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Les Anishinaabeg à Lake of Bays

Le jeudi 17 octobre 2017, la Fiducie du patrimoine ontarien, en partenariat avec la Première Nation chippewa de Rama et le canton de Lake of Bays, a dévoilé aujourd’hui des plaques provinciales commémorant les Anishinaabeg à Lake of Bays.

Voici le texte de la plaque :

LES ANISHINAABEG À LAKE OF BAYS

    Peuple tourné vers l’eau et premiers habitants de la région, les Anishinaabeg formaient une société de chasseurs-cueilleurs qui fréquentaient souvent ces lieux pour se rendre à la baie Trading (Lake of Bays). La région aujourd’hui occupée par Dorset était un lieu spirituel particulier et doté d’abondantes ressources naturelles. Pendant des milliers d’années, les Anishinaabeg ont établi de petits campements sur ces terres, où ils récoltaient du sirop d’érable et de l’écorce de bouleau, pratiquaient la pêche et le commerce au printemps et en été, et s’adonnaient à la chasse et au piégeage pendant l’automne et l’hiver. Avec le temps, les Anishinaabeg se sont rendu compte qu’ils avaient perdu leurs droits et leur territoire de chasse et de récolte à la suite d’une série de traités. Ils ont continué à venir dans la région pour y travailler comme guides de pêche et de chasse et commercer avec les touristes saisonniers et les propriétaires de chalets. Les descendants des Anishinaabeg sont membres des sept Premières Nations visées par les traités Williams (1923), dont la plus proche est la Première Nation chippewa de Rama. L’héritage des premiers habitants continue de vivre à travers les nombreux sites, les rivières, les lacs et les îles qui portent des noms en langue anishinaabemowin (ojibwa).

Historique

La région de Muskoka, ainsi que les villes et hameaux qu’elle abrite (notamment Lake of Bays), font aujourd’hui partie des lieux les plus effervescents de l’Ontario durant les fins de semaine estivales. Les autoroutes en direction du nord sont prises d’assaut par les citadins qui partent se ressourcer au calme, dans le chalet familial, pour partager de bons moments au bord de l’eau avec leurs proches et leurs amis. Au milieu des développements urbains et des voitures de luxe, difficile de croire qu’avant les années 1850, le territoire de Muskoka appartenait exclusivement aux Anishinaabeg (Watson, 2014).

Traditionnellement, les Anishinaabeg forment une société de chasseurs-cueilleurs. Contrairement aux Wendat ou aux Haudenosaunee, plus sédentaires et tournés vers l’agriculture, les Anishinaabeg adaptent leurs moyens de subsistance au cycle des saisons. Souvent considérés à tort comme un peuple « nomade », les Anishinaabeg ont une intime connaissance, personnelle et communautaire, des ressources et de la topographie de leur territoire (Ferris, 2009). Ainsi, les Anishinaabeg savent où, quand et comment trouver ce dont ils ont besoin (nourriture, herbes médicinales, fournitures, etc.).

Muskoka étant une région débordante de ressources, les forêts denses typiques du Bouclier canadien suffisent à assurer leur survie. Les Anishinaabeg se rendent par exemple à Lake of Bays au printemps et en été pour cueillir des baies et pratiquer la pêche et le commerce. La fraise, notamment, est un aliment de base du régime des Anishinaabeg, qui font la cueillette dès l’arrivée à maturité des fruits. Dans les camps de pêche établis le long des rivières ou des côtes, les familles en profitent pour se réunir en nombre, ce qu’elles ont rarement l’occasion de faire dans les petits campements traditionnels. Ces rassemblements leur permettent de renouer des relations, de faire des rencontres, d’organiser des réunions et, en tout premier lieu, d’attraper et de récolter du poisson. Les Anishinaabeg commercent souvent avec d’autres bandes et tribus, et les hommes partent parfois à la chasse pour ramener de la viande et des fourrures en complément du poisson. Ils s’adonnent à la chasse et à la récolte en hiver. Muskoka propose une grande diversité de gibier, chassé pour sa viande, ses fourrures et ses peaux : autant d’éléments indispensables à la subsistance des Anishinaabeg. Découverte par les peuples des Premières Nations, la sève d’érable est également récoltée à la fin de l’hiver, afin d’être transformée en sucre et en sirop énergétique, à forte teneur en calories. Au plus froid de l’hiver, les Anishinaabeg se reposent et racontent des histoires, sortant uniquement pour se ravitailler si la nourriture vient à manquer.

Avant les années 1850, les Anishinaabeg jouissent de la propriété exclusive des territoires de Muskoka et de Lake of Bays. Hormis quelques prospecteurs et commerçants de fourrures, les seuls visiteurs s’y aventurant sont d’autres groupes des Premières Nations alliés des Anishinaabeg, tels que les Wendat. La deuxième moitié du XIXe siècle marque un changement drastique, survenant à un rythme exponentiel à Muskoka. La beauté de sa région et de ses nombreux lacs commence à faire parler d’elle, tandis que l’appel des grands espaces attire les Eurocanadiens, surtout ceux qui habitent en ville. Autrefois difficile d’accès, Muskoka s’ouvre littéralement sur l’extérieur grâce au réseau routier.

Au début de la colonisation, le trajet vers le nord se fait en diligence ou en chariot sur des chemins de rondins cahoteux : un périple interminable, aussi éreintant physiquement que mentalement (Watson, 2014). Par la suite, les trains à vapeur s’arrêtent au sud de Muskoka, ce qui impose aux voyageurs de se rendre jusqu’à leur destination par ces moyens tant redoutés. Une fois à Muskoka, les visiteurs peuvent profiter des lacs et des cours d’eau pour se déplacer à l’aide d’embarcations à vapeur ou à rames. Les routes traversant le Bouclier canadien, comme le chemin de colonisation Muskoka, sont tracées dans les années 1860. Le chemin de fer arrivera finalement à Muskoka dans les années 1870. Ces deux phénomènes accélèrent la colonisation, faisant de Muskoka un centre fourmillant d’activités, en particulier après la démocratisation de l’automobile.

Les lieux de villégiature luxueux fleurissent aux quatre coins du district. L’hôtel Wawa et le Bigwin Inn, deux exemples célèbres, sont fréquentés à l’époque par les stars de renommée mondiale comme Clark Gable. La beauté des paysages et les apparitions fort remarquées des vedettes renforcent l’attrait de Muskoka. Constitué de peintres-paysagistes canadiens et actif dans les années 1920-1930, le Groupe des sept souligne également son charme et sublime dans ses œuvres d’art les espaces en apparence vierges du Nord canadien. Les visiteurs du monde entier veulent découvrir le district.

Il existe une différence de taille entre ce qui est montré au public et la réalité vécue par les Premières Nations de la région. En effet, les Anishinaabeg sont marginalisés alors que Muskoka a constitué leur territoire exclusif jusque dans les années 1850. À peine 50 ans plus tard, des millénaires d’occupation solitaire sont balayés par les centres de villégiature luxueux, les visiteurs et les colons eurocanadiens, engendrant un bouleversement écologique permanent. Jusque-là débordante de ressources, la région est désormais délimitée par des frontières invisibles et regorge soudain de propriétés privées. Frustrés, les Anishinaabeg constatent qu’il leur est de plus en plus difficile de venir à Muskoka pour pratiquer la chasse et la cueillette (Watson, 2014).

La signature d’une série de traités entre les Anishinaabeg et le gouvernement fédéral s’avère source de malentendus et de désaccords, ajoutant encore à la frustration. Le gouvernement fédéral fait souvent une interprétation fautive des traités pour arriver à ses fins. Par exemple, les Anishinaabeg ont signé un traité autorisant les colons à cultiver des terres agricoles au sud de la rivière Severn, ce que le gouvernement a interprété à tort comme la cession par les Anishinaabeg de toutes leurs terres au sud de la rivière Severn (Watson, 2014). Pour les Anishinaabeg et les Mississauga, la signature des traités Williams en 1923 constituait une tentative de clarification de leurs droits de propriété, de chasse et de récolte. Son interprétation fautive a conduit à la suppression des droits de chasse et de récolte des Premières Nations, les privant ainsi de leurs moyens d’autosubsistance. De plus, des millions d’acres de terres pleines de ressources et porteuses d’une précieuse valeur spirituelle et culturelle sont devenues officiellement la propriété du gouvernement fédéral (Watson, 2014).

La quasi-totalité des traités et cessions est signée au nom du « progrès », le gouvernement fédéral souhaitant encourager l’établissement permanent, la culture et l’aménagement. Le Nord de l’Ontario est également vu par les colons comme un lieu d’abondance, riche en bois d’œuvre et en minerais. Obtenir les terres abritant ces deux ressources s’avère vital pour la Couronne. À l’origine, certains traités autorisent uniquement la création de corridors de transport à travers le territoire des Premières Nations (ce qui sera plus tard interprété à tort comme la cession de toutes leurs terres). Le long des corridors de transport, les villages se multiplient et grossissent parfois jusqu’à devenir des villes. Lake of Bays n’est d’abord guère plus qu’un poste de traite (d’où son ancien nom de lac Trading). Une fois desservi par les routes, le lieu prend peu à peu de l’expansion. Huntsville est promis à la même destinée : ce simple hameau avant l’arrivée du chemin de fer deviendra une ville florissante.

Privés de leurs droits traditionnels de récolte, de chasse et de pêche, les Anishinaabeg entretiennent une relation différente avec Muskoka et Lake of Bays. Au lieu de s’y approvisionner en ressources naturelles, ils viennent exploiter les ressources économiques disponibles. Parmi les Anishinaabeg, nombreux sont les hommes qui deviennent alors guides de pêche et de chasse, mettant à profit leur connaissance du territoire et leur expertise de ces activités, mais aussi du piégeage, pour faire découvrir Muskoka aux touristes et aux propriétaires de chalet. Les femmes, quant à elles, vendent souvent leurs créations artisanales, comme des boîtes en piquants de porc-épic et des paniers en éclisses de frêne noir, aux touristes curieux. Dans l’impossibilité de vivre des ressources de la terre, les Anishinaabeg doivent gagner de l’argent pour survivre et Muskoka leur en donne les moyens.

À mesure que Muskoka s’étend et gagne en renommée, c’est à contrecœur que les Anishinaabeg se rendent de moins en moins dans la région. Le travail en tant que guide s’essouffle et l’artisanat des Premières Nations ne trouve plus preneur. Les Anishinaabeg ne pouvant plus vivre des ressources naturelles ou économiques de la région ni exercer leur savoir-faire traditionnel, Muskoka devient alors une représentation du lieu qu’elle était autrefois. L’appellation des sites patrimoniaux, des lacs et des rivières évoque le temps où Muskoka appartenait aux Anishinaabeg (« Muskoka » est dérivé de « Musquakie », du nom d’un ancien chef anishinaabe). Muskoka reste un lieu important pour les Anishinaabeg, tel un hommage à leur longévité et à leur relation à la terre.

En langue anishinaabemowin, Muskoka vient de « musko » (rouge) et de « ki » (lieu terrestre), en référence, croit-on, à la multitude de feuilles rouges qui jonchent le sol de la région en automne. Aujourd’hui, les descendants des Anishinaabeg vivent toujours à proximité, au sein des Premières Nations de Rama, Beausoleil, de l’île Georgina et Wasauksing (Parry Island).


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à remercier sincèrement Sherry Lawson et Ben Cousineau dont les travaux de recherche nous ont permis de rédiger le présent document.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2017


Bibliographie

A. W. Allen, « Wa-nant-gi-tche-ang: Canoe Route to Lake Huron through Southern Algonquia », Ontario Archaeology, 2004, p. 38-68.

Archaeological Services Inc., Report of the Master Plan of Archaeological Resources of the District of Muskoka and the Wahta Mohawks, Toronto: Archaeological Services Inc., 1994.

J.M. Thoms, Ojibwa Fishing Grounds: A History of Ontario Fisheries Law, Science, and the Sportsmen's Challenge to Aboriginal Treaty Rights, 1650-1900, dans J. M. Thoms, Vancouver, 2004.

A. Watson, Poor Soils and Rich Folks: Household Economies and Sustainability in Muskoka, 1850-1920, dans A. Watson, Toronto, 2014.