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Bataille de Ridgeway

Le samedi 3 juin 2006, à 13 heures, la Fiducie du patrimoine ontarien a dévoilé une plaque provinciale commémorant la bataille de Ridgeway, à Old Fort Erie, Fort Erie (Ontario).

Voici le texte de la plaque bilingue :

BATAILLE DE RIDGEWAY

    Le 1er juin 1866, des révolutionnaires irlando-américains, appelés les Fenians, envahirent le Canada pour porter un coup à l'Angleterre et soutenir la création d’une république irlandaise indépendante. Le lendemain matin, les hommes de la Milice canadienne des Queen’s Own Rifles, du 13e bataillon et des York et Caledonia Rifle Companies, sous le commandement du lieutenant-colonel Alfred Booker, arrivèrent en train pour aller se battre contre les envahisseurs fenians. Alors que les Canadiens recevaient des ordres contradictoires et que la confusion régnait sur le champ de bataille, les Fenians contre-attaquèrent et les Canadiens durent se replier. Les Fenians se retirèrent à Fort Erie et retournèrent dans la nuit à Buffalo. La bataille de Ridgeway, qui eut l’effet d’une onde de choc dans le pays, entraîna une amélioration des systèmes de défense canadiens et donna une impulsion au mouvement en faveur de la Confédération.

BATTLE OF RIDGEWAY

    On June 1, 1866, Irish-American revolutionaries called Fenians invaded Canada as part of an attempt to strike at Britain and support the creation of an independent Irish republic. The next morning Canadian militiamen from the Queen’s Own Rifles, the 13th Battalion and the York and Caledonia rifle companies, under the command of Lieutenant Colonel Alfred Booker, arrived here by train before marching on to battle the Fenian invaders. Contradictory orders and confusion on the battlefield coincided with a Fenian counter-attack to cause the Canadians to withdraw. The Fenians retired to Fort Erie and returned to Buffalo that night. The Battle of Ridgeway shocked the country, spurring improvements to Canada’s defences and helping to bolster the Confederation movement.

Historique

Pendant qu’un movement révolutionnaire actif en Irlande s’élevait contre l’occupation britannique, la Fenian Brotherhood — la branche américaine de l’Irish Revolutionary Brotherhood (IRB), organisme secret – luttait pour l’indépendance irlandaise aux États-Unis. En 1865, l’année même de la défaite des forces de la Confédération par l’Union et de la fin de la guerre de Sécession, le mouvement révolutionnaire en Irlande subit une défaite cinglante lorsque les Britanniques écrasèrent l’IRB et éparpillèrent ses dirigeants. Après la débâcle de l’IRB, une faction fenian militante vit le jour aux États-Unis, déterminée à attaquer les Britanniques n’importe où et n’importe quand. Le Canada devint une cible commode. Convaincus à tort qu’ils bénéficiaient de l’appui du gouvernement américain, les Fenians commencèrent à préparer une invasion du Canada.

En novembre 1865, le gouvernement canadien appela la milice pour garder les principaux points frontaliers, de Prescott à Sarnia. En mars 1866, 14 000 hommes furent appelés sous les drapeaux pour faire face à une attaque prévue pour la Saint-Patrick. L'attaque n’eut pas lieu, mais au mois d’avril, un groupe dissident de Fenians lança une attaque manquée sur l’île Campobello, au Nouveau-Brunswick. L’atténuation des tensions après la fausse alerte de la Saint-Patrick, combinée à l’échec maritime, semblaient indiquer que le mouvement fenian était mort. Les autorités britanniques et canadiennes poussèrent un soupir de soulagement collectif et devinrent, comme la suite des événements allait le prouver, trop insouciantes.

La Fenian Brotherhood traversait, cela est vrai, une crise. Cependant, ses dirigeants tentèrent de sauver la situation en prévoyant d’envahir le Canada. Leur plan incluait un débarquement à Goderich et Port Stanley pour forcer les forces britanniques et canadiennes à s’enfoncer dans l’Ouest canadien, et une fausse tentative de traversée de la rivière Niagara à partir de Buffalo, pour diviser encore davantage les défenseurs. Simultanément, l’attaque principale était prévue au nord, à partir de la partie supérieure de l’État de New York et du Vermont pour s’emparer de Montréal et de Québec. Les Fenians étaient déterminés et lorsqu’ils réalisèrent qu’il leur était impossible d’envahir le Canada à partir des lacs, la feinte prévue à Niagara se transforma en attaque principale, à l’ouest.

L’apparition soudaine de groupes importants de jeunes hommes à Buffalo, à la fin du mois de mai 1866, fut un choc pour les autorités britanniques et canadiennes qui étaient devenues insouciantes. Cependant, elles se ressaisirent une fois qu’elles réalisèrent que l’invasion était imminente. Le soir du 31 mai, l’infanterie de la milice et l’artillerie de la garnison furent appelées. La cavalerie et l’artillerie de campagne furent mobilisées le lendemain.

Dans l’intervalle, la première vague composée de quelque 600 Fenians traversa dans la rivière Niagara, dans sa partie supérieure, et débarqua à quelques kilomètres au nord de Fort Erie, aux petites heures de la matinée du 1er juin. Les Fenians avaient un avantage d’au moins une journée durant laquelle ils ne rencontrèrent aucune opposition conséquente. Mais au lieu de se diriger vers le canal Welland, lieu stratégique important, le commandant des Fenians, le lieutenant-colonel John O’Neill, attendit des renforts. Ceux-ci ne se matérialisèrent pas, car l’arrivée de la chaloupe canonnière américaine, le USS Michigan, à la fin de l’après-midi empêcha toute autre traversée. Le Michigan patrouillait sur la rivière Niagara pour faire appliquer la Neutrality Act et empêcher les Fenians d’envahir le Canada.

Le major-général George Napier, le commandant britannique de l’Ouest canadien, ordonna aux forces régulières britanniques et à la milice canadienne de pénétrer dans la péninsule pour empêcher la destruction du canal Welland et les Fenians de pénétrer plus avant dans la région. À minuit, le 1er juin, la ville de Port Colborne était défendue par les Queen’s Own Rifles de Toronto, le 13e bataillon de Hamilton et des compagnies de carabiniers indépendantes de York et Caledonia et la batterie de campagne du canal Welland, pendant que les troupes britanniques et canadiennes se trouvaient à Chippawa.

Les deux camps avaient une idée approximative de l'emplacement et de la force de leur adversaire. Le commandant britannique à Chippawa, le lieutenant-colonel George Peacocke, avait estimé correctement que les Fenians se trouvaient au ruisseau Frenchman’s, mais il avait surestimé leur nombre. Il avait également commis une erreur en concluant que les Fenians préféreraient rester stationnaires ou se retirer de l’autre côté de la rivière. Il décida donc à tort de concentrer deux forces à Stevensville, puis de se diriger vers le ruisseau Frenchman’s. En revanche, O’Neill savait que son ennemi avait divisé ses forces et que la plus petite partie des troupes se trouvait à Port Colborne. Il pensait que les deux forces allaient se réunir à Stevensville le 2 juin, puis l’attaquer. O’Neill avait deux options. Il pouvait se replier de l'autre côté de la rivière ou il pouvait se battre. Il avait déjà accompli son objectif consistant à faire dévier l’attention sur l’attaque principale à Québec. Cependant, se replier sans tirer un seul coup de fusil pouvait nuire à la cause des Fenians, et la présence du Michigan rendait également le repli difficile. O’Neill décida d’attaquer les troupes de Port Colborne avant qu’elles ne puissent rejoindre celles de Peacocke, de se déclarer victorieux et de se replier sur Fort Erie pour attendre des renforts, ou, au cas où il échoue, de se battre jusqu’au dernier homme.

Les Fenians quittèrent leur camp à 22 heures le 1er juin et marchèrent vers le nord le long du chemin River, avant de bifurquer vers l’ouest en direction de l’escarpement de calcaire qui dominait le paysage vers le sud et l’ouest. Le lendemain matin, à 6 heures, la tête de la colonne feniane escalada l’escarpement et avança précautionneusement vers le sud, le long du chemin Ridge, qui portait bien son nom. Une heure plus tard, à environ 5 kilomètres de Ridgeway, les Fenians rencontrèrent des cavaliers qui galopaient vers le sud. Peu après, ils entendirent le sifflet d’un train et la sonnerie de clairons en provenant du village. Le plan de O’Neill avait fonctionné. Il allait se battre contre les forces de Port Colborne sur le terrain de son choix, sans l’intervention de Peacocke.

Le commandant canadien à Port Colborne, le lieutenant-colonel Alfred Booker, avait cru, d’après les renseignements que lui avaient donnés les résidents locaux, que les Fenians se trouvaient toujours au ruisseau Frenchman’s, et qu’ils buvaient énormément car ils étaient démoralisés. Il n’avait pas dû se sentir très inquiet à 5 h 30 du matin lorsqu’il embarqua le 13e bataillon et les Queen’s Own Rifles dans un train qui se dirigea lentement en direction de Ridgeway, la gare la plus proche de Stevensville. Booker pensait également que Peacock quitterait Chippawa aux environs de 6 heures du matin et arriverait à Stevensville entre 9 h et 9 h 30, soit au même moment où ses troupes parviendraient au rendez-vous. Le train arriva à Ridgeway aux alentours de 7 heures du matin et les soldats débarquèrent calmement. On pouvait entendre le sifflet du train, la sonnerie du clairon et les ordres qui étaient donnés à voix haute. Il était clair que Booker ne pensait pas rencontrer les Fenians lors de sa marche vers Stevensville. Les forces de Port Colborne, sous les ordres de Booker, se dirigèrent vers le nord, sortirent de Ridgeway en suivant le chemin Ridge, avec à leur tête les Queen’s Own Rifles, suivies de Booker qui avait emprunté un cheval, de la York Rifle Company, du 13e bataillon et enfin de la Caledonia Rifle Company. Environ quatre kilomètres plus loin, les troupes de tête signalèrent aux troupes arrières que l’« ennemi était en vue ». Les Queen’s Own Rifles furent déployés pour créer des escarmouches et avancèrent jusqu’au croisement des chemins Ridge et Garrison. On entendit bientôt le bruit des fusils. La bataille de Ridgeway avait commencé.

Le commandant fenian, le colonel O’Neill, tira parti de son expérience de la guerre de Sécession pour se battre contre les hommes de Booker, déployant environ un quart de ses forces pour créer des escarmouches et attirer les attaquants canadiens vers le gros de ses troupes. Une fois arrivés dans son champ de vision, O’Neill avait l’intention de les accueillir par un feu nourri et concentré et de contre-attaquer par une charge à la baïonnette. Si les Canadiens résistaient, O’Neill avait toujours une réserve qui protégerait son repli le long du chemin Ridge.

Booker avait l’intention de mener sa première bataille de façon conventionnelle. Les troupes responsables des escarmouches devaient forcer l’ennemi à se replier, le gros de ses troupes suivrait, démoralisant l’ennemi par un feu nourri et l’obligeant à quitter le champ de bataille sous une charge à la baïonnette. Initialement, tout se passa bien, bien que les troupes ennemies responsables des escarmouches ne se replièrent pas aussi vite que prévu. Lorsque les Queen’s Own Rifles arrivèrent sur les positions principales des Fenians, ils commençaient à manquer de munitions. Booker ordonna à une partie du 13e bataillon d’entrer en action pour aller prendre la relève des Queen’s Own Rifles, et les deux unités commencèrent à changer de position, une manœuvre difficile à exécuter sous le tir de l'ennemi. C’est à ce moment-là, juste quand les deux bataillons étaient mélangés, que la catastrophe arriva. On aperçut des cavaliers qui s’approchaient des lignes fenians et quelqu’un cria « Cavalerie! ». Booker réagit comme s’il s’était agi d’un exercice de combat à simple action et lança l’ordre de se « Préparer pour la charge de la cavalerie ». Il réalisa pratiquement immédiatement son erreur et essaya d’annuler son ordre. Une confusion massive s’ensuivit et la vue des troupes ennemies qui changeaient de direction énerva les troupes qui avançaient.

Il est possible que O’Neill se soit senti inquiet lorsqu’il vit les Canadiens qui semblaient avancer en dépit de la résistance plus forte des Fenians. Soudainement, l’ennemi commença à tourner en rond et à hésiter. John O’Neill était un soldat trop expérimenté pour ne pas profiter pleinement de l’occasion qui lui était offerte. Ses troupes commencèrent à tirer sur les Canadiens. Il lança ensuite une charge à la baïonnette en dévalant la pente de l’escarpement vers le centre des forces canadiennes. Les troupes canadiennes, qui manquaient de munitions et qui étaient désorganisées, paniquèrent et les compagnies de tête se replièrent dans le désordre sur les troupes arrières. L’aile gauche du 13e bataillon, les seules troupes non engagées, réagit au spectacle de leurs camarades courant vers eux en se retournant et en s’enfuyant vers l’arrière. Poursuivis par un petit groupe de Fenians, les Canadiens se replièrent sur Ridgeway où ils embarquèrent à bord d’un train et retournèrent à Port Colborne, démoralisés, découragés et battus plus par panique que par la force des armes.

Les troupes de Chippawa avaient quitté leur camp en retard et avaient avancé lentement. Par ailleurs, bien que Peacocke savait que les troupes de Port Colborne se battaient sur l’escarpement de calcaire, il s’était arrêté à Streetsville pour se reposer et attendre des nouvelles. Dans l’intervalle, O’Neill avait signalé au capitaine Hynes, un représentant du haut commandement fenian à Buffalo, que son commandement allait être entouré par des forces britanniques et canadiennes d’ici au matin et que, bien qu’il ne puisse pas résister pendant longtemps, il était prêt à rester et à se battre si des offensives fenians avaient lieu ailleurs, Lorsqu’il apprit qu’aucune autre invasion du Canada ne s’était produite, O’Neill retourna à Fort Erie où il battit un petit groupes d’hommes qui l’avait attaqué à l’arrière pour couper sa retraite. Les Fenians traversèrent la rivière et, une fois dans les eaux américaines, ils furent interceptés par le USS Michigan et faits prisonniers.

La presse et le public canadiens demandèrent un bouc émissaire et les autorités militaires laissèrent à Alfred Booker le soin de jouer ce rôle. Pour essayer de laver son honneur, Booker demanda une enquête sur sa conduite, qui révéla que la plupart de ses actes avaient été appropriés (bien qu’il ait ordonné à ses troupes d’assumer la position d’un carré défensif pour se battre contre une cavalerie qui ne se matérialisa jamais); cependant, ces conclusions ne parvinrent pas à faire taire les critiques à son encontre. Booker quitta la milice et déménagea de Hamilton à Montréal où il mourut, amer, en 1871. En revanche, John O’Neill récolta le fruit de sa victoire et prit du galon au sein de la Fenian Brotherhood. Lors du déclin éventuel du movement fenian, la roue de la fortune tourna et il mourut dans la pauvreté, au Nebraska, en 1878.

La bataille de Ridgeway eut des conséquences positives pour les deux côtés. La victoire des Fenians sur le champ de bataille à Ridgeway (et lors d’un second combat à Fort Erie, le même jour) stimula énormément le mouvement fenian. Ce fut la seule bataille remportée par le movement pour l’indépendance irlandaise entre 1798 et 1919. Elle exerça une influence positive sur le mouvement fenian et sur la carrière de O’Neill, du moins pendant quelques années. Cependant, la victoire ne fut que limitée, car le plan général d’invasion du Canada par les Fenians se solda en gros par un échec. Une tentative ultérieure d’invasion du Québec échoua, en 1866, comme ce fut le cas d’incursions au Manitoba et au Québec, en 1870. En dépit de ces échecs, les Fenians posèrent une menace permanente durant la première décennie de la Confédération. On peut dire que l’invasion des Fenians permit aux Canadiens de se trouver une cause commune et créa un sentiment d’unité pendant toute la fin du 19e siècle au Canada. L’invasion fenian de Ridgeway poussa le jeune pays à consolider son réseau de défense dont la vulnérabilité avait été exposée, et donna une impulsion au movement en faveur de la Confédération.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à remercier Brian A. Reid de ses travaux de recherche sur lesquels repose le présent document.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2006