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Le drapeau franco-ontarien

La plaque commémorant le drapeau franco-ontarien a été dévoilée par la Fiducie du patrimoine ontarien et par l’association canadienne-française de l’Ontario du grand Sudbury à l’Université de Sudbury le lundi 25 septembre 2017.

Voici le texte de la plaque bilingue :

LE DRAPEAU FRANCO-ONTARIEN

    Le drapeau franco-ontarien a été hissé pour la première fois à l’Université de Sudbury le 25 septembre 1975 dans le contexte d’une explosion artistique et culturelle franco-ontarienne sans précédent à Sudbury. Conçu par Gaétan Gervais, historien à l’Université Laurentienne, et Michel Dupuis, un étudiant, le premier drapeau a été fabriqué par Jacline England, une étudiante et membre du personnel de l’université. Un comité est également créé pour promouvoir sa diffusion. En refusant de s’attribuer le mérite de sa conception, ses créateurs espèrent que la communauté franco-ontarienne fasse sien le nouveau drapeau. Il est adopté comme un symbole rassembleur présent durant les moments de lutte et de résistance, que ce soit lors de la crise scolaire de Penetanguishene en 1979 ou durant la campagne SOS Montfort à Ottawa en 1997. En 2001, la législature ontarienne le reconnaît comme l’emblème officiel de l’Ontario français et, depuis 2010, le Jour des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes est célébré annuellement le 25 septembre. Aujourd’hui, le drapeau vert et blanc qui arbore le lys français et le trille ontarien est le plus important symbole de cette communauté diversifiée et représente plus de 400 ans de présence française en Ontario.

THE FRANCO-ONTARIAN FLAG

    The Franco-Ontarian Flag was first raised at the University of Sudbury on September 25, 1975, at a time when Sudbury was experiencing unprecedented growth in Franco-Ontarian arts and culture. Conceived by Gaétan Gervais, historian at Laurentian University, and student Michel Dupuis, the first flag was made by Jacline England, a student and staff member at the university. Refusing to take sole credit for the flag, its creators hoped that the Franco-Ontarian community would claim it as their own and a committee was formed to promote it. The flag was adopted as a unifying symbol during times of struggle and resistance, such as the Penetanguishene school crisis of 1979 and the SOS Montfort campaign in Ottawa in 1997. In 2001, the Ontario Legislature officially recognized the flag as the emblem of the Ontario French-speaking community. Since 2010, Franco-Ontarian Day has been celebrated annually on September 25. Today, the green and white flag with the French lily and the Ontario trillium endures as the most prominent symbol of the province’s diverse francophone community and represents more than 400 years of the French presence in Ontario.

Historique

Le drapeau franco-ontarien est hissé pour la première fois le 25 septembre 1975 devant l’Université de Sudbury. Nul ne sait à l’époque que les instigateurs du projet sont Michel Dupuis, étudiant en deuxième année en sciences politiques, et Gaétan Gervais,1 jeune professeur d’histoire à l’Université Laurentienne. Pourquoi les Franco-Ontariens ont-ils alors besoin de se doter d’un drapeau? Le Canada n’en a-t-il pas adopté un en 1965, de même que l’Ontario peu de temps après?

Une identité canadienne-française en évolution

La genèse du drapeau franco-ontarien tient en partie aux profonds bouleversements des identités canadiennes-françaises dans les années d’après-guerre. Au Québec, la montée du nationalisme contribue à l’émergence d’un État francophone plus fort et accélère la laïcisation des institutions de la province. Des tensions apparaissent alors entre les traditionalistes canadiens-français, qui considèrent le Canada comme un pacte entre deux nations fondatrices dont les minorités canadiennes-françaises font partie intégrante, et les néonationalistes québécois, qui souhaitent une plus grande autonomie pour leur province et voient dans le Canada, selon la formule de Marcel Chaput, le « tombeau des minorités ».2

L’essor du séparatisme au Québec ébranle encore davantage le cœur du Canada français, comme en témoignent l’éclatement de l’Ordre de Jacques-Cartier, société secrète nationaliste, en 1965, et les tristement célèbres États généraux du Canada français tenus en 1966, 1967 et 1969.3 L’historiographie traditionnelle considère cet événement comme un schisme qui marque non seulement l’éclatement du Canada français comme projet national, mais aussi le début de la provincialisation des identités francophones.4

Les élites canadiennes-françaises en Ontario s’attellent désormais à obtenir de nouveaux droits linguistiques auprès de la province, à la faveur d’un nouveau financement fédéral émanant du secrétaire d’État. C’est dans ce contexte que les premières écoles secondaires publiques de langue française ouvrent leurs portes à Sudbury et à Vanier (Ottawa) en 1969. Les années 1970 s’avèrent une décennie bouillonnante d’innovations pour les Franco-Ontariens, notamment à Sudbury, où a lieu une véritable « explosion culturelle », marquée par la création d’un certain nombre d’institutions, encore en activité aujourd’hui, dont le Théâtre du Nouvel-Ontario en 1971 et les Éditions Prise de parole en 1973. Il n’est guère étonnant que la Ville du nickel soit aussi le berceau, deux ans plus tard, du symbole le plus visible de la communauté francophone de l’Ontario : le drapeau franco-ontarien.

Le drapeau, un emblème fédérateur?

Contrairement au drapeau canadien en 1965 ou au drapeau acadien en 1884, la genèse du drapeau franco-ontarien relève quelque peu du mystère. Aucun concours national ni aucune assemblée générale ne sont organisés pour le créer. Conçu dans le plus grand secret par Gaétan Gervais et Michel Dupuis, le drapeau est cousu par Jacline England, alors étudiante et adjointe administrative à l’Université Laurentienne. Malgré la présence d’une cinquantaine de personnes et de la presse anglophone et francophone à la cérémonie de lever du drapeau, le public ignore complètement qui est à l’origine du projet. Gervais et Dupuis refusent en effet de s’en attribuer le mérite. Guy Gaudreau indiquera en 2005 qu’il lui aura fallu 15 ans pour comprendre que le drapeau était l’œuvre de son collègue.5 Les deux concepteurs du drapeau contribuent toutefois activement à sa promotion par l’intermédiaire du Comité du drapeau, en vue de le faire connaître aux quatre coins de l’Ontario francophone.

Par sa simplicité, le drapeau franco-ontarien, à l’instar d’autres étendards, se veut facilement reconnaissable. Sa fleur de lys, symbole de la francophonie, rappelle clairement les 400 ans de présence française en Ontario et traduit le profond enracinement de la communauté franco-ontarienne, tandis que le trille affirme l’attachement de la communauté à la province. S’agissant des couleurs, il existe un grand décalage entre, d’une part, l’interprétation généralement admise, selon laquelle le blanc symbolise les rigoureux hivers de l’Ontario et le vert ses forêts luxuriantes, et, de l’autre, la réalité.6 En effet, les couleurs sont choisies à l’époque pour éviter le rouge du drapeau canadien et le bleu du drapeau québécois. Il s’agit, après tout, d’établir un étendard proprement franco-ontarien.7 De plus, le drapeau doit être un emblème de ralliement sans pour autant être perçu comme une provocation par le Canada anglais. Les réactions initiales sont mitigées, voire sarcastiques. Le Sudbury Star se pose ainsi la question : « Si les Franco-Ontariens ressentent le besoin de se doter d’un drapeau, pourquoi ne pas en créer un autre (avec des lions, bien sûr) pour les Anglos […]? ».8 Donald Dennie, sociologue marxiste et professeur à la retraite, critique lui aussi le drapeau, qu’il qualifie de symbole élitiste imposé aux Franco-Ontariens.9 En revanche, Lorenzo Cadieux, fondateur de la Société historique du Nouvel-Ontario, estime pour sa part que le drapeau traduit une réalité historique pour les Franco-Ontariens.10

Malgré les premiers avis en demi-teinte, le drapeau s’impose progressivement. Il apparaît dans le documentaire J’ai besoin d’un nom, sorti en 1978, où l’on voit les membres d’une troupe de théâtre d’Ottawa recréer la Passion du Christ lors de l’assemblée générale annuelle de l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO) en 1976 à Sudbury, en remplaçant la croix par un cercueil drapé du drapeau franco-ontarien.11 Un an plus tard, l’ACFO en fait le drapeau officiel de l’Ontario francophone.12 En octobre 1978, il est hissé à l’école secondaire de Hearst,13 puis en 1979 à l’« école de la résistance » de Penetanguishene lors de la fameuse crise scolaire du comté de Simcoe.14 En septembre 1982, après avoir été un objet de résistance, il finit par devenir un élément permanent de l’Université Laurentienne.15 Flottant au mât des écoles, des centres culturels, des collèges et d’autres institutions francophones, il constitue un symbole omniprésent de la société franco-ontarienne d’aujourd’hui.

Reconnaissance officielle

En 2001, le drapeau est officiellement reconnu par l’Assemblée législative de l’Ontario comme emblème officiel des Franco-Ontariens.16 En 2010, le 25 septembre, date anniversaire du drapeau, est proclamé comme le Jour des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes.17 Devenu un véritable outil de lutte pour la population franco-ontarienne, notamment lors de la crise SOS Montfort en 1997,18 le drapeau s’impose désormais largement comme le symbole de la communauté francophone de la province.19 Aujourd’hui, il symbolise plus de 400 ans de présence française en Ontario et représente une communauté diversifiée de plus de 611 000 personnes.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à exprimer sa gratitude à Serge Miville pour le travail de recherche effectué dans le cadre de la rédaction de cet article.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2017


1 Une récente biographie de Gaétan Gervais souligne sans équivoque l’importance de Gervais dans le paysage intellectuel de l’Ontario francophone. François-Olivier Dorais, Un historien dans la cité : Gaétan Gervais et l’Ontario français, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2016.

2 Marcel Chaput, Pourquoi je suis séparatiste, Montréal, Les Éditions du jour, 1961. La riche historiographie sur le sujet fait régulièrement l’objet de débats.

3 Beaucoup a été écrit sur les États généraux et leur rôle comme point de rupture symbolique entre les Canadiens français. Pour consulter les études universitaires les plus récentes sur cet événement, voir Jean-François Laniel et Joseph Yvon Thériault (dir.), Retour sur les États généraux du Canada français : continuités et ruptures d’un projet national, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2016.

4 Les très nombreux travaux universitaires sur le sujet continuent de susciter d’intenses discussions. Ce débat historiographique n’est toutefois pas utile aux fins du présent article, et nous pensons qu’il vaut mieux se référer à deux ouvrages historiques qui illustrent le mieux cette discussion : Marcel Martel, Le deuil d’un pays imaginé : rêves, luttes et déroutes du Canada français, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1997; Gaétan Gervais, Des gens de résolution : le passage du « Canada français » à l’« Ontario français », Sudbury, Prise de parole/Institut franco-ontarien, 2003. Les personnes intéressées par un compte rendu en langue anglaise peuvent consulter l’ouvrage suivant : Marcel Martel, French Canada: An Account of its Creation and Breakup, 1850-1967, Canadian Historical Association/Société historique du Canada, 1998, vol. 24 (aussi disponible en français sous le titre Le Canada français : récit de sa formulation et de son éclatement, 1850-1967).

5 Guy Gaudreau (dir.), Le drapeau franco-ontarien, Sudbury, Prise de parole/ACFO du grand Sudbury inc., 2005, p. 7.

6 Stéphanie St-Pierre, « Le drapeau franco-ontarien : “puissent ses couleurs nous rallier dans une nouvelle amitié et fraternité” 1975-1977 », dans Guy Gaudreau, op. cit., p. 14-15.

7 Ibid., p. 14.

8 « Questions raised along with ‘flag’ », The Sudbury Star, 27 septembre 1975, p. 4, cité dans Stéphanie St-Pierre, « Le drapeau franco-ontarien ».

9 Donald Dennie, « Le Franco-Ontarien », Le Voyageur, 2 novembre 1977, p. 41, cité dans Stéphanie St-Pierre, « Le drapeau franco-ontarien ».

10 Stéphanie St-Pierre, « Le drapeau franco-ontarien », p. 38.

11 J’ai besoin d’un nom, réalisé par Paul Lapointe, 1978, Toronto, Office national du film du Canada, Studio Ontarois.

12 Stéphanie St-Pierre, « Le drapeau franco-ontarien », p. 41.

13 Jean Gagnon, « Le drapeau franco-ontarien flotte au mât de l’école secondaire de Hearst », Le Nord, 11 octobre 1978, p. 1.

14 L’« école de la résistance » du centre-ville de Penetanguishene était une école de langue française illégale installée dans un ancien bureau de poste de la rue Main en 1979.

15 « Déploiement du drapeau franco-ontarien à la Laurentienne, un pavillon, un symbole, une identité », Le Voyageur, 29 septembre 1982, p. 1.

16 Emblème franco-ontarien (Loi de 2001 sur l'), L.O. 2001, chap. 5.

17 Projet de loi 24, Loi de 2010 sur le Jour des Franco-Ontariens et des Franco-Ontariennes, 2e session, 39e législature, L.O. 2010, chap. 4.

18 Michel Gratton, Montfort : la lutte d’un peuple, Ottawa, CFORP, 2003.

19 Paradoxalement, la ville de Sudbury, où le drapeau a été conçu, est tout d’abord réticente à l’idée de faire flotter le drapeau. En 2003, l’« affaire du drapeau » divise profondément Sudbury, les opposants au drapeau le jugeant antinomique avec le multiculturalisme canadien. La question ne sera résolue qu’en 2006 lorsque la ville décide d’adopter le symbole et de le faire flotter en permanence devant la mairie. Denise Quesnel, « Un mouvement politique indécis, 1995-2004 », dans Guy Gaudreau, Le drapeau franco-ontarien, p. 87-98; Stéphany Laperrière, « Le drapeau franco-ontarien flotte devant l’hôtel de ville du Grand Sudbury depuis 10 ans », SRC Nord-Ontario, 1er décembre 2016.