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L'épidémie de variole de 1884 à hungerford

Le 22 octobre 2009, la Fiducie du patrimoine ontarien et la Tweed & Area Historical Society ont dévoilé une plaque provinciale au Lions Hungerford Hall de Tweed, Ontario, pour commémorer l’épidémie de variole de 1884 à Hungerford.

Voici le texte de la plaque bilingue :

L’ÉPIDÉMIE DE VARIOLE DE 1884 À HUNGERFORD

    La maladie virale de la variole — répandue au XIXe siècle en Ontario — provoque une grave épidémie dans le canton de Hungerford en 1884. L’épidémie cause le décès de 45 personnes parmi les 202 cas de variole signalés et perturbe l’activité économique et la vie familiale de nombreux autres citoyens. Les efforts déployés localement par les autorités municipales et les médecins privés ne parviennent pas au départ à enrayer la maladie et sa propagation dans toute la province semble inévitable. Le tout nouveau conseil de santé et les médecins à son service ordonnent des fumigations, l’isolement des malades et une campagne de vaccination massive. Le conseil parvient à juguler la maladie, faisant ainsi la preuve de la valeur de mesures de santé publique appliquées uniformément et de façon coordonnée. L’expérience de Hungerford démontre l’importance d’un vaccin de qualité, de fournitures fiables et de vaccinateurs compétents. Les mesures prise en 1884 par le conseil de santé transforment la façon dont l’Ontario lutte par la suite contre les maladies infectieuses et entraînent la création de plus de 400 conseils de santé locaux chargés d’appuyer la prestation de services médicaux essentiels. L’intervention dynamique et novatrice de l’Ontario lors de cette épidémie lui vaut, au milieu des années 1840, une réputation enviable à l’échelle mondiale comme défenseur de la santé publique.

THE HUNGERFORD SMALLPOX EPIDEMIC OF 1884

    The viral disease of smallpox — widespread in 19th century Ontario — flared up in a severe epidemic in Hungerford Township in 1884. The outbreak claimed at least 45 lives in 202 reported cases and disrupted economic activity and family life for many more. Local efforts by municipal authorities and private physicians were initially unable to halt the disease, and its wider spread throughout the province seemed likely. The newly established Provincial Board of Health and its hired officers swiftly undertook fumigation, enforced isolation and mass vaccination. The disease was contained, proving the value of public health measures applied consistently under coordinated direction. The Hungerford experience demonstrated the importance of quality vaccine, reliable supplies and skilled vaccinators. The Board’s actions in 1884 transformed Ontario’s approach to disease control when over 400 local boards of health were formed to assist in the delivery of essential medical services. As a result, Ontario earned an international reputation as an aggressive and innovative public health advocate during the mid-1880s.

Historique

Introduction : la variole et la maîtrise de l’épidémie avant 1884

À la fin du XIXe siècle, la variole était une affection courante en Ontario; ceux qui en survivaient restaient marqués de cicatrices, signes du caractère inéluctable de cette maladie endémique. Malgré la découverte des principes scientifiques de la vaccination et d’un vaccin contre la variole par le Dr Edward Jenner1 à la fin du XVIIIe siècle, l’Ontario n’avait jamais mis en place de campagne de vaccination systématique contre le virus.2 Une Loi de vaccination avait été promulguée en 1861; néanmoins la vaccination était facultative et les exigences officielles différaient considérablement selon les communautés. L’ancrage dans les mentalités du caractère inéluctable de la variole associé à un taux de mortalité relativement faible expliquaient la tolérance à l’égard de cette maladie qui aurait pu être maîtrisée. Au vu des coûts publics engendrés par des programmes communautaires et du risque d’une utilisation insuffisante et ralentie des structures, la passivité semblait être la meilleure solution à adopter. Par ailleurs, l’opinion publique estimait à l’époque que la vaccination était une méthode désagréable qui provoquait souvent des malaises, de la fièvre, des douleurs dans les bras ainsi que d’autres symptômes dont la gravité était suffisante pour nécessiter l’isolement. Les technologies de pointe permettant la mise au point d’un vaccin efficace n’étaient pas disponibles; les professionnels de la santé et le grand public n’avaient pas non plus bien compris que le succès de la vaccination reposait sur l’application rigoureuse de processus.

En raison d’une pratique approximative et d’un soutien insuffisant, la vaccination ne protégeait les communautés que de façon irrégulière; par conséquent, les structures d’isolement étaient indispensables pour faire face aux inéluctables épidémies de variole. Par crainte de contagion, les personnes atteintes étaient isolées et toute interaction sociale leur était simplement refusée. Néanmoins, cet isolement naturel n’était ni contrôlé ni satisfaisant. Il encourageait les comportements irrationnels vis-à-vis de la variole, qui était plus crainte que maîtrisée. Les avis publics relatifs aux malades mis en quarantaine chez eux ou cloîtrés dans des bâtiments à l’écart à des fins d’isolement suscitaient une certaine tranquillité d’esprit au sein des communautés; les zones de contagion étaient ainsi identifiées, et par extension le soupçon était levé sur toutes les autres.

En raison de l’irrégularité de la pratique de la vaccination et du caractère rudimentaire des structures d’isolement, les épidémies de variole étaient aussi inéluctables qu’imprévisibles. Les autorités locales s’attaquaient plus ou moins énergiquement à une épidémie de variole à l’aide des moyens traditionnels : vaccination publique gratuite proposée aux personnes sans défense, transfert dans des « maisons d’isolement » temporaires ou dans un hôpital d’isolement pour les malades. Néanmoins, la vaccination publique et les services d’isolement local n’étaient qu’occasionnels. La plupart du temps, ces mesures étaient prises à la hâte après la déclaration d’une épidémie; leur mise en pratique et les financements étaient insuffisants. Par conséquent, ces mesures n’ont jamais remporté le soutien fervent de la population et leur succès n’était pas assuré.

À la fin des années 1880, les nombreuses épidémies de variole ont fortement influencé le déploiement de mesures de santé publique et des services associés en Ontario. Les épidémies de variole à Windsor (1882), Ayr, Peterborough, Prince Arthur’s Landing (1883, 1884) et dans le canton de Hungerford (1884) ont mis au défi la crédibilité et la compétence du tout nouveau et encore inéprouvé conseil de santé, un groupe consultatif central composé de professionnels de la santé nommé par le gouvernement d’Oliver Mowat en mai 1882. Au cours des trois années suivantes, les interventions dynamiques du conseil vis-à-vis de la variole ont transformé les structures de santé publique en Ontario et remis en question les attitudes traditionnellement adoptées. C’est l’épidémie de l’automne 1884 à Hungerford qui a été le catalyseur de la prestation de services de santé directement offerts par le gouvernement provincial pour lutter contre la variole.

Auparavant, divers ordres de gouvernement et des organismes communautaires se partageaient la responsabilité de gérer les menaces pesant sur la santé des Ontariennes et des Ontariens, en particulier lors des épidémies. Excepté la mise en quarantaine de la population immigrée qui relevait depuis longtemps de la responsabilité du gouvernement fédéral, la maîtrise de la variole ainsi que d’autres mesures visant à préserver la santé publique étaient du ressort des municipalités, officiellement mandatées par la Loi sur la santé publique de 1873; chaque communauté adaptant néanmoins les mesures en fonction des besoins pressentis. Il n’y avait pratiquement aucune coopération entre les municipalités, sauf si le gouvernement provincial nommait un conseil de santé central de coordination lors d’une urgence officiellement déclarée.

À la fin des années 1870, un groupe de pression de santé publique a fait campagne pour accroître l’investissement de la province dans la santé et la maîtrise de la maladie. Des lois sur la santé publique ont été votées en 1873 et en 1882. Avec la loi de 1882, est créé un conseil de santé central, permanent, composé de membres bénévoles. Néanmoins, l’approbation du code de santé publique, formulé dans les lois de 1873 et 1882, a illustré la préférence continue donnée à l’action locale dans la lutte contre la variole. La législation facultative a ainsi abouti à la création d’un ensemble disparate d’accords relatifs à la santé publique. Une inquiétude croissante s’est développée quant à la pertinence des options choisies au niveau local en cas de multiplication des foyers d’épidémie. Une troisième Loi sur la santé publique, votée au printemps 1884, a obligé toutes les municipalités à créer un conseil de santé local. Elle a également attribué au conseil de santé provincial de vastes pouvoirs discrétionnaires pour mener des actions de santé publique dans les situations de crise, pouvoirs auparavant affectés au seul gouvernement provincial.3

À la suite du vote de la loi en mai 1884, plus de 400 conseils de santé locaux ont été créés. Le président du conseil de santé provincial, le Dr William Covernton, et son secrétaire personnel, le Dr Peter Bryce, ont mis en évidence que près de 75 % de la population de l’Ontario avait été placée sous « surveillance sanitaire » à l’été 1884.4 L’attention publique se focalisait peu sur les singuliers pouvoirs discrétionnaires de surveillance d’une épidémie attribués au conseil, pouvoirs devant s’exercer de façon continue et sans proclamation particulière. La création des conseils de santé municipaux a joué un rôle moins important dans la maîtrise de la variole que les pouvoirs discrétionnaires du conseil de santé provincial, lesquels devaient bientôt autoriser une intervention directe de la province dans les affaires de santé locales.

L’épidémie de variole à Hungerford : octobre à décembre 1884

L’épidémie de 1884 à Hungerford a été la première crise épidémique grave à laquelle a été confronté l’Ontario en vertu de son nouveau régime de lois codifiées relatives à la santé, appliquées à l’échelle locale. Malgré la consolidation de l’action locale due à la loi de 1884, cette dernière paraissait inefficace pour éviter la propagation de la variole dans la province.5 Le conseil de santé provincial, qui n’était plus sollicité pour assurer la notification d’une urgence en matière de santé, a entrepris des actions visant à garantir le strict respect des lois sanitaires et s’est efforcé d’obtenir une adhésion politique ex post facto.6 Cet interventionnisme, bien que justifié par l’actuelle situation de crise, a été sévèrement critiqué par les résidents locaux et les membres de l’Assemblée législative, en raison de son coût et du déséquilibre des institutions locales qui en résultait. Ces dernières étaient de plus en plus soumises à l’autorité croissante du conseil de santé central.

Le 17 novembre 1884, le secrétaire du conseil, Peter Bryce, a reçu un télégramme de l’un de ses correspondants sanitaires, le Dr W.A. Dafoe de Madoc, faisant état d’une grave épidémie de variole à Hungerford. Situé à 48 kilomètres en amont de la rivière Moira en partant de Belleville, en bordure du Bouclier canadien, Hungerford était un canton rural très peu peuplé qui ne disposait d’aucun organisme de santé publique. L’isolement de la communauté fournissait une protection naturelle à Hungerford qui avait survécu à des épidémies dans le passé. À l’été 1884, une erreur de diagnostic a été commise pour un cas de variole, faussement assimilé à la « maladie de l’Esca ». La personne atteinte s’est déplacée vers le nord dans la région de Hungerford; en octobre 1884, la maladie s’était répandue parmi une population d’agriculteurs itinérants et avait gagné les cantons avoisinants. L’annonce de l’épidémie dans les zones environnantes a provoqué une vive inquiétude quant à la généralisation de l’épidémie dans toute la province, les récentes liaisons ferroviaires et routières passant par Hungerford accentuant cette préoccupation.

En l’absence d’orientations municipales fortes, les médecins locaux étaient en première ligne pour assurer la préservation de la santé des résidents. Ils étaient néanmoins réticents à endosser la responsabilité d’initiatives publiques dans leurs collectivités. En raison du manque de perspective d’indemnisation financière, ils hésitaient à négliger leur clientèle au profit du soin des premières victimes, isolées dans les fermes les plus pauvres de la partie francophone du canton.7 Le préfet de Hungerford, Patrick Murphy, n’avait aucune expérience en matière de gestion d’une épidémie et était incapable d’organiser les efforts locaux. Il a demandé au conseil de santé provincial l’envoi à Hungerford de son secrétaire, le Dr Peter Bryce, pour le conseiller sur les mesures de lutte à mettre en place. Peter Bryce a effectué trois visites à Tweed et dans les communautés environnantes en novembre et décembre 1884. Il a surveillé la création de conseils de santé locaux, puis a dirigé le travail des inspecteurs spécialistes et de la police sanitaire, recrutés parmi les plus chevronnés de l’Université de Toronto. Le Dr T.E. Pomeroy a été nommé médecin-hygiéniste. L’intervention directe du conseil de santé provincial semblait nécessaire pour apaiser la panique grandissante qui entourait les déplacements du Dr Pomeroy dans la région et pour s’assurer de l’application rigoureuse des principes scientifiques visant à maîtriser « la plus grave épidémie de variole qui, depuis les dernières années, a touché en un temps record une localité de l’Ontario ».8 Avant la maîtrise totale de l’épidémie, plus de 45 personnes sont décédées sur plus de 200 cas de variole signalés à Hungerford.9

En collaboration avec le Dr Pomery, les médecins du Dr Peter Bryce ont effectué une vaccination systématique de la population, assuré le fonctionnement des hôpitaux de malades contagieux à Stoco et Marlbank et maintenu un embargo extrêmement strict sur les transports de marchandises et d’hommes par voies ferroviaire et routière en provenance de la zone touchée par la variole. De nombreux résidents du canton ont tenté de contourner cet embargo en empruntant des routes de campagne peu connues, mais la police sanitaire qui patrouillait sur ces chemins faisait faire demi-tour à tout trafic suspect. Un dénommé M. Maxwell, qui « exerçait une médecine expérimentale dans le district », a attisé un sentiment anti-vaccins, et un courant sous-jacent d’insatisfaction vis-àvis du caractère obligatoire de la vaccination et de la fumigation des installations s’est développé. Ce sont les aides caritatives qui ont permis de venir à bout des difficultés économiques induites.10 Les collectivités locales et la province comptaient sur les mesures caritatives, notamment celles déployées par les églises locales, pour atténuer l’impact économique des mesures imposées par l’autorité provinciale. Les réunions publiques étaient interdites, les écoles fermées, et les élections locales — si elles n’étaient pas défendues — se déroulaient au moyen d’un avis tenant lieu de proclamation, ce qui équivalait à un interdit officiel.

Le succès de la maîtrise de l’épidémie de variole à Hungerford à l’automne et l’hiver 1884-1885 a minimisé la propagation de la maladie à d’autres groupes. Les méthodes employées pour la première fois à Hungerford par le conseil de santé ont été utilisées à plus grande échelle l’année suivante pour protéger la province et les zones plus à l’ouest de la propagation de l’épidémie de variole survenue à Montréal, qui a provoqué le décès de plus de 3000 personnes en 1885.

Au printemps 1886, la menace d’une épidémie de variole en provenance de Montréal s’est estompée, et les services médicaux gouvernementaux en Ontario sont sensiblement transformés. Les codes permissifs, appliqués à l’échelle locale par des travailleurs de la santé amateurs et fortement influencés par les diverses attitudes communautaires à l’égard de la maladie, ont disparu. Le nouveau régime de santé de l’Ontario est doté d’un code de la santé homogène conçu par le conseil de santé provincial récemment créé. Le code avait pour objectif d’aider les travailleurs professionnels de la santé à appliquer sur l’ensemble du territoire un service identique. La légitimité de l’intervention gouvernementale pour offrir un service homogène à toutes les collectivités de l’Ontario, quelles que soient leurs ressources municipales, venait d’être acceptée. Ce consentement s’ajoute à celui obtenu pour son rôle de supervision et de tenue des dossiers.

Les coûts assumés par le canton de Hungerford ont sans doute été la principale injustice de l’épidémie de 1884. Peter Bryce a accordé des rallonges budgétaires pour démontrer que le coût par tête de maîtrise de l’épidémie était inférieur à celui en vigueur aux États-Unis. Malgré ces efforts, faire supporter à un canton peu peuplé et assez pauvre l’ensemble du fardeau financier — Hungerford a déboursé plus de 11000 $ pour parvenir au contrôle de l’épidémie; une maîtrise dont a également bénéficié le reste de la province — semble mesquin, pour ne pas dire injuste.11 À la suite de son expérience à Hungerford, le gouvernement de l’Ontario allait assumer la majorité des frais de maîtrise des épidémies de variole. C’était notamment le cas lorsque la maladie se déclarait dans des municipalités isolées qui ne pouvaient financer des services de santé mais dans lesquelles la variole était la plus susceptible d’apparaître pour bien des raisons.

La transformation de la médecine publique en Ontario

Malgré les tensions politiques engendrées en Ontario par la création d’un conseil de santé central aux pouvoirs interventionnistes, la rapidité avec laquelle il a géré l’épidémie a valu à la province une réputation enviable à l’échelle mondiale. Par ailleurs, la confiance suscitée par l’intervention efficace de l’Ontario lors de l’épidémie de 1884-1885 a jeté les bases d’une coopération internationale en matière d’échange d’informations relatives aux maladies. Le conseil de santé est loin d’être resté l’unique représentant de la santé publique en Ontario; il a oeuvré à la nomination d’agents de santé locaux via la modification de la Loi sur la santé publique, votée en 1885. Les liens informels qui s’étaient tissés lors de la lutte contre les épidémies de variole en 1884 et 1885 ont été institutionnalisés en 1886 avec la création de l’Association of Executive Health Officers. Ces responsables de la santé publique se sont ensuite réunis tous les ans pour évoquer leurs problèmes communs et établir des programmes applicables à l’échelle de la province.

Les officiers de santé de l’Ontario ont estimé rétrospectivement que les épidémies de variole de 1884 et 1885 étaient des évènements clés ayant déterminé la gestion gouvernementale des épidémies au cours des années suivantes. Les mesures de lutte officielles ont notamment sensibilisé la population à accepter les mesures d’isolement et les campagnes de vaccination massive. Un des principaux facteurs d’incertitude et d’opposition au caractère obligatoire de la vaccination a été rapidement identifié; il s’agissait de l’impossibilité à connaître la qualité du vaccin.12 En 1885, les plaintes relatives aux vaccins inefficaces ou de mauvaise qualité étaient suffisamment nombreuses pour demander au Comité permanent des comptes publics de l’Assemblée législative de mener une enquête. Poussé par Peter Bryce, le Comité, qui n’était pas en mesure de déterminer les fautifs ou les responsables, a voté le déblocage de fonds pour la création d’une ferme des vaccins indépendante dans la province. Cette ferme devait en théorie fournir des vaccins de qualité obtenus à partir de bovins et permettre à l’Ontario de disposer d’une réserve de vaccins, donc de s’affranchir de la dépendance vis-à-vis de l’étranger.

Les efforts inlassables déployés par le conseil de santé pour maîtriser la propagation de la variole en 1884 grâce à la mise en place d’un programme de vaccination obligatoire, d’un isolement strict des malades et de la fumigation des installations et des marchandises, ont permis d’atténuer l’indifférence du public vis-à-vis de la variole.13 Dans leur précipitation à protéger le plus grand nombre d’Ontariennes et d’Ontariens possible, les médecins du secteur public, tels l’officier de santé local ou les inspecteurs sanitaires embauchés par le Dr Bryce ont été accusés d’attribuer précipitamment tout cas suspect à un cas de variole. Leur objectif était d’éliminer toute menace de contagion en isolant les malades dans des structures dédiées.14 Malheureusement, des erreurs de diagnostic ont été commises. La victime de cette erreur, isolée dans un hôpital de malades contagieux, entrait alors par mégarde en contact avec des cas avérés de variole.15 Lors de l’épidémie de Hungerford, les malades isolés décédaient. La confiance qu’avait la population dans les médecins pratiquant la médecine socialisée était parfois émoussée par la solide conviction que ce qui convient le mieux au grand public ne convient pas automatiquement à une personne en particulier.

L’Ontario allait de plus en plus entrer en contact avec le marché des produits de santé. En raison de la fluctuation de la demande de services pour les campagnes de vaccination massive et les structures d’isolement, il était impossible de maintenir un niveau constant de services en se reposant uniquement sur l’offre et la prestation locales de services. Dans l’intérêt sanitaire de la province et en tant qu’acteur principal de la médecine de santé publique, le centre de santé provincial devait souvent combler le fossé entre les prestations fournies par les municipalités, afin d’assurer la santé du grand public. Les épidémies de 1884 et 1885 ont encouragé l’Ontario à embaucher des médecins pour fournir les services médicaux nécessaires, notamment dans les zones isolées et les territoires non érigés en municipalité.

Conclusion

Les expériences successives des épidémies de variole à Hungerford et Montréal ont marqué les prémices de l’intervention du gouvernement provincial dans des domaines qui étaient autrefois gérés à l’échelle locale ou par des particuliers. Les évènements de 1884 et 1885 ont incité l’Ontario à embaucher des médecins pour assurer les services médicaux nécessaires. À la suite de l’épidémie de Hungerford, le gouvernement provincial a assumé la majorité des frais engendrés par la lutte contre la variole, notamment lorsque l’épidémie se déclarait dans des municipalités-frontières, qui étaient les moins à même de financer des services de santé. L’épidémie de 1884 a également démontré l’importance d’un vaccin de qualité, de fournitures fiables et de vaccinateurs compétents. La population a pris conscience du risque de contagion, des avantages d’un isolement systématique et forcé, suivi de la fumigation et de la désinfection des bâtiments. Le gouvernement de l’Ontario a été encouragé à renforcer la Loi de vaccination et la Loi sur la santé publique, afin d’apporter aux communautés ontariennes des réponses plus cohérentes et de meilleure qualité aux menaces de contagion. Durant cette période, le conseil de santé provincial est entré sur le marché des produits de santé en tant que producteur, prestataire et fournisseur de services de santé. En 1886, l’Ontario a voté une loi visant à financer la production de vaccins dans la province. La même année, l’Association of Executive Health Officers a été créée à partir des liens informels qui s’étaient tissés durant la lutte contre la variole en 1884 et 1885. L’Ontario a par ailleurs gagné une réputation enviable à l’échelle mondiale comme défenseur dynamique et novateur de la santé publique.


La Fiducie du patrimoine ontarien remercie Robert J. Burns pour ses travaux qui ont servi à l’élaboration du présent document.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2009


1 Chirurgien britannique (1749-1823). Membre de la Royal Society. C’est en 1796 qu’Edward Jenner a fait sa première découverte. Les résultats auxquels il était parvenu ont été publiés en 1798.

2 Une loi relative à la vaccination et l’inoculation L.R.O. Chap.191 interdisait formellement l’inoculation. Elle établissait les responsabilités médicales et personnelles en matière de vaccination. Néanmoins d’importantes lacunes subsistaient : en vertu de la loi, les pouvoirs étaient donnés aux conseils municipaux et non aux conseils de santé locaux. Hormis les faiblesses de la loi, la vaccination des communautés était irrégulière et les rappels très rarement effectués. Archives publiques de l’Ontario (ci-dessous abrégées en APO), R.G. 18, D-1-13, Comité restreint de santé publique, Parties 2 et 3. Quatrième rapport annuel du conseil de santé provincial (Toronto, 1886), 2, (ci-dessous abrégé en Rapport annuel du conseil).

3 47 Victoria Chap. 38 Pt. 1, Sec. 3 établissait les pouvoirs du conseil de santé provincial en matière de règlementation afin de prévenir ou d’atténuer les maladies « lorsque toute la province, une de ses régions ou un de ses endroits semble être sous la menace d’une épidémie, d’une endémie ou d’une maladie contagieuse de grande ampleur… ».

4 Rapport annuel du conseil, 1884, 18.

5 « Compte rendu de l’épidémie de Hungerford », Documents parlementaires #25, 1885, (ci-dessous abrégés en Documents parlementaires/25).

6 Qui signifie « avec un effet rétrospectif », tiré du latin ex, de + post « après » + factus « fait » du verbe facere « faire ».

7 Documents parlementaires/25; Weekly Intelligencer (Belleville) 20 novembre 1884; Journal Hansard 4 février 1885. Bien que le conseil de santé provincial se soit initialement efforcé de travailler avec des médecins locaux pour maîtriser l’épidémie, on ne pouvait pas toujours compter sur des services de qualité. Par ailleurs, certains médecins ne souhaitaient pas effectuer un travail temporaire dangereux au profit de la province qui risquait d’avoir des conséquences négatives sur leur propre pratique et sur leur vie de tous les jours.

8 Documents parlementaires. 1885, 2.

9 Les registres gouvernementaux ont fait état de 45 décès dans les cantons de Hungerford, Sheffield, Elzevir et Kaladar. Néanmoins, ceux des églises locales, des cimetières et des familles indiquent un nombre beaucoup plus important de victimes. Par exemple, les registres de l’église catholique romaine St. Carthagh à Tweed font état de 67 décès.

10 Les vaccinations obligatoires, l’isolement des personnes atteintes de variole et la fumigation des installations ont eu un effet négatif sur les ressources financières des habitants. De nombreux paysans et travailleurs ruraux ont dû faire face à des difficultés économiques et n’ont reçu aucune indemnisation financière. Le sentiment anti-vaccins était toujours latent au sein de la population lorsque la qualité des vaccins et la compétence des vaccinateurs n’étaient pas attestées. Voir Evening News (Toronto) 8 décembre 1885.

11 Hansard 4 février 1885, APO R.G. 8 I-1-D 1686/1885; et Documents parlementaires 25/1885.

12 Rapport annuel du conseil, 1886, 36. APO R.G. 62 H Minutes, Volume 49, 275-277.

13 À noter toutefois que l’acceptation par le grand public de l’immunisation a été mise au défi par des campagnes agressives anti-vaccins qui se sont développées au XXe siècle. Ces campagnes ont également été responsables de l’opposition sous-jacente à d’autres mesures de santé publique.

14 Voir les réflexions du Dr Coventry, médecin-hygiéniste à Windsor, publiées dans Health Officers Report 1901, 9; Newspaper Hansard 4 février 1885, ainsi que dans Medical Officers Report 1901, 11.

15 Idem.