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Le Droit

Le matin du 20 mars 2018, la Fiducie du patrimoine ontarien et le journal Le Droit ont dévoilé une plaque provinciale à l’École secondaire publique De La Salle à Ottawa pour commémorer le journal.

Voici le texte de la plaque bilingue :

LE DROIT

    En 1912, des membres de l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario et des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée – une congrégation religieuse de l’Église catholique – se sont réunis à Ottawa pour discuter de la fondation d’un journal afin de protester contre le Règlement 17, qui – jusqu’à ce qu’il cesse d’être appliqué en 1927 – limitait considérablement l’enseignement du français dans les écoles de l’Ontario. Cette réunion a mené à la création du quotidien catholique francophone Le Droit. La première édition de six pages, tirée à 10 000 exemplaires sous la supervision du père Charles Charlebois, le rédacteur en chef, a été publiée près de cet endroit le 27 mars 1913. Au fil du temps, Le Droit est devenu un quotidien généraliste au service de la collectivité canadienne-française de l’Ontario. En 1997, le journal a mené, avec la communauté franco-ontarienne, une campagne fructueuse contre la fermeture de l’hôpital Montfort d’Ottawa, le seul hôpital d’enseignement de langue française de la province. Le Droit continue de soutenir et de défendre activement les droits et les aspirations des Franco-Ontariens.

LE DROIT

    In 1912, members of the Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario and the Missionary Oblates of Mary Immaculate – a religious order of the Catholic Church – gathered in Ottawa to discuss the founding of a newspaper to protest Regulation 17, which – until it was no longer enforced in 1927 – severely restricted the teaching of French in Ontario schools. That initial meeting led to the establishment of Le Droit, a Catholic French-language daily newspaper. The first six-page edition of 10,000 copies was published near this location, on March 27, 1913, with Father Charles Charlebois as its editor-in-chief. Over time, Le Droit became a mainstream daily newspaper serving the French-Canadian community in Ontario. In 1997, the newspaper campaigned successfully with the Franco-Ontarian community against the closing of the Ottawa Hôpital Montfort – the only French-language teaching hospital in the province. Le Droit continues actively to support and defend Franco-Ontarian rights and aspirations.

Historique

Certantibus futura : L’avenir est à ceux qui luttent (1910-1920)

La fondation du Droit s’inscrit dans la bataille sur la place du français dans le système scolaire de l’Ontario. Comme dans d’autres provinces, le gouvernement impose en effet des restrictions d’usage du français depuis la fin du XIXe siècle. Ces mesures atteignent leur paroxysme en 1912, avec l’adoption du Règlement 17 : une ordonnance du ministère de l’Éducation de l’Ontario ayant vocation à supprimer l’enseignement et la communication dans cette langue1.

Cette politique porte un énième coup dans la lutte ethnique, idéologique et religieuse qui oppose les forces impérialistes et nationalistes2, le gouvernement de James P. Whitney se rangeant aux arguments avancés par les partisans d’une normalisation du système d’éducation. Pour la population canadienne-française, la foi catholique et la langue française sont indissociables et garantes de la survie de leur culture. Au sein de cette communauté en situation minoritaire, l’enseignement est vu comme un bastion dans la défense contre le spectre de l’assimilation. En réponse, l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario (ACFÉO) est créée en 1910 par l’élite francophone. Lors de l’assemblée, ses membres discutent de la fondation d’un journal catholique en français, indépendant des partis politiques et susceptible de rassembler une communauté partageant les mêmes idées et sentiments3.

La réaction militante au Règlement 17 donne au projet l’impulsion nécessaire à sa concrétisation. Le 9 décembre 1912, une alliance formée de dirigeants laïcs et religieux décide du lancement d’un quotidien afin d’encourager la résistance contre cette politique du gouvernement, de transmettre des mots d’ordre à l’échelle provinciale et de promouvoir l’union des militants4. Fondé en 1912, le Syndicat d’Œuvres sociales devient l’éditeur du journal et publie un descriptif de ses objectifs :

    Pour des hommes de cœur, les droits ne se cèdent pas, ils s’arrachent. Nous avons des droits, nous lutterons pour les faire respecter, et les Canadiens français ont assez foi dans la justice britannique pour être convaincus que leurs droits seront reconnus quand ils seront traités en dehors des cercles affectés par les intrigues politiques et les aveuglements du fanatisme5.

Toutefois, la première édition de six pages, tirée à 10 000 exemplaires, ne sera pas publiée avant le 27 mars 1913. Le programme politique du journal est mis à la une :

    Vu la situation pénible faite aux écoles catholiques françaises de notre province, les directeurs du « Syndicat » ont pensé que leur premier devoir était de publier un journal quotidien afin de mieux renseigner notre peuple et de prouver à nos adversaires que nous entendons lutter jusqu’au bout et avec des armes loyales. [...]
    Mais quand l’avenir d’un demi-million de Canadiens français est en jeu, il n’est pas permis de négliger les moyens de lutte. Et quelle meilleure arme qu’un journal, surtout un journal quotidien qui soit avant tout et par-dessus tout au service de la religion catholique, de la langue française et du droit égal pour tous6.

Fort de sa devise « L’avenir est à ceux qui luttent », le journal se lance tête baissée dans la lutte contre le Règlement 17. Contrairement à ses prédécesseurs, il clame haut et fort son indépendance politique7, restant proche du système des institutions canadiennes-françaises, y compris de l’ACFÉO, afin de s’assurer une certaine sécurité financière. Il bénéficie par ailleurs de la solidarité de la population canadienne-française du Québec, sous la forme d’un don de 15 000 dollars versé par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal8. Fort de ces marques de solidarité et d’autres contributions, le journal prend de l’expansion et quitte en 1915 le garage de la rue York qui lui a servi d’atelier d’imprimerie pour intégrer son nouveau siège, à l’angle des rues Dalhousie et George9.

À l’époque, les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée détiennent une participation importante dans le Syndicat d’Œuvres sociales. Le père Charles Charlebois est chargé de dicter la ligne éditoriale du jeune quotidien. Rédacteur en chef jusqu’en 1930, il est le premier architecte de la campagne de lutte contre le Règlement 17. En tant que directeur du secrétariat de l’ACFÉO, il incarne non seulement l’alliance de la foi et du nationalisme, mais aussi le partenariat noué par le journal avec les autorités du réseau des institutions laïques et religieuses10.

Modernisation et vigilance (1920-1960)

Au début des années 1920, Le Droit entame sa transformation : de journal d’opinion, il devient média de masse11 et place dorénavant l’accent sur l’actualité générale12. Comme le fait remarquer l’historien Mario Gravelle : « Vers 1922, on change le look du journal afin d’attirer davantage de lecteurs. Du contenu pour les femmes, les sports et plus voit le jour. On déplace les éditoriaux de la une à la page 3. On parle moins de questions linguistiques dès cette période13. »

Cela ne signifie pas pour autant l’abandon total des questions religieuses, nationales et linguistiques. Le journal poursuit ses efforts dans le domaine de l’éducation. Si les Canadiens français remportent une victoire après la suspension du Règlement 17 en 1927, d’autres problématiques voient le jour. En 1921, par exemple, le journal participe à une campagne de collecte de fonds pour la construction d’une école française à Pembroke. En 1929, il réclame un partage équitable des recettes issues de la taxe pour l’éducation14. La quête de l’égalité linguistique s’étend à d’autres secteurs gouvernementaux. Par exemple, le journal porte son attention sur la fonction publique fédérale et la proportion d’employés canadiens-français15.

Conscient de son audience régionale, Le Droit commence à couvrir davantage les affaires québécoises. Après avoir dédié une page à l’actualité de Hull en 1914, le journal ouvre son premier bureau dans cette ville en 1920. Le Syndicat d’Œuvres sociales élargit sa présence médiatique de part et d’autre de la rivière des Outaouais avec l’acquisition de la station de radio CKCH en 1942. Le journal compte 15 000 abonnés, dont près de la moitié réside au Québec16.

Malgré le départ du père Charbonneau, les Missionnaires Oblats continuent de jouer un rôle majeur dans la gestion du journal. En 1935, ils deviennent les actionnaires majoritaires du Syndicat d’Œuvres sociales et exercent à ce titre une influence considérable sur le contenu éditorial, comme le souligne Roxanne Deevey17. Une étude du contenu pour les femmes montre comment ils ont contribué à véhiculer des images et idées maternalistes18. La même observation est valable pour les célébrations nationales et religieuses de la Saint-Jean, les éditorialistes appelant les Canadiens français à s’inspirer de l’esprit religieux de leur saint patron19. La religion a également une incidence sur les relations du travail. Ainsi, dès le premier conflit survenu en juin 1921, des travailleurs forment un syndicat catholique. Depuis sa fondation, Le Droit prend systématiquement position en faveur de la doctrine sociale de l’Église20.

De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début des années 1960, le journal connaît une période de croissance, avec près de 30 000 lecteurs quotidiens. L’équipe s’installe dans de nouveaux bureaux à l’angle des rues Rideau et Nelson, dans la Basse-Ville d’Ottawa (1955), et l’atelier d’imprimerie tourne au maximum de sa capacité. En 1959, une édition régionale destinée au lectorat du Nord de l’Ontario voit le jour. Suivant son ambition de devenir un journal provincial, Le Droit ouvre des bureaux à Sudbury, Sturgeon Falls et North Bay. Par manque de moyens financiers, l’expérience prendra fin en 196321.

Profonde remise en question (1960-2000)

Les années 1960 voient les vents de la modernité souffler sur la société canadienne-française. La sécularisation croissante des structures sociales, l’essor du mouvement souverainiste québécois et l’émergence d’une nouvelle génération portent un coup à l’identité canadienne-française, semant alors le désordre dans les relations entre le Québec et les communautés francophones en situation minoritaire. Le Droit est à la fois acteur et témoin des tensions entre les deux groupes et de leur éloignement.

Le terme « Franco-Ontariens » prenant le pas sur le terme désormais délaissé de « Canadiens français », Le Droit s’exprime sur divers sujets importants pour les minorités linguistiques. Fidèle à sa tradition, le journal continue de monter au créneau en faveur « du bilinguisme, des écoles secondaires ou pour critiquer la souveraineté du Québec, le multiculturalisme ou la lenteur que met l’Ontario à acquiescer aux revendications franco-ontariennes »22. Il participe également aux croisades locales de l’époque, se faisant l’allié du mouvement C’est l’temps, qui réclame davantage de services bilingues au sein du système de justice, et l’adversaire du plan d’aménagement urbain de la Basse-Ville d’Ottawa, quartier abritant une vaste communauté francophone. Peinant à trouver écho dans la presse anglophone au sein de la région de la capitale nationale, Le Droit est pour ainsi dire le seul média imprimé faisant pression sur les fonctionnaires de l’administration locale23.

Le journal poursuit également la modernisation de sa structure organisationnelle. En 1970, le Syndicat d’Œuvres sociales prend le nom de Le Droit Ltée et se sépare de la station de radio CKCH, déficitaire. De plus en plus en retrait, les Missionnaires Oblats annoncent en 1976 leur intention de vendre le journal, lequel deviendra la propriété d’UniMédia en 1983. Trois ans plus tard, il est racheté par la multinationale Hollinger. La récession qui sévit au début des années 1980 n’épargne pas le journal, qui doit réduire ses effectifs. D’importants conflits du travail mettent la publication au point mort en 1982 et 1988, avant que le journal passe au format tabloïde. Restructuration, modernisation des méthodes de production, conflits du travail : tous ces facteurs conduisent à la baisse drastique de ses effectifs, passés de 400 employés en 1970 à une centaine au début du siècle. En 2001, le groupe Gesca fait l’acquisition du journal24.

Le Droit n’abandonnera jamais complètement sa mission de journal engagé. En février 1997, le gouvernement de l’Ontario annonce son intention de fermer l’hôpital Montfort, le seul hôpital d’enseignement de langue française de la province. Le journal s’empare de la cause et fait ouvertement campagne contre cette fermeture25. Cet événement l’aide également à reprendre le champ de bataille symbolique de l’Ontario français, alors que la majorité de ses lecteurs sont québécois26.

En 2013, Le Droit célèbre son centenaire. Comme le reste du secteur, il subit les effets de l’âpre concurrence des médias électroniques, de la baisse des recettes publicitaires et de la popularité des médias sociaux. Malgré ces nombreux défis, il espère conquérir un nouveau public; en 2012, il comptait près de 180 000 lecteurs, toutes plateformes confondues27.

Le Droit restera toujours directement et indirectement associé aux luttes politiques de l’Ontario français. Si son rôle dans la bataille contre le Règlement 17 ou la fermeture de l’hôpital Montfort est désormais inscrit dans l’histoire, le journal est une source identitaire importante pour la minorité francophone.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à exprimer sa gratitude à Marc-André Gagnon pour le travail de recherche effectué dans le cadre de la rédaction de cet article.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2018


1 Michel Bock et François Charbonneau (éd.), Le siècle du Règlement 17. Regards sur une crise scolaire et nationale, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2015, 460 p.; Gaétan Gervais, « Le règlement XVII (1912-1927) », Revue du Nouvel Ontario, no 18,‎ 1996, p. 123-192.

2 Robert Choquette, La foi, gardienne de la langue en Ontario 1900-1950, Montréal, Bellarmin, 282 p.

3 René Dionne, « 1910. Une première prise de parole collective en Ontario français », Cahier Charlevoix, Vol. 1, 1995, p. 69.

4 Roxanne Deevey, Montfort et Le Droit, même combat?, Hearst, Le Nordir, 2003, p. 22; Jean Taillefer, Le Droit et son histoire, Ottawa, Édition Le Droit, n.d., [1955], p. 11.

5 « Nos droits et nos devoirs », Le Droit, 17 janvier 1913, 1 p.

6 « Notre programme », Le Droit, 27 mars 1913, p. 1.

7 Paul-François Sylvestre, Les journaux de l’Ontario français, Sudbury, Société historique du Nouvel-Ontario, 1984, p. 4.

8 Robert Rumilly, Histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, des Patriotes au fleurdelisé, 1834-1948, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1975, p. 235; Olivar Asselin, Lettre à Onésime Guibord, président du Syndicat d’Œuvres sociales, 3 mai 1913, Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Le Droit (C71), MCF 18-5.

9 Orfali

10 Marcel Laurence, « Les Oblats et le journal Le Droit », Église canadienne, Vol. 31, no 4, avril 1998, p. 129-133.

11 Zoé Cadieux, Le Droit : à la découverte des enjeux idéologiques et identitaires des Canadiens français de l’Ontario durant l’entre-deux-guerres (1918-1939), thèse présentée en vue de l’obtention de la maîtrise en histoire, Université d’Ottawa, 2016, p. 3.

12 Jean de Bonneville, La presse québécoise de 1884 à 1914 : genèse d’un média de masse, Québec, Presses de l’Université Laval, 1988, 416 p.

13 Citation dans Philippe Orfali, « 100 ans d’histoire pour Le Droit », Trente, Vol. 37, no 2, printemps 2013, [en ligne].

14 Deevey, p. 24.

15 Cadieux, p. 82.

16 Philippe Orfali, « Historique », Le Droit : 100 ans d’information, d’implication, d’évolution, Ottawa, Le Droit, 2013, [en ligne].

17 Deevey, p. 25.

18 Gertrude Pelletier-Lapointe, « De 1953 à 1970 à la page féminine du journal Le Droit », Le Chaînon, Vol. 31, no 3, automne 2013, p. 22-25.

19 Marc-André Gagnon, « Le Canada français vit par ses œuvres : la Saint-Jean-Baptiste vue par le journal Le Droit, 1950-1960 », Francophonies d’Amérique, no 35, printemps 2013, p. 79-92.

20 Gaétan Vallières, « Le Droit, les franco-ontariens et le syndicalisme », Bulletin du Regroupement des chercheurs en histoire du travail, Vol. 2, no 3, octobre-novembre 1975, p. 7-25.

21 Philippe Orfali, « Historique », Le Droit : 100 ans d’information, d’implication, d’évolution, Ottawa, Le Droit, 2013, [en ligne].

22 Serge Miville, « À quoi sert au Canadien français de gagner l’univers canadien s’il perd son âme de francophone? » : Représentations identitaires et mémorielles dans la presse franco-ontarienne après la « rupture » du Canada français (1969-1986), thèse présentée en vue de l’obtention de la maîtrise en histoire, Université d’Ottawa, 2012, p. 108.

23 Marie Hélène Eddie et Linda Cardinal, « Le Droit, le mouvement C’est l’temps et l’inscription de la problématique des services en français dans l’espace public ottavien (1975) », Anne Gilbert, Linda Cardinal, Michel Bock, Lucie Hotte, François Charbonneau (éd.), Ottawa, lieu de vie français, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2017, p. 349-380; Anne Gilbert, Kenza Benali et Caroline Ramirez, « Le Droit et la rénovation de la Basse-Ville d’Ottawa : les balbutiements d’un journalisme engagé dans le dossier de l’aménagement urbain », Francophonies d’Amérique, no 35, printemps 2013, p. 117-139.

24 Deevey, p. 27; Philippe Orfali, « Historique », Le Droit : 100 ans d’information, d’implication, d’évolution, Ottawa, Le Droit, 2013, [en ligne].

25 Marc-André Gagnon, « SOS Montfort », L’Encyclopédie canadienne, Toronto, Historica Canada, 2017, [en ligne].

26 Lucie Tardif-Carpentier, « Le “parapluie du Québec” : Le Droit de 1967 à 1994 », Jacques Cotnam, Yves Frenette et Agnès Whitfield (éd.), La francophonie ontarienne : bilan et perspectives de recherche, Hearst, Le Nordir, 1995, p. 309-326.

27 Philippe Orfali, « Historique », Le Droit : 100 ans d’information, d’implication, d’évolution, Ottawa, Le Droit, 2013, [en ligne].