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Colonel Darby Bergin, 1826-1896

Le mardi 8 novembre 2016, la Fiducie du patrimoine ontarien et la Stormont, Dundas and Glengarry Regimental Foundation ont dévoilé une plaque provinciale commémorant le colonel Darby Bergin au manège militaire de Cornwall. La plaque se trouve à demeure au cimetière de la paroisse Precious Blood (Précieux-Sang).

Voici le texte de la plaque :

COLONEL DARBY BERGIN, 1826-1896

    Darby Bergin est né à York (Toronto). Il a obtenu son diplôme de médecine de l’Université McGill, à Montréal, puis a exercé la médecine à Cornwall, où il a prêté son concours à un hôpital local qui traitait des cas de typhus. Il a ensuite œuvré auprès des Mohawks d’Akwesasne durant une épidémie de variole dévastatrice. En 1872, Darby Bergin a été élu député et, à ce titre, a été l’un des premiers et ardents défenseurs de différents dossiers en matière d’affaires rurales, de santé publique et de justice sociale. Ses efforts d’innovation et ses tentatives politiques d’améliorer les conditions de travail et de réduire les heures de travail des femmes et des enfants ont inspiré une future réforme du travail, réussie, au Canada. Partisan de la milice toute sa vie, Darby Bergin a été le premier commandant du 59e Bataillon (Stormont et Glengarry). En 1885, il est devenu le premier médecin général du Canada, jetant ainsi les bases d’un service de santé permanent. Ce promoteur de l’économie locale qui a fondé l’Ontario Pacific Railway a joué un rôle de premier plan dans l’expansion du canal de Cornwall. Les plus grandes obsèques publiques jamais tenues dans l’Est de l’Ontario ont été organisées pour rendre hommage à Darby Bergin après sa mort.

Historique

Darby Bergin est né le 7 septembre 1826 à York (aujourd’hui Toronto), Haut-Canada. Il était le fils aîné de William Bergin, un marchand qui avait émigré du comté de King (Offalfy), Irlande, au Canada en 1820.1 Dans les années 1830, Bergin Sr jouissait d’un commerce prospère, et il a envoyé Darby étudier à l’Upper Canada College (UCC). Des biographies de Bergin datant du XIXe révèlent qu’il était un élève brillant, l’une d’elles notant qu’il a remporté le prix de grammaire latine — ouvert à tous les étudiants de l’UC — avant d’avoir atteint 12 ans.2 Sa fibre des études a rapidement conduit Darby à Montréal pour poursuivre un doctorat en médecine au McGill College.

En 1829, la première faculté de médecine en Amérique du Nord britannique3 était fondée au McGill College par quatre docteurs en médecine formés à Edinburgh, dont la vision enchâssait la tradition humaniste et interdisciplinaire des Lumières écossaises.4 La formation médicale au McGill combinait les études didactiques et pratiques en philosophie naturelle et morale, était axée sur la pratique clinique individuelle et soulignait l’interaction enseignant-étudiant.5

Ce type de formation médicale engagée et civique a trouvé écho chez Bergin et l'a inspiré tout au long de sa vie. Il semble qu'il ait été extrêmement compétent dans ses études universitaires en passant l'examen du Lower Canada Medical Board au printemps 1846, avant d'obtenir officiellement son diplôme de McGill.6 En 1847, il reçoit son diplôme de médecine7 et traverse la frontière provinciale pour se rendre en Cornwall, dans l’Ouest canadien. Il avait un lien naturel avec la région puisque sa mère Mary était la fille de John Flanagan, un commerçant renommé de Charlottenburg dans le comté de Glengarry.8 En 1848, les conséquences de la Grande Famine ont intensifié les vagues d'émigration de l'Irlande vers le Canada, et Bergin a été affecté à l'hôpital pour immigrants atteints du typhus à Cornwall avec le Dr Roderick Macdonald. Impressionné par ses pratiques et son efficacité en matière de gestion de la santé publique, le surintendant des Affaires indiennes demandera plus tard à Bergin de s'occuper des Mohawks de Saint-Régis après une épidémie dévastatrice de variole.9

Bergin excellait dans ce qui serait aujourd'hui le domaine de la santé publique. Il s’intéressait aussi grandement aux premières politiques médicales de la province et à la formation de jeunes médecins. Il a été le premier président de l’Eastern District Medical Association et plus tard président de la St. Lawrence and Eastern District Medical Association. Bergin a été vice-président et président du conseil d'administration du College of Physicians and Surgeons of Ontario, de même qu’examinateur de longue date des services d’obstétrique et d’anatomie pour l’Ordre.

En 1861, face à l’intensification des tensions en matière de sécurité avec l'Amérique dues à l'affaire Trent, Bergin a levé une compagnie de milice dont il était capitaine et a été promu major en 1866. Trois ans plus tard, il est nommé lieutenant-colonel du 59e bataillon de milices volontaires de Stormont et Glengarry.10 En 1886, pendant son mandat de chirurgien général, Bergin est à nouveau promu au rang controversé11 de colonel titulaire.12

Le sens du devoir civique de Bergin, attesté par ses états de service médical et militaire, s’est étendu à un intérêt marqué pour représenter les électeurs de Cornwall au nouveau Parlement fédéral. Il a été élu pour la première fois en 1872, en tant que candidat libéral, mais a été battu de justesse deux ans plus tard par A.F. Macdonald. La rivalité Macdonald-Bergin a provoqué une scission de longue date au sein du parti libéral dans la région de Cornwall. Bergin est retourné au Parlement en 1878 et a été de nouveau défait, cette fois par D.B. McLennan. Le 27 janvier 1880, il s’est représenté au Parlement une troisième fois et est resté membre, représentant le parti conservateur jusqu'à sa mort en 1896.13 Bergin avait une attitude affable et pouvait entretenir des relations avec les gens indépendamment de leur conviction politique personnelle. En effet, sa propre idéologie politique était celle qui transcendait les lignes de parti strictes. Comme l'a déclaré une source contemporaine : « en politique, c’est un conservateur, un authentique libéral ».14

Pendant son mandat au Parlement, il est devenu un des premiers défenseurs de l'amélioration des conditions de travail, en particulier pour les femmes et les enfants. De 1879 à 1886, Bergin a proposé une série de projets de loi d'intérêt privé interdisant aux enfants de moins de 12 ans de travailler dans les usines et a limité la journée de travail à 10 heures pour les femmes et les enfants. D'autres propositions prévoyaient que des inspecteurs du gouvernement appliquent des normes minimales de propreté et de sécurité dans les manufactures.15 Bergin, s'appuyant sur sa solide formation en sciences humaines, a présenté des arguments éloquents et passionnés détaillant l'histoire de la révolution industrielle britannique. Il a déclaré au Parlement, « Je sais, Monsieur, que bon nombre des fléaux qui ont affligé le système britannique se glisseront dans le nôtre si des mesures ne sont pas prévues par la législation. L'avenir des enfants est entre nos mains, et je pense que leur appel ne sera pas vain ».16 Malheureusement, aucune des propositions de Bergin n’a été accueillie, frustrant grandement le médecin. Les historiens, cependant, ont observé que ses travaux n'ont pas été entièrement infructueux, car ils ont rehaussé le profil de ce qui était considéré à l'époque comme un sujet honteux. En 1886, l'Assemblée législative de l'Ontario a adopté la Factories Act, et le gouvernement fédéral, pour ne pas être surpassé par sa contrepartie provinciale, a lancé la Royal Commission on the Relations of Labour and Capital en 1887. La législation et la Royal Commission ont réalisé les premiers progrès en reconnaissant et en remédiant aux maux qui sévissaient à l'époque dans l'industrie canadienne.17

Bergin était également passionné par le développement agricole et industriel de l'Est de l'Ontario. Lui et son frère John ont exploité la Stormont Stock Farm qui élevait des trotteurs et du bétail.18 Il a vu l'importance de relier l'Est de l'Ontario au reste de la province. En 1842, la Province unie du Canada a établi le canal de Cornwall pour améliorer la navigation le long du fleuve Saint-Laurent. En une décennie, le canal est devenu un élément crucial d'un réseau de transport avec les canaux Iroquois, Galop et Faran Point.19 Dans les années 1870, le réseau commençait à accuser son âge, et Bergin préconisait sa réparation et son expansion au profit du commerce entre Cornwall à l’est à Montréal et à l’ouest à Toronto, le long du fleuve Saint-Laurent. Bergin a également été l'un des administrateurs fondateurs de l’Ontario Pacific Railway Company, constituée en société en 1882. Malgré son nom ambitieux, le chemin de fer devait initialement relier Cornwall à Ottawa. Au moment de la mort de Bergin, la ligne était incomplète et la société était presque insolvable. En 1897, elle fut rebaptisée Ottawa and New York Railway Company, et la ligne vers Ottawa fut terminée deux ans plus tard. En 1916, la ligne a été louée par le New York Central et achetée plus tard par la société en 1956, qui l'a abandonnée deux ans plus tard en 1958.20

Malgré ses nombreuses contributions à l’avancement de Cornwall et de l’Est de l’Ontario, Bergin est peut-être mieux connu pour son mandat bref — quoiqu’influent — de premier chirurgien général au Canada. Des problèmes de longue date entre les Métis et le gouvernement du Canada ont atteint leur paroxysme au printemps de 1885 lorsque Louis Riel a déclaré un gouvernement provisoire de la Saskatchewan. En réponse aux troubles occidentaux, le gouvernement de Sir John A. Macdonald a autorisé la mobilisation de 3 000 miliciens. En avril 1885, Bergin, bien connu à Ottawa pour ses relations médicales et ses compétences organisationnelles, est appelé à créer, à doter en personnel et à fournir un service de santé.21

Créer un service de santé à partir de zéro n'était pas une mince affaire, comme l'a observé Bergin : « Je n'étais pas inconscient des difficultés de la situation. Il n’y avait aucun service de santé départemental constitué, aucun hôpital de campagne ni service d’ambulance, aucune association d’infirmières organisée, aucune méthode déterminée de reconnaissance de sociétés comme la St. John’s Hospital Aid Society, la Croix-Rouge et d’autres associations caritatives similaires ».22 Bergin s'est empressé de créer une hiérarchie administrative et a doté le service de chirurgiens, de bandagistes et d'infirmières. Il a évalué les fournitures et l'équipement disponibles et a fait fabriquer des articles spécialement s'ils n'existaient pas. Il a également construit des ponts et a sollicité l'aide de ces associations civiles et sociétés caritatives clés. Son travail était impressionnant, bien que de courte durée. En 1886, la rébellion du Nord-Ouest a pris fin, et le service de santé qu'il avait organisé s’est dissous. Les chirurgiens, les bandagistes et les infirmières nouvellement recrutés sont retournés à la vie civile et Bergin, bien que classé au grade de colonel et de chirurgien général en titre, n'avait aucune fonction officielle et ne recevait aucune rémunération.23

En 1893, Bergin a contracté une maladie chronique qui, ironiquement, n’a pas pu être diagnostiquée par ses collègues médecins. Malgré sa maladie, il a continué d'être député jusqu'à sa mort en 1896. La nouvelle de son décès a été annoncée dans tout le Canada et dans tout l'Empire britannique. Ses funérailles, annoncées par notice nécrologique dans le British Medical Journal, ont été célébrées au Old Roman Catholic Burying Ground à Flanagan’s Point et ont été « les plus importantes connues dans l'Est du Canada depuis l'enterrement de John Stanfield Macdonald ».24

Le Dr Darby Bergin a été un homme accompli aux intérêts et aux réalisations multiples. Il a été médecin, homme politique fédéral, activiste communautaire, fonctionnaire, défenseur du travail et industriel; une étrange combinaison d'intérêts disparates et parfois contradictoires. Néanmoins, sa nature éclectique et sa constitution infatigable offrent un témoignage durable d'un homme qui a consacré toute sa vie au service de la population de l'Est de l'Ontario.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à exprimer sa gratitude à Michael Eamon pour le travail de recherche effectué dans le cadre de la rédaction de cet article.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2016


1 « Bergin, Lieut. Col. Darby, MD (Cornwall and Stormont) », dans J.A. Gemmill, édit. The Canadian Parliamentary Companion, 1883, (Ottawa : J. Durie and Son, 1883), p. 87.

2 « Surgeon General Bergin – Factory Labor Reform », Man, A Canadian Home Magazine 1,3 (janvier 1886), p. 112.

3 À cette époque, l’Amérique du Nord britannique comprenait le Haut-Canada et le Bas-Canada, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, la Terre de Rupert et les Territoires du Nord-Ouest, ainsi que les Antilles britanniques.

4 Pour en savoir plus au sujet des méthodes d’enseignement éclectiques et radicales dans Lumières écossaises, consulter Michael Eamon, « Finding Enlightenment in the National Archives: The Commonplace Book of James Sholto Douglas », Archivaria 51 (printemps 2001), pp. 163-169.

5 Pour en savoir plus, consulter Joseph Hanaway et Richard Cruess, McGill Medicine, Volume 1: The First Half Century 1829-1885, (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1996), pp. 17-20.

6 « Dr. Bergin », Dominion Medical Monthly and Ontario Medical Journal 7,6 (décembre 1896): p. 635.

7 Annual Announcement of the Faculty of Medicine of McGill College, for the Session 1857-58, (Montréal : John Lovell, 1857), p. 23.

8 « Dr. Bergin », Dominion Medical Monthly and Ontario Medical Journal 7,6 (décembre 1896): p. 635.

9 Ibid.

10 « Bergin, Lieut.-Col. Darby, MD (Cornwall and Stormont) », dans J.A. Gemmill, édit. Canadian Parliamentary Companion, 1891, (Ottawa : J. Durie and Son, 1891), pp. 106-107.

11 Ramrod, « Correspondence: The Rank of Surgeon General », Canadian Military Gazette, 12 janvier 1888, p. 221.

12 « Militia General Orders, 21st May », Canadian Military Gazette, 5 août 1886, p. 438.

13 « Bergin, Lieut.-Col. Darby, MD (Cornwall and Stormont) », dans J.A. Gemmill, édit. Canadian Parliamentary Companion, 1891, (Ottawa : J. Durie and Son, 1891), p. 107.

14 « Surgeon General Bergin – Factory Labor Reform », Man, A Canadian Home Magazine 1,3 (janvier 1886), p. 114.

15 Charles G. Roland, « Bergin, Darby », dans Dictionnaire biographique du Canada, volume 12, University of Toronto/Université Laval, 2003, consulté le 20 mai 2016.

16 « Surgeon General Bergin – Factory Labor Reform », Man, A Canadian Home Magazine 1,3 (janvier 1886), p. 113.

17 Lorna F. Hurl, « Restricting Child Factory Labour in Late Nineteenth Century Ontario », Labour/Le Travail 21 (printemps 1988), p. 93-96.

18 Charles G. Roland, « Bergin, Darby », dans Dictionnaire biographique du Canada, volume 12, University of Toronto/Université Laval, 2003, consulté le 20 mai 2016.

19 Christopher Andreae, édit. Lines of Country: An Atlas of Railway and Waterway History in Canada, (Erin : Boston Mills Press, 1997), p. 203.

20 Ibid., p. 125, p. 201.

21 The Medical and Surgical History of the Canadian North-West Rebellion of 1885, As Told By Members of the Hospital Staff Corps, (Montréal : John Lovell and Son, 1886), 1.

22 Ibid.

23 « In Parliament », Canadian Military Gazette, 30 juin 1887, p. 810.

24 « Obituary », 13 décembre 1896, British Medical Journal (London), p. 1749.