que l’église baptiste de Niagara est « désormais occupée principalement par la race africaine, à laquelle appartiennent un grand nombre de fidèles de la communauté, les membres blancs ayant rejoint les fidèles qui se réunissent dans l’église baptiste construite au carrefour appelé aujourd’hui Virgil (4 Mile Creek). »11

La croissance de la population noire à Niagara tient en partie au fait que le Canada est devenu un refuge pour les esclaves en quête de liberté, après l’adoption de la loi sur l’abolition de l’esclavage par le Parlement britannique en 1833. De plus, la loi sur les esclaves fugitifs, adoptée par le Congrès des États-Unis en 1850, conduit à une forte augmentation de l’afflux des esclaves « en quête de liberté » dans l’Ouest canadien (anciennement province du Haut-Canada). Dans son livre intitulé The AfriCanadian Church: A Stabilizer, Dorothy Shadd Shreve remarque que les migrants noirs en provenance des États-Unis sont généralement soit baptistes, soit méthodistes.12 Michael Power et Nancy Butler ont étudié la population noire de Niagara de 1842 à 1891 :

Annexe B : Population de Niagara selon les résultats des recensements

Population noirePopulation totalePourcentage des personnes noires
1842Canton1162 155
Ville821 745
Total1983 9005,0
1851Canton732 253
Ville943 322
Total1675 5753,0
1861Canton642 400
Ville1042 073
Total1664 4753,7
1871Canton602 093
Ville281 601
Total883 6942,4
1881Canton212 024
Ville211 441
Total423 4651,2
1891Canton51 847
Ville201 349
Total253 1960,7

Slavery and Freedom in Niagara, p 77.

La plupart des résidents noirs de Niagara vivent dans un quartier portant le nom de « Coloured Village » et situé au sud de la rue William, entre les rues King et Butler, près de l’église baptiste. Les hommes et les femmes de ce quartier occupent toutes sortes d’emplois : manœuvres, conducteurs d’attelage, plâtriers et domestiques. Francis Lacy est forgeron. James Davidson, ancien éditeur du journal Niagara Mail, identifie certains des résidents noirs de Niagara entre les années 1840 et les années 1860. Sur sa liste figurent Henry Garritt, William Primus, Alex Smithers, James Johnson, John Blight, Andrew Jackson, Hope Bullett, William Freeman, William Riley, James Munro, Leonard Hicks, Charles Green, George Washington, John Richardson, John Mills, J. Harvey, Barber Thompson, David Talbot, J. Scott, W. Warfield, George Wesley et Alfred Warrs.13 Ils vivent là avec leur femme et leurs enfants.

Avec l’évolution de la démographie de l’église, un conflit survient au sujet de son appartenance. Mary Ann Guillan, une Noire originaire de Niagara, fille de l’ancien esclave William Riley et de son épouse allemande Fanny, décrit le problème dans un entretien avec Janet Carnochan aux environs de 1890, en expliquant que « les baptistes blancs et les baptistes noirs se disputent l’église et que les baptistes noirs finissent par gagner.14 » En 1855, l’église est largement connue comme étant l’église baptiste des personnes de couleur.15 En 1862, la mention « de couleur » est ajoutée à la chapelle de Niagara dans le procès-verbal de de l’Union Baptiste.16 Selon les registres de l’Église baptiste canadienne, les fidèles de l’église sont au nombre de 44 en 1859. En 1862, ils sont 17 et, en 1878, ils ne sont plus que 10.17

L’église sert les besoins spirituels et sociaux des fidèles baptistes noirs de Niagara mais également de la communauté noire dans son ensemble. C’est un lieu de culte, de fraternité et d’entraide. Bien que rares, les archives montrent que des mariages, des naissances et des décès sont inscrits au registre. Entre 1849 et 1855, le révérend Francis Lacy enregistre six naissances, un mariage et sept décès.18

Inscriptions au registre par le révérend Francis Lacy

Naissances

1. Mary Matilda, née le 22 janvier 1849 (fille de M George Hater)
2. William Henry G., né le 18 août 1849 (fils de M Samuel Graham)
3. Elisebeth Angelina, née le 11 décembre 1849 (fille d’Isack Washington)
4. William Alexander, né le 4 novembre 1849 (fils d’Anthanea Rose)
5. Henryetta Marian Luisa Lewes, née le 20 septembre 1850 (fille de Mme James Lewis)
6. Davlleina (orpheline de Jane Bullett), née le 4 novembre 1853

Mariages

1. Mariage de Thomas York et de Mary Kitchen, 4 février 1855

Décès

1. Mary York, décédée le 15 septembre 1849
2. Marian Brite, décédée le 10 mars 1850
3. Sullumen Tinnbrock, décédé le 19 août 1850
4. James Robinson, décédé le 3 janvier 1853
5. Francess Hoitt, décédée le 11 janvier 1853
6. Charles Samual Luis, décédé le 14 février 1853
7. Caroline York, décédée le 26 octobre 1853

Comme pour de nombreuses petites églises de la province coloniale, une partie de l’enclos paroissial est désignée comme cimetière. Au moins 15 sépultures s’y trouvent19 :

1. Susan Augusta Oakley, fille du révérend John Oakley et de Mary Oakley. Décédée le 24 février 1832, à l’âge de 2 ans, 2 mois et 2 jours. [blanche]
2. Herbert Holmes. Décédé le 12 septembre 1837, au cours de l’affaire Solomon Moseby. [noir]
3. Jacob Green. Décédé le 12 septembre 1837, au cours de l’affaire Solomon Moseby. [noir]
4. Mary York. Décédée le 15 septembre 1849. [noire]
5. Marion Bright. Décédée le 10 mars 1850. [race inconnue]
6. William Henry Duke. Décédé le 25 février 1852. [race inconnue]
7. James Robinson. Décédé le 9 janvier 1853. [noir]
8. Frances Hoyt. Décédée le 11 janvier 1853 [noire]
9. Charles Lewis. Décédé le 14 février 1853. [noir]
10. Solomon Ten Broek. Décédé le 19 août 1853. [blanc]
11. Caroline York. Décédée le 26 octobre 1853. [noire]
12. Margaret Warrs. Décédée en 1863. Épouse d’Alfred Warrs. [noire]
13. George D. Wesley, Jr. Décédé le 17 août 1877, à l’âge de 21 ans, 2 mois et 2 jours. [noir]
14. Warner Johnson. Décédé le 15 décembre 1878, à l’âge de 69 ans. [noir]
15. George Wesley, Sr., Décédé le 5 avril 1893, à l’âge de 76 ans. [noir]

L’église ferme en 1878. À cette époque, la communauté noire de Niagara a décliné. Le cimetière est laissé à l’abandon et, en 1860, les pierres tombales sont tombées ou ont complètement disparu. On dit même que certaines se sont retrouvées dans les allées ou les fondations de maisons.20 Une nouvelle plaque patrimoniale provinciale remplace la plaque initiale de 1957.21


La Fiducie du patrimoine ontarien remercie Natasha Henry pour les recherches qu’elle a effectuées pour élaborer ce document.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2022


1 Natasha Henry, One Too Many: Enslaved Africans in Early Ontario, 1760-1834. Mémoire non publié (en cours de rédactiion), 2021.

2 La ville a été officiellement nommée Newark par le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe en 1792. C’est la première capitale de la province du Haut-Canada (aujourd’hui province de l’Ontario). En 1798, elle est renommée Niagara.

3 Niagara Gleaner, 31 juillet 1830.

4 Niagara Gleaner, 13 juillet 1830.

5 Reminiscences of Niagara, publication no 11 de la Niagara Historical Society; Janet Carnochan, History of Niagara (en partie). (Toronto : William Briggs,1914), p. 177; Butler, Nancy et Michael Power. Slavery and Freedom in Niagara, 1993, p. 61.

6 Slavery and Freedom, p. 61; instrument no 9356, lot no 315, transfert du titre de propriété, 17 décembre 1830. Niagara Historical Society.

7 History of Niagara, p. 177.

8 Reminiscences of Niagara, publication no 11 de la Niagara Historical Society.

9 Reminiscences of Niagara, publication no 11 de la Niagara Historical Society; Slavery and Freedom in Niagara, p. 62.

10 Notes de Joy Ormsby Notes sur l’église baptiste de Niagara dans les archives baptistes canadiennes (Procès-verbal de l’Union Baptiste du Canada et compte rendu des réunions annuelles, archives de l’Université McMaster), Niagara Historical Society (Notes de Joy Ormsby ci-après).

11 History of Niagara, pp. 176-177.

12 Dorothy Shadd Shreve, The AfriCanadian church: A Stabilizer. (Jordan Station : Paideia Press, 1983), p. 42.

13 History of Niagara, p. 206.

14 History of Niagara, p. 177.

15 Le certificat de mariage de Thomas York et de Mary Kitchen, signé par le révérend Francis Lacy, pasteur de l’église baptiste, Niagara. Niagara Historical Society Museum, X978.87.

16 Slavery and Freedom in Niagara, p. 62.

17 Notes de Joy Ormsby.

18 Rapports sur l’église baptiste de Niagara par le révérend Francis Lacy, Niagara Historical Society, pièce n° 990.5.449 (1849), pièce n° 990.5.378 (1850) et pièce n° 990.5.403 (1853).

19 Rapports sur l’église baptiste de Niagara par le révérend Francis Lacy, Niagara Historical Society, pièce n° 990.5.449 (1849), pièce n° 990.5.378 (1850) et pièce n° 990.5.403 (1853); Janet Carnochan, Inscriptions and Graves in the Niagara Peninsula, Niagara Historical Society, Publication n° 10, 1910 (2e édition), p 34; Notes de Joy Ormsby.

20 Slavery and Freedom in Niagara, p. 64.

21 Slavery and Freedom in Niagara, pp. 41-42, 51; Negro Burial Ground 1830, plaque patrimoniale; Cemetery of escaped slaves long neglected, Globe and Mail, 13 avril 1956; « Will Re-establish Negro Graveyard », Niagara Falls Evening Review, 18 juin 1960.