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Dianna Boileau, le Dr Harold Challis et les droits des personnes transgenres

Le 31 mars 2023, Journée internationale de visibilité transgenre, cette plaque a été dévoilée par la Fiducie du patrimoine ontarien et Borderland Pride au musée et centre culturel de Fort Frances, puis installée de façon permanente devant l'hôpital La Verendrye à Fort Frances.

Voici le texte de la plaque bilingue :

DIANNA BOILEAU, LE Dr HAROLD CHALLIS ET LES DROITS DES PERSONNES TRANSGENRES

    En 1970, Dianna Boileau (v. les années 1930-2014) est devenue la première Canadienne à subir une chirurgie d'affirmation de genre. Le catalyseur de la transition de Dianna est le Dr Harold Challis, un médecin britannique de l'hôpital La Verendrye de Fort Frances, la ville natale de Dianna, qui a une compréhension rare et progressiste du genre pour l'époque. Le Dr Challis a vu Dianna fréquemment dans sa jeunesse et a appris les difficultés qu'elle rencontrait parmi ses pairs. Ses conseils ont aidé Dianna et sa famille dans sa transition pour commencer à vivre ouvertement en tant que femme. En 1970, Dianna a subi une chirurgie d'affirmation de genre à la nouvelle clinique d'identité de genre du Clarke Institute of Psychiatry de Toronto. En 1972, elle a raconté sa vie dans une autobiographie révolutionnaire, relatant ses relations et son parcours médical, mais également les incidents de harcèlement, de discrimination et de mauvais traitements. La tempête médiatique internationale qui a suivi a permis de retracer les difficultés rencontrées par les personnes transgenres à son époque et de donner un visage public à la transition alors qu'il en existait peu. Dianna s'est mariée dans les années 1980 et a disparu de la scène publique. La lutte pour le financement provincial de la transition médicale s'est poursuivie jusqu'en 2008. Elle a contribué à unifier et à orienter le mouvement trans en Ontario pour les décennies à venir. En racontant publiquement son histoire, Dianna a contribué à faire connaître les droits des personnes transgenres et la transition médicale.

    DIANNA BOILEAU, DR. HAROLD CHALLIS AND TRANSGENDER RIGHTS

    In 1970, Dianna Boileau (c. 1930s-2014) became the first Canadian to receive gender-affirming surgery. The catalyst for Dianna’s transition was Dr. Harold Challis, a British physician at La Verendrye Hospital in Dianna’s hometown of Fort Frances, with a rare and progressive understanding of gender for the time. Dr. Challis saw Dianna frequently in her youth and learned of her struggles among her peers. His counsel helped Dianna and her family with her transition to begin living openly as a woman. In 1970, Dianna received gender-affirming surgery through the new Gender Identity Clinic at the Clarke Institute of Psychiatry in Toronto. In 1972, she told her life story in a ground-breaking autobiography, recounting her relationships and medical journey, but also incidents of harassment, discrimination and abuse. The international media blitz that followed traced the challenges of being trans in her time and provided a public face for transition when few existed. Dianna married in the 1980s and disappeared from the public eye. The fight for provincial funding for medical transition waged until 2008. It helped unify and focus the trans movement in Ontario for decades to come. By going public with her story, Dianna helped bring awareness to transgender rights and medical transition.

Historique

Aperçu

En 1970, Dianna Boileau (vers les années 1930-2014) a été la première Canadienne à subir une chirurgie d’affirmation de genre. Elle a relaté sa vie dans une autobiographie audacieuse publiée en 1972. Le catalyseur de la transition de Boileau est le Dr Harold Challis (mort en 1970), un médecin britannique de l’hôpital La Verendrye à Fort Frances, la ville natale de Boileau, qui voyait fréquemment Boileau lorsqu’elle était jeune adulte et qui a appris ses difficultés à l’école et parmi ses pairs. Le Dr Challis avait une compréhension rare et progressive du genre pour l’époque. Il a conseillé Boileau et sa famille dans les années 1950; son soutien a encouragé Dianna à commencer à vivre ouvertement comme une femme.

L’histoire de la vie de Dianna s’est déroulée parallèlement à celle des droits, de la lutte et de la reconnaissance des personnes transgenres en Ontario et au Canada, ainsi qu’à l’évolution de l’acceptation publique, de la protection juridique, des services sociaux et des soins médicaux pour les personnes transgenres. L’autobiographie de Boileau (Behold, I Am a Woman, tel que raconté par Felicity Cochrane) et la tempête médiatique internationale qui a suivi ont donné à de nombreux Canadiens un premier aperçu de ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’intervention médicale d’affirmation de genre. Pour les personnes transgenres de sa génération, Boileau a donné un visage public à la transition à une époque où peu de personnes transgenres étaient reconnues publiquement.

L’histoire de Dianna relate également les difficultés rencontrées par les personnes transgenres à son époque. Son autobiographie fait état d’incidents de harcèlement, de discrimination et d’abus, y compris une procédure pénale très médiatisée au cours de laquelle, bien qu’elle ait finalement été acquittée, elle a été exposée dans les médias nationaux et brièvement incarcérée dans un établissement pour hommes. Bon nombre de ces défis et obstacles systémiques continuent d’avoir des répercussions sur les personnes transgenres au Canada aujourd’hui. Les personnes transgenres font toujours partie des groupes les plus vulnérables de la société.

Qui sont les personnes transgenres?

Le terme générique « trans » ou « transgenre » désigne les personnes ayant des identités et des expressions de genre diverses qui diffèrent des normes de genre stéréotypées. Il inclut, entre autres, les personnes qui s’identifient comme transgenre, femme trans (homme à femme), homme trans (femme à homme), transsexuel, travesti, non-conforme au genre, variant de genre ou queer de genre.1 Le recensement canadien de 2021 a révélé que 0,33 % de la population de plus de 15 ans (environ 1 personne sur 300) s’identifiait comme transgenre ou non-binaire.2

Les personnes transgenres sont issues de tous les milieux et sont représentées dans toutes les classes sociales, professions, races, cultures, religions, régions et orientations sexuelles. Bien que les lois fédérales et provinciales sur les droits de la personne offrent maintenant une protection fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle et l’expression sexuelle, les personnes transgenres demeurent l’un des groupes les plus défavorisés de la société canadienne. Selon la Commission ontarienne des droits de la personne, « Ces formes de marginalisation sociale des personnes transgenres sont le résultat de craintes et de mythes sociétaux profonds à l’égard des personnes qui ne se conforment pas aux « normes » sociales relatives aux identités d’homme et de femme. Leur effet sur la vie quotidienne, la santé et le bien-être des personnes touchées est considérable ».3

Des études ont révélé que les personnes transgenres continuent d’être confrontées à des obstacles et à des discriminations en matière de soins de santé et d’emploi,4 pour échapper à la pauvreté5 et accéder à la justice.6 Certaines personnes transgenres sont isolées socialement et évitent les lieux publics par crainte du harcèlement.7 Plus des trois quarts des personnes trans ont eu des pensées suicidaires et 43 % ont tenté de se suicider.8 Les cours de justice et les tribunaux canadiens ont reconnu que les préjugés, la discrimination, le harcèlement et la violence à l’égard des personnes trans sont « importants et inquiétants ».9

Qu’entend-on par transition?

Le terme « identité de genre » fait généralement référence à l’expérience interne et individuelle d’une personne en matière de genre, tandis que le terme « expression de genre » fait généralement référence à la manière dont les personnes présentent publiquement leur genre, par exemple par leur comportement et leur apparence. Le terme « transition » fait référence à la période pendant laquelle une personne commence à vivre publiquement selon son identité de genre.

La transition est différente pour chaque personne, et la raison pour laquelle une personne choisit de recourir à la transition est à la fois personnelle et unique. La transition sociale consiste à changer son apparence, ses vêtements, son nom ou ses pronoms. La transition juridique consiste à changer de nom ou de marqueurs de genre sur les documents d’identité. La transition médicale peut inclure un traitement hormonal substitutif ou une chirurgie d’affirmation de genre.10

Les soins de santé axés sur l’affirmation de genre sont d’une importance vitale pour les personnes qui le souhaitent et qui en ont besoin, même si toutes les personnes transgenres, non binaires ou de genre différent ne choisissent pas de faire une transition médicale ou chirurgicale.11

L’histoire de la transition médicale en Ontario

En termes médicaux, les soins d’affirmation de genre peuvent aujourd’hui être définis comme les soins de santé psychologiques, sociaux et médicaux destinés à affirmer l’identité de genre d’une personne.12 Il s’agit d’une approche des soins dirigée par le patient, qui consiste à soutenir les personnes dans leur recherche d’une affirmation médicale, sociale et juridique.13

Toutefois, cela n’a pas toujours été le paradigme dominant. En effet, ce n’est qu’en 2013 que le concept stigmatisant de « trouble de l’identité de genre » a été retiré du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, au profit d’approches de soins plus inclusives et plus solidaires.14 En apportant ce changement, on a noté que la non-conformité de genre n’est pas en soi un trouble mental.

En effet, les premières approches en matière de soins médicaux pour les personnes trans étaient caractérisées par ces stigmates et ces obstacles. L’un des premiers programmes d’identité sexuelle en Ontario a été mis en place à l’Institut psychiatrique Clarke de Toronto (aujourd’hui le Centre de toxicomanie et de santé mentale, ou CAMH), qui a ouvert les portes de sa clinique d’identité sexuelle en 1968-1969.

Ce n’est toutefois qu’en 1978 que le ministère de la Santé a financé la clinique de l’Institut Clarke. En 1980, le Ministère a ajouté la chirurgie d’affirmation de genre (ou CAG) au barème des prestations, en faisant une prestation assurée en vertu de la Loi sur l’assurance-santé provinciale. Seule la clinique de l’Institut Clarke était autorisée par le Régime d’assurance-santé de l’Ontario à déterminer si un résident de l’Ontario était apte à subir une intervention de CAG. Cette recommandation était une condition préalable à la décision du Régime de l’assurance-santé de l’Ontario d’approuver ou non le remboursement des procédures de CAG du patient, bien que la recommandation de la clinique ne signifie pas l’admissibilité automatique au remboursement.15

Notamment, au cours de cette période, ce qui constituait des procédures de CAG n’a jamais été défini dans la réglementation, mais par convention, cela se limitait à la reconstruction des organes génitaux pour les transitions femme-homme et homme-femme, à la mastectomie bilatérale et au remodelage pour les transitions femme-homme. Le Régime de l’assurance-santé de l’Ontario a financé uniquement les services chirurgicaux et hospitaliers connexes. Les interventions chirurgicales visant à reconstruire les organes génitaux n’étaient pas pratiquées en Ontario.

Même avec cette ressource disponible, les personnes trans de l’Ontario cherchant à effectuer une transition médicale par le biais d’une chirurgie d’affirmation de genre devaient surmonter un certain nombre d’autres obstacles. L’une des conditions pour obtenir le soutien de la clinique était que la personne demandant un traitement chirurgical devait vivre « dans son genre » pendant au moins deux ans, y compris changer de nom et de désignation (un processus qui était difficile jusqu’à ces dernières années).16 Le processus de la Gender Identity Clinic soumettait également les patients à plusieurs tests physiques et psychologiques que les personnes trouvaient inconfortables, offensants et inappropriés.17 Dianna Boileau décrit certains de ces tests dans son autobiographie.

Le 26 août 1998, le gouvernement de l’Ontario a retiré la couverture publique de la CAG du barème des prestations que le gouvernement paierait pour les services médicaux assurés. Le Cabinet a toutefois ajouté une clause grand-parent, qui prévoyait que la CAG et tous les services connexes seraient assurés pour une personne qui avait suivi la clinique du CAMH en date du 1er octobre 1998.

Il a fallu attendre le 3 juin 2008 - après une décennie de plaidoyer persistant de la part de la communauté transgenre - pour que la province rétablisse le régime de chirurgie d’affirmation de genre.18 Il a fallu encore plus d’activisme de la part de la communauté transgenre pour mettre à jour les lignes directrices de 1998, qui continuaient d’exiger que les patients soient approuvés par plusieurs spécialistes et conseils avant d’être admissibles à la chirurgie.19

De nos jours, pour les personnes qui cherchent à obtenir des soins d’affirmation de genre couverts par l’Assurance-santé de l’Ontario, un diagnostic de dysphorie de genre est requis avant que des interventions médicales comme la chirurgie puissent avoir lieu.20 Toutes les formes de soins d’affirmation du genre ne sont pas couvertes par l’Assurance-santé de l’Ontario, et de nombreuses personnes doivent encore en assumer les coûts.

Qui était Dianna Boileau?

Dianna Boileau est née dans les années 1930 à Winnipeg, au Manitoba. Orpheline à un jeune âge, elle a été adoptée et élevée par des parents aimants (auxquels elle semble donner des pseudonymes dans son livre, sans doute pour des raisons de confidentialité) qui lui ont donné le nom de Clifford Cayer. Boileau a pris le nom de Dianna Adams pendant un certain temps, avant de devenir Dianna Boileau.

Boileau a grandi dans les années 1940 et 1950 à Rainy River et Fort Frances, qui sont de petites communautés du nord-ouest de l’Ontario. Boileau a fréquenté l’école secondaire de Fort Frances et a ensuite travaillé dans les bureaux d’un médecin et d’un avocat locaux.

En 1970, Boileau est devenue la première Canadienne à subir une chirurgie d’affirmation de genre. Elle a ensuite relaté son expérience et sa transition dans une autobiographie révolutionnaire intitulée Behold, I Am A Woman, tel que raconté par Felicity Cochrane. Ce livre a été publié par Pyramid Books en 1972. Bien qu’il soit aujourd’hui épuisé, on peut en trouver des exemplaires d’occasion et numériques en ligne.21

L’autobiographie de Dianna raconte qu’elle a découvert très tôt que, bien qu’elle soit née avec une anatomie masculine, elle s’identifiait comme une femme. Pendant son adolescence, Boileau a développé son identité en secret jusqu’à un voyage fatidique à Winnipeg. Voyageant seule en train, Boileau a revêtu des vêtements féminins avant d’arriver dans la ville - la première fois qu’elle apparaissait en tant que femme en public. Elle a fini par être démasquée par un directeur d’hôtel, qui a appelé la police. Les policiers l’ont gardée toute la nuit et l’ont emmenée à l’hôpital pour l’examiner. Ils ont à leur tour appelé ses parents pour qu’ils viennent la chercher, en leur disant qu’elle avait besoin d’une aide médicale.

De retour à Fort Frances, Boileau obtient l’appui du Dr Harold Challis, un éminent médecin local. Si la recherche médicale et la sexologie trans remontent à la fin des années 1800, elles ne faisaient pas partie de la plupart des pratiques dans les années 1950 et 1960. Le Dr Challis, un chirurgien généraliste, était avant-gardiste en matière de compréhension des questions d’identité et d’expression de genre. Il a conseillé Boileau et sa famille sur sa transition, et c’est grâce à son soutien qu’elle a pu assumer publiquement son identité féminine. Elle a ensuite travaillé à temps partiel au bureau du Dr Challis comme réceptionniste, puis au bureau de Charles Russell Fitch, C.R., un avocat local et ancien juge.22 Un compte rendu du rôle du Dr Challis dans l’histoire de Dianna est relaté dans un article de 2016 du Toronto Star par Katie Daubs.23

La famille de Boileau a fini par déménager à Port Arthur (qui est devenu Thunder Bay en janvier 1970) afin de lui permettre de prendre un nouveau départ en tant que femme. À l’âge adulte, Boileau a déménagé en Alberta, où elle a vécu à Calgary et à Edmonton, travaillant comme mannequin et sténographe. À un moment donné, elle s’est inscrite au concours Miss Calgary Stampede, mais n’a pas pu remplir le formulaire de candidature en raison de l’obligation de fournir un certificat de naissance.

Après avoir couru des risques en se faisant passer pour un homme biologique, Boileau et son amie Rosemary Sheehan déménagent à Toronto. Boileau y a continué de travailler comme sténographe juridique.

L’histoire de Dianna a pris une tournure tragique en 1962 lorsqu’elle a été impliquée dans un accident de voiture sur l’autoroute 401 qui a coûté la vie à Sheehan. Boileau est accusée de négligence criminelle causant la mort dans la conduite d’un véhicule à moteur et de conduite dangereuse. La caution a été fixée à 1 000 $ Dianna Boileau fut représentée dans sa procédure pénale par l’avocat Anthony Bazos, qui a offert une récompense pour toute information sur l’autre conducteur impliqué dans l’accident. Dianna a finalement été acquittée puisque la partie poursuivante a été incapable de corroborer le témoignage de son seul témoin.

Malgré la victoire juridique de Boileau, la publicité faite autour de l’affaire a été dévastatrice, conduisant à son alcoolisme et à une tentative de suicide. L’arrestation de Boileau et son examen au poste de police de Belmont Street ont révélé qu’elle était un homme biologique, ce qui a déclenché une couverture médiatique sensationnelle et des titres de journaux nationaux qui l’ont à plusieurs reprises dénaturée et ridiculisée. Parmi les titres nationaux, citons : « Une femme conducteur de 32 ans est reconnue comme étant un homme » et « Habillé en femme, l’homme est acquitté et pleure ».24 Le journal local de Rainy River a publié un article dérisoire sur son procès, apparemment sans se rendre compte de ses racines locales.25

Dans le sillage de son procès criminel, Boileau a établi des liens avec d’autres personnes transgenres à Toronto et a commencé à faire des recherches sur ce que nous appelons aujourd’hui la chirurgie d’affirmation du genre. À l’époque, cette chirurgie n’était pas encore disponible au Canada. Boileau prend des dispositions pour subir une intervention à New York. Son rétablissement est relaté dans son autobiographie.

De retour à Toronto, Boileau consulte une équipe de médecins à l’Hôpital général de Toronto afin d’obtenir une nouvelle intervention chirurgicale visant à retirer ses organes sexuels masculins et à créer des organes génitaux féminins. L’opération est jugée faisable, mais elle ne sera financée par l’Assurance-santé de l’Ontario que si la transition physique de Boileau obtient le soutien de l’Institut Clarke, alors dirigé par la Dre Betty Steiner (1920-1994). Boileau a subi une série d’examens médicaux et d’entrevues avant de subir l’opération en 1970.

À la suite de son opération, D. Boileau a de nouveau été propulsée sous les feux de la rampe.26 Felicity Cochrane, qui a coécrit l’autobiographie de Dianna Boileau, a publié le texte d’une entrevue avec Dianna dans un numéro de Chatelaine27 de 1971 et, en 1972, Dianna a été interviewée pour la télévision par Margo Lang de la CBC. La CBC a jugé l’entrevue de Boileau trop sujette à controverse et elle n’a jamais été diffusée (bien que le clip soit maintenant accessible au public dans les archives en ligne).28 Boileau a également été interviewé pour l’émission W5 de CTV, des journaux nationaux et d’autres médias.29 Un article paru en 1972 dans le Fort Frances Times au sujet du livre de Boileau a omis de reconnaître que l’autobiographie portait sur son séjour dans sa propre communauté.30

Après 1972, Dianna Boileau n’a plus fait d’apparition publique. Elle s’est mariée dans les années 1980, adoptant le nom de son conjoint31 et, selon le Toronto Star, s’est finalement installée dans une autre ville de l’Ontario. Felicity Cochrane a indiqué au Toronto Star que Boileau est décédée en 2014. Bien que Dianna ait pu vivre en tant que femme jusqu’à sa mort, on ne sait pas si les personnes les plus proches d’elle au cours de ses dernières décennies étaient au courant de sa transition, de son livre ou de sa notoriété publique.

L’importance historique de Dianna Boileau

Dianna Boileau a été la première Canadienne à bénéficier d’une chirurgie d’affirmation de genre. Ce traitement médical lui a permis de faire la transition qu’elle souhaitait et de vivre comme une femme. Ce faisant, elle a surmonté les défis, les barrières systémiques, les préjugés et les luttes auxquels les personnes LGBTQ2+ et surtout les personnes transgenres continuent à faire face de nos jours.

Ce qui est peut-être le plus remarquable dans l’histoire de Dianna Boileau, c’est qu’elle s’est déroulée dans le contexte peu propice d’une région rurale du nord-ouest de l’Ontario, à une époque où peu de gens avaient une compréhension des personnes transgenres autre que la stigmatisation. Lorsque Boileau a réalisé que son sexe biologique ne correspondait pas à son genre, elle n’avait probablement aucun modèle à prendre en exemple, aucun accès à des représentations positives des personnes LGBTQ2+ et aucune capacité à se « fondre » dans sa petite communauté. De nombreuses personnes transgenres de sa génération, surtout à l’extérieur des grands centres urbains, ne connaissaient pas d’autres personnes transgenres avant les années 1990. En fait, la plupart d’entre elles ne connaissaient pas de vocabulaire pour décrire leur identité ou leur expérience,32 même si elles se sentaient suffisamment en sécurité et soutenues pour le faire.

La seule raison pour laquelle nous connaissons aujourd’hui l’histoire de Dianna Boileau est que, contre toute attente, elle a survécu à cette épreuve et a décidé d’en faire part aux autres. Le catalyseur de son périple a commencé dans sa jeunesse, avec le soutien d’un médecin local progressiste. Interviewé par le Toronto Star au sujet de l’histoire de Boileau, Aaron Devor, titulaire de la chaire d’études sur la transidentité et fondateur des Transgender Archives à l’Université de Victoria, a déclaré que les médecins qui travaillaient avec des personnes transgenres dans les années 1950 étaient extrêmement rares et que, pendant les décennies suivantes, ce concept était encore étranger à la plupart des gens, la plupart des professionnels estimant que les personnes transgenres devaient être « convaincues de ces notions étranges ».33 La rencontre fortuite de Dianna Boileau avec le Dr Challis dans une communauté nordique éloignée lui a probablement apporté, à elle et à sa famille, le soutien et la confiance nécessaires pour le périple qui a suivi.

Alors que la chirurgie d’affirmation du genre de Boileau a été une satisfaction personnelle, le profil public qu’elle a généré dans les années qui ont suivi a également insufflé du courage à d’autres personnes en transition et a permis de sensibiliser les gens aux identités transgenres pour la première fois dans de nombreuses régions du Canada. Avant la publication de son histoire et la diffusion dans les médias internationaux qui ont suivi, les interventions médicales d’affirmation de genre, comme la chirurgie, étaient relativement inconnues.

Les ArQuives - les archives LGBTQ2+ du Canada - notent que la plupart des historiens et des militants communautaires LGBTQ2+ s’accordent à dire que la lutte pour que la chirurgie d’affirmation de genre soit une procédure médicalement couverte a contribué à unifier et à concentrer le mouvement trans en Ontario.34 Ce mouvement a finalement mené à d’autres réalisations, comme l’adoption en 2012 de la Loi de Toby (également connue sous le nom de projet de loi 33), qui a ajouté l’identité et l’expression sexuelles comme motifs de discrimination interdits par le Code des droits de la personne de l’Ontario.35

Dianna Boileau a été parmi les premières pionnières au Canada à évoluer dans ce paysage politique et médical difficile et à chercher un soutien médical pour son identité. Son courage et sa conviction, face à la controverse publique et au soutien tiède des institutions, ont été déterminants pour sa transition personnelle et médicale. Le profil public et la franchise de son histoire ont permis de faire connaître les soins d’affirmation de genre à son époque. Interprétée dans le contexte contemporain, son histoire reflète également le rôle vital des membres de la communauté médicale qui apportent leur soutien et leur compréhension, comme l’implication du Dr Challis, dans la survie et l’épanouissement des personnes transgenres et des personnes de genre différent.


© Fiducie du patrimoine ontarien, 2022-2023

La Fiducie du patrimoine ontarien tient à remercier Douglas W. Judson pour les recherches qu’il a effectuées dans le cadre de la préparation du présent document. La Fiducie remercie également Borderland Pride, les ArQuives, les archives LGBTQ2+ du Canada, le musée de Fort Frances et le professeur Aaron Devor, titulaire de la chaire d’études sur la transidentité de l’Université de Victoria, pour leurs recherches et leur aide dans la révision des versions préliminaires de ce document.


1 Commission ontarienne des droits de la personne. « Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur l’identité sexuelle et l’expression de l’identité sexuelle » (31 janvier 2014), p. 3. Disponible ici. Dianna utilise le terme « transsexuel » dans son livre, bien que de nombreuses personnes trouvent maintenant que ce terme est pathologisant.

2 V V.S. Wells. « Transgenre ». L’encyclopédie canadienne (16 septembre 2022). Disponible ici. « Sexe à la naissance et genre – Matériel promotionnel du Recensement de 2021 ». Statistique Canada (27 avril 2022). Disponible ici.

3 Commission ontarienne des droits de la personne. « Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur l’identité sexuelle et l’expression de l’identité sexuelle » (31 janvier 2014), p. 5. Disponible ici.

4 Jake Pyne et coll. « Improving the Health of Trans Communities: Findings from the Trans PULSE Project ». Présentation lors du Trans Health Advocacy Summit (24 août 2012). Disponible ici (en anglais seulement).

5 G. Bauer et coll. « Qui sont les personnes trans en Ontario? » Bulletin électronique Trans PULSE (26 juillet 2010). Disponible ici.

6 J. James, et coll. « Problèmes juridiques rencontrés par les personnes trans en Ontario, TRANSformer la JUSTICE : Évaluation des besoins juridiques trans en Ontario, Rapport sommaire 1 » (6 septembre 2018). Disponible ici.

7 A. Scheim, G. Bauer et J. Pyne, « Évitement des espaces publics par les personnes trans d’Ontario : L'impact de la transphobie sur la vie quotidienne ». Bulletin électronique Trans PULSE (16 janvier 2014). Disponible ici.

8 Ci-dessus, note 4.

9 « Brodeur v. Ontario (Health and Long-Term Care) », 2013 HRTO 1229 au par. 41. Disponible ici; voir également XY v. Ontario (Government and Consumer Services) », 2012 HRTO 726 au par. 15. Disponible ici.

10 Certaines ressources utilisent plutôt le terme « affirmation de genre ».

11 Ci-dessus, note 2.

12 « The ‘life-saving’ science behind gender-affirming care for youth ». Medical News Today (n.d.). Disponible ici (en anglais seulement).

13 Timothy M. Smith, « What to know about gender-affirming care for younger patients ». American Medical Association (21 décembre 2021). Disponible ici (en anglais seulement).

14 « Gender Dysphoria ». American Psychiatric Association (2013). Disponible ici (en anglais seulement).

15 « A detailed history is set out in Hogan v. Ontario (Health and Long-Term Care) », 2006 HRTO 32. Disponible ici.

16 « History of CGS in Ontario ». The ArQuives: Canada’ LGBTQ2+ Archives (n.d.). Disponible ici (en anglais seulement).

17 Idem.

18 Rob Ferguson. « OHIP to cover sex changes ». Toronto Star (16 mai 2008). Disponible ici (en anglais seulement).

19 Ci-dessus, note 15; Laura Fraser. « Ontario boosts access for trans people seeking gender confirmation surgery », CBC (6 mars 2016). Disponible ici (en anglais seulement).

20 « Chirurgie affirmative du genre ». Gouvernement de l’Ontario (n.d.). Disponible ici. La dysphorie de genre est le sentiment de malaise ou de détresse qui peut survenir chez les personnes dont l’identité de genre diffère du sexe qui leur est attribué à la naissance ou des caractéristiques physiques liées au sexe. Selon la Mayo Clinic, les personnes transgenres ou de diverses identités de genre peuvent éprouver une dysphorie de genre à un moment donné de leur vie; cependant, certaines personnes transgenres ou de diverses identités de genre se sentent bien dans leur corps, avec ou sans intervention médicale. Voir ce site Web (en anglais seulement).

21 D. Boileau et F. Cochrane. « Behold, I Am A Woman ». Pyramid Books (1972). Disponible ici (en anglais seulement).

22 In the Matter of the Judge’s Act, R.S.O., c. 138, and In the Matter of an Investigation into Certain Charges Against His Honour Justice Charles Russell Fitch, District Judge of the District of Rainy River, Under a Royal Commission Issued to the Honourable Mr. Justice Hodgins, dated the 24th day of April 1915; John Cousineau, « C.R. Fitch, Q.C. », Fort Frances Times (13 mars 1998, réimprimé le 11 février 2021).

23 Katie Daubs. « The woman who was trans before her time ». Toronto Star (27 mars 2016). Disponible ici (en anglais seulement).

24 « Woman Driver, 32, Found to Be Male », Globe and Mail (16 juin 1962); « Man Dressed as Woman; Lawyer, Magistrate in Conflict », Globe and Mail (21 juillet 1962); « Dressed as Woman, Man Acquitted, Sobs », Globe and Mail (7 septembre 1962); « Dressed as Woman, Man Goes on Trial », Globe and Mail (8 février 1963); « All-Male Jury Acquits Driver in June Death », Globe and Mail (12 février 1963).

25 « She’s a He ». Rainy River Record (2 août 1962).

26 Kathleen Rex, « Canada’s first sex-swapper asks for understanding ». Globe and Mail (16 septembre 1970).

27 Felicity Cochrane. « The Canadian Man who became a Woman », Chatelaine (novembre 1971).

28 Margo Lang. « Dianna: Canada’s first sex change patient ». CBC (19 mai 1972). Disponible ici (en anglais seulement).

29 Daniele Hamamdjian. « Dramatic increase in children and youth seeking gender treatments has some experts alarmed ». CTV News (23 octobre 2021). Disponible ici (en anglais seulement).

30 « Dianna writes of sex change ». Fort Frances Times (12 avril 1972).

31 Ci-dessus, note 3 : tel que noté dans cet article du Toronto Star paru en 2016 : « Boileau » est le nom de famille que Dianna utilisait pour traiter avec les médias. Le nom de famille de son conjoint est inconnu.

32 Le terme « transsexuel » est utilisé par Dianna dans son livre et d’autres entrevues.

33 Ci-dessus, note 23.

34 Ci-dessus, note 16.

35 Loi de Toby (sur le droit à l’absence de discrimination et de harcèlement fondés sur l’identité ou l’expression sexuelle), 2012, L.O. 2012, chap. 7. Disponible ici.