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Code des droits de la personne de l’Ontario

Le 15 juin 2012, la Fiducie du patrimoine ontarien et la Commission ontarienne des droits de la personne ont dévoilé une plaque provinciale à Hart House, sur le site de l’Université de Toronto à Toronto (Ontario), pour commémorer le Code des droits de la personne de l’Ontario.

Voici le texte de la plaque :

CODE DES DROITS DE LA PERSONNE DE L'ONTARIO

    Le Code des droits de la personne de l'Ontario entre en vigueur le 15 juin 1962 et établit l'égalité des droits et la protection contre la discrimination en tant qu'éléments primordiaux du droit provincial. Première loi du genre au Canada, le Code est conçu pour proclamer et faire respecter la « dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables » en prescrivant un mécanisme juridique pour lutter contre la discrimination. Le Code tire son inspiration des principes de liberté individuelle et des droits des minorités inscrits dans les traditions constitutionnelles canadiennes, ainsi que des mouvements internationaux en faveur des droits de la personne et des droits civils ayant vu le jour après la Seconde Guerre mondiale. Il intègre et étoffe les lois antidiscrimination antérieures afin de refléter les changements d'attitude de la population ontarienne à l'égard de la race, de la religion et des droits à l'égalité. Depuis 1962, la portée du Code s'est élargie, faisant de l'Ontario un chef de file national et mondial en matière de promotion et de protection des droits de la personne, tout en aidant la province à rendre sa société plus juste, plus équitable et plus inclusive.

Historique

    « […] la législation relative aux droits de la personne de la province est fondée sur la reconnaissance du fait qu’un individu n’est pas libre si, du seul fait de sa race, de sa couleur ou de sa croyance particulière, il se voit refuser un emploi ou l’accès à des services et à des logements normalement accessibles au public. »1 (Traduction libre)

Le Code des droits de la personne de l’Ontario est entré en vigueur le 15 juin 1962. En intégrant et en étoffant la législation sur l’antidiscrimination en vigueur à l’époque, le Code prend appui sur les avancées précédentes pour marquer un progrès significatif des droits de la personne en Ontario. Mais les graines qui ont permis l’éclosion du Code ont été plantées des dizaines d’années, voire des siècles, avant son adoption.

Les efforts engagés par les habitants de ce qui est aujourd'hui l’Ontario pour définir et affirmer les droits et les libertés sont au moins aussi vieux que la province elle-même. Depuis l’avènement du Haut-Canada jusque tard dans le XXe siècle, les habitants de l’Ontario actuel considèrent souvent les droits et libertés comme des principes découlant des traditions politiques et juridiques britanniques. Ainsi, ceux qui militent par exemple pour la réforme et l’autonomie gouvernementale dans les années 1820 et 1830 évoquent les droits perçus sous le régime du droit britannique pour essayer d’arracher le pouvoir des mains d’élites non élues. Plus d’un siècle plus tard, un défenseur des droits civils parle des textes de loi britanniques – la Magna Carta, la Petition of Right de 1628, le Bill of Rights de 1688 et l’Act of Settlement de 1700 – comme des « quatre phares » qui guident la liberté canadienne2.

Outre ces traditions, les échanges et les rapports entre les Premières Nations et les communautés française et britannique suscitent néanmoins l’émergence d’approches spécifiquement canadiennes de ces droits. Bien souvent, ces approches mettent en avant des droits collectifs, et trouvent leur traduction juridique au Parlement, avec notamment l’Acte de Québec (1774), l’Acte constitutionnel (1791), la Loi visant à restreindre l’esclavage du Haut-Canada (1793) et la Loi sur l’Amérique du Nord britannique (1867), textes qui prévoient tous des protections de groupes minoritaires. Certes souvent assez limitées, ces protections contribuent à la création d’un socle permettant l’établissement d’une société pluraliste et multiculturelle.

Les législations canadienne et ontarienne présentent toutefois des lacunes et des défauts majeurs, car elles autorisent et même encouragent l’oppression, la discrimination et l’intolérance. Le mélange unique de nations et de communautés culturelles qui donne lieu à certaines lois progressistes engendre également des exemples insupportables de racisme, de sectarisme et d’injustice systémiques. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’arrivée d’immigrants d’origines toujours plus diverses et la reformulation des notions d’égalité, de tolérance et de citoyenneté font de la réforme des droits une urgence croissante. Aussi les décennies du milieu du XXe siècle sont-elles le théâtre d’importants changements juridiques et sociaux en Ontario, ouvrant la voie à ce qui a été désigné depuis comme une « révolution des droits ».

Une bonne part de cette révolution prend racine dans l’après-Première Guerre mondiale. Le coût du conflit a été lourd, et se double de l’éclosion de sentiments nationalistes, non seulement au Canada, mais au sein des nombreux États-nations européens dont la formation est relativement nouvelle : des tensions émergent, les discours se radicalisent et les divisions s’accentuent en matière de race et d’ethnicité. Au Canada, le sentiment xénophobe à l’égard des Japonais, des Allemands et des Européens de l’Est se traduit par la Loi des élections en temps de guerre de 1917 qui, bien qu’ouvrant le droit de vote à bon nombre de femmes, en prive de nombreux Canadiens nés à l’étranger. Les modifications apportées à la Loi de l’immigration restreignent l’immigration et empêchent certaines races et autres personnes jugées « indésirables » en raison de leurs affiliations politiques, de leur orientation sexuelle ou de leur santé mentale apparente de pénétrer dans le pays. Avant la Première Guerre mondiale, les autorités en la matière mettent l’accent sur les contributions potentielles que les aspirants à l’immigration peuvent apporter à l’économie canadienne. Après la guerre, priorité est donnée à l’ethnicité et à la culture, qui deviennent des facteurs déterminants de l’immigration.

Le sentiment xénophobe est exacerbé par la Grande Dépression, pendant laquelle beaucoup de Canadiens craignent que les immigrants ne s’emparent de précieux emplois au détriment des personnes nées au Canada. Pour toutes ces raisons, le Canada accueille peu d’immigrants jusqu’aux années 1950, et les Canadiens nés à l’étranger sont victimes de brimades et de discriminations généralisées3. Cependant, en conséquence de la Première Guerre mondiale, bon nombre de principes fondamentaux de la société canadienne et britannique commencent à être remis en question et critiqués. L’idée d’une culture britannico-canadienne vertueuse et monolithique menée par des chefs bienveillants et vouée à un destin grandiose est ébranlée par les années de guerre et de dépression économique, et l’on observe un lent processus de réévaluation et de déconstruction dans les décennies qui suivent. Ce processus ouvre la voie à de nouvelles idées sur la culture et la société canadiennes, qui prennent forme en grande partie après la Seconde Guerre mondiale.

Dans les premières décennies du XXe siècle, tout le monde n’est pas égal en droit au Canada, et cette réalité se manifeste au quotidien. Dans plusieurs régions du pays, y compris une grande partie de l’Ontario, des covenants restrictifs empêchent certaines personnes ou familles de résider dans certains quartiers pour des raisons ethniques, raciales ou religieuses. Au même moment, les écoles du sud de l’Ontario pratiquent la ségrégation raciale. Les minorités se voient refuser des services dans de nombreux magasins et restaurants, ainsi que, bien souvent, des permis de commerce. Sous le régime de la Loi sur les Indiens, les populations autochtones n’ont pas de droits politiques et civils. Des années 1870 aux années 1990, par exemple, le gouvernement canadien soutient un système de pensionnats qui sépare de force les enfants autochtones de leur famille et de leur communauté pour les assimiler dans la culture euro-canadienne4. Aux quatre coins du pays, les minorités raciales subissent diverses formes de discrimination. Pendant les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale, l’État canadien procède à l’internement généralisé des Canadiens japonais et des immigrants italiens et allemands. En plus de ces exemples flagrants de discrimination, les politiques canadiennes à l’égard de l’immigration sont explicitement racistes jusque dans les années 19605.

L’année 1933 est marquée par un premier effort de lutte contre les discriminations par des moyens juridiques, quand le projet de loi d’un simple député visant à mettre fin à l’affichage de pancartes discriminatoires dans les commerces et les restaurants est présenté à l’Assemblée législative de l’Ontario. En effet, à cette époque les écriteaux indiquant « Pas de Noirs », « Blancs uniquement », « Non-juifs uniquement » et « Ni juifs, ni chiens » sont courants dans la province et ailleurs au Canada. Malheureusement, ce projet de loi n’est pas adopté, car on le juge « inapplicable » et contraire aux libertés individuelles6. Le combat pour les droits de la personne en Ontario se poursuit et prend de l’ampleur dans les années et décennies qui suivent ce revers. Ce combat a inspiré des transformations révolutionnaires d’ordre juridique, idéologique et pratique au niveau de la province, du pays et de la planète7.

Pendant la première moitié du XXe siècle, la non-discrimination est généralement perçue comme un idéal nécessitant un engagement délibéré et de la bonne volonté, et non comme un droit qu’il faut encadrer par la loi8. Concrètement, on considère que les textes interdisant les actes discriminatoires menacent les libertés individuelles9. C’est pourquoi le Canada est l’un des pays les moins accueillants pour les réfugiés juifs qui fuient l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale10. Cependant les atrocités racistes commises au cours de ce conflit marquent profondément la société canadienne, et une profonde évolution des attitudes et valeurs sociales s’opère dans l’après-guerre11. À la fin de la guerre, le soutien aux réfugiés juifs est une question de premier plan au Canada. Dans les sphères privées et publiques, on s’indigne que des membres de minorités ethniques ou religieuses partis combattre à l’étranger reviennent au pays et constatent que les droits et libertés qu’ils défendaient leur sont refusés chez eux au Canada. À la même époque, les préjugés raciaux et religieux ainsi que l’antisémitisme qui s’expriment dans le pays sont reconnus comme des problèmes sociaux d’envergure, non seulement injustes, mais également dangereux pour la stabilité et le progrès de la société. Une idée gagne du terrain : pour lutter efficacement contre la discrimination, les groupes minoritaires doivent coopérer et se soutenir mutuellement. L’un des principaux pères de cette théorie est Kalmen Kaplansky. Imprimeur de profession, K. Kaplansky est directeur national du Comité ouvrier juif entre 1946 et 1957. L’approche active et diversifiée qu’il adopte pour lutter contre la discrimination devient extrêmement influente. M. Kaplansky déclare notamment que « l’éducation, la législation et l’action sociale font partie intégrante d’une approche globale pour élaborer une campagne de terrain visant à atténuer les effets de la discrimination raciale et ethnique et pour concevoir un programme d’action positive »12.

Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, l’idée de « droits de la personne » a de plus en plus de crédit. Elle prend de l’essor quand elle se voit définie par l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948, qui crée de nouvelles normes internationales en matière de droits de la personne13. Avec l’émergence d’une nouvelle culture des droits, les hiérarchies raciales en place sont remises en cause. Le système judiciaire canadien, qui protège souvent les responsables des discriminations et néglige les victimes, suscite des préoccupations croissantes. Pas à pas, les autorités prennent davantage de responsabilités dans la lutte contre la discrimination14.

La législation antidiscrimination des années 1940 et 1950 pose les premiers jalons du programme ontarien sur les droits de la personne. En 1944, la Racial Discrimination Act (loi concernant la discrimination raciale) bannit les écriteaux et les publications discriminatoires. L’année suivante, le futur lieutenant-gouverneur de l’Ontario Keiller Mackay, alors juge à la Cour suprême de l’Ontario, annule les covenants restrictifs dans le dossier emblématique Re Drummond Wren. Keiller Mackay s’associe à un groupe de juristes et de défenseurs des droits civils où figurent Bora Laskin, Mark MacGuigan et Harry Arthurs pour former ensuite l’Association canadienne des libertés civiles en 1964. Depuis lors, cette organisation s’impose comme chef de file des questions relatives aux droits.

En 1950, une modification apportée à la Labour Relations Act (loi sur les relations de travail) interdit que figurent dans les conventions collectives des dispositions discriminatoires fondées sur la race ou la croyance; un projet de loi mettant fin à l’application des covenants restrictifs suit peu de temps après. La même année, le gouvernement fédéral met en place un comité issu de la Chambre et du Sénat présidé par Arthur Roebuck qui organise des audiences publiques à propos de l’inscription des droits dans la constitution canadienne15.

Au début des années 1950, après des campagnes inlassables menées par des groupes comme la National Unity Association de Chatham, Dresden et North Buxton (avec à sa tête Hugh Burnett, activiste noir chevronné né à Dresden), le gouvernement tenu par le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario et dirigé par Leslie Frost adopte des textes ensuite désignés collectivement comme les lois concernant les « pratiques équitables » (fair practice), parmi lesquelles figurent la première Fair Employment Practices Act (loi concernant les pratiques d’emploi équitables) du pays et la Female Employees Fair Remuneration Act (loi concernant la rémunération équitable des femmes au travail), promulguées en 1951, et la Fair Accomodation Practices Act (loi concernant les pratiques équitables en matière d’hébergement) adoptée en 1954. Au lieu de laisser la résolution des litiges aux tribunaux, comme c’était auparavant le cas en matière de discrimination, la législation met l’accent sur la conciliation et le règlement des plaintes par le biais de la négociation entre parties prenantes. L’incursion ontarienne dans la législation relative aux droits de la personne a un « effet boule de neige ». En cinq ans, des lois similaires sont promulguées dans cinq autres provinces du pays16. D’après le politologue R. Brian Howe, outre les conséquences concrètes, « ces mesures ont fait office de levier symbolique pour promouvoir le principe de droits de la personne, attirer l’attention sur les fossés entre la réalité et les valeurs affichées, et inciter à la réforme » en Ontario17 (traduction libre).

Les historiens des droits de la personne relèvent que les militants les plus actifs en faveur de la réforme de ces droits après la Seconde Guerre mondiale sont les victimes de l’oppression. Les efforts d’individus et de groupes pour encourager le changement et se rallier contre les pratiques et les convictions discriminatoires au niveau de l’État et de la société parviennent à susciter un fort élan. Dans les années 1950, les associations favorables aux libertés civiles, les associations ethnoculturelles, les groupes religieux et les groupes syndicaux deviennent des alliés utiles des défenseurs des droits des minorités18. Il faut l’énergie combinée de tous ces acteurs pour convaincre le gouvernement de l’Ontario de promulguer une loi comprenant un mécanisme d’application des droits. Collectivement, ces groupes se posent en locomotive du mouvement pour les droits de la personne, qui continue de se renforcer au cours des années 1960 et 197019. Les engagements internationaux du Canada en matière de droits de la personne sont des encouragements qu’ils mettent à profit pour faire pression sur les pouvoirs publics. Les défenseurs des droits de la personne suivent une stratégie par étapes, consistant à réclamer des changements raisonnablement accessibles à Queen’s Park, puis, dès que l’Assemblée cède, à faire monter la pression d’un cran pour obtenir des changements plus vastes20.

Si les lois en matière de pratiques équitables font faire un bond en avant à la politique ontarienne des droits de la personne, les experts notent que ces dispositifs manquent de mécanismes d’application efficaces et se révèlent largement inopérants dans la lutte contre la discrimination. Au début, les juges ontariens se montrent réticents à considérer la discrimination comme un acte criminel. Par ailleurs, beaucoup de gens, y compris au sein des minorités que certaines de ces lois cherchent à protéger, ne connaissent pas la nouvelle législation. Bien que la législation reflète des avancées vers l’égalité, elle ne parvient donc pas à concrétiser le changement dans la province21.

En dépit de ses lacunes, la première législation antidiscrimination représente une transformation significative du rôle de l’État et de sa compétence à intervenir au nom des minorités. Le discours public et la sensibilisation au sujet des droits prennent une ampleur considérable au Canada quand, en 1960, le gouvernement de John Diefenbaker promulgue la Déclaration canadienne des droits22. La révolution des droits de l’Ontario fait un grand pas en avant en mars 1961, date à laquelle la province fonde la première commission des droits de la personne du pays23. La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a pour mandat d’administrer ce qui devient le premier Code des droits de la personne de l’Ontario. Le projet de loi no 54 (An Act to establish the Ontario Code of Human Rights and provide for its administration) est un acte exhaustif interdisant la discrimination motivée par diverses causes dans les domaines du logement, des services et de l’emploi. D’abord introduit en décembre 1961 par le ministre du Travail, l’honorable W.K. Warrender, le projet de loi no 54 vise à intégrer les différentes lois en matière de pratiques équitables antérieures dans le Code des droits de la personne de l’Ontario. Le Code entre en vigueur le 15 juin 1962, jour anniversaire de la signature de la Magna Carta en 1215. C’est l’un des premiers textes de loi présentés par le premier ministre Robarts lorsqu’il prend la tête du gouvernement ontarien. Le Code fait tache d’huile, et en 1977 chaque territoire canadien s’est doté d’un code et d’une commission des droits de la personne à plein temps24.

L’objectif du Code est défini dans son « préambule », qui stipule que chacun : jouit de droits de la personne inviolables et irrévocables; voit sa dignité et sa valeur reconnues; bénéficie des mêmes droits et des mêmes chances, sans discrimination, et nécessite un climat de compréhension et de respect mutuel de façon que chaque individu se sente partie intégrante de la société et puisse y contribuer pleinement.

Le Code représente plus qu’une compilation de différentes lois en matière de pratiques équitables; il donne mandat à la Commission ontarienne des droits de la personne, chargée d’administrer la procédure relative aux plaintes et au respect du Code, et lance des programmes d’information du grand public sur la nouvelle législation25. Il incombe à la Commission de conseiller le gouvernement quant aux évolutions futures du Code dans l’optique de faire progresser la cause des mesures pour l’égalité dans la province. La Commission est dotée d’un directeur, de personnel et d’un bureau permanent, occupés à plein temps26. Daniel Hill est le premier directeur de la CODP27. Sous l’impulsion de la Commission, les questions de discrimination touchent une audience beaucoup plus importante et sont replacées et traitées dans le contexte plus large des inégalités sociales systémiques. Mais l’avancée la plus importante est peut-être la possibilité pour les victimes de discrimination de se déclarer et de faire appel à un mécanisme public pour enquêter sur leurs plaintes et les étayer28.

En fin de compte, le Code a permis d’offrir plus de justice et de démocratie en Ontario. Tourné vers l’avenir, le Code continue d’évoluer en donnant un sens légal aux valeurs comme la dignité, l’égalité et le respect. En 1965, quatre modifications sont adoptées pour étendre le régime à tous les organes du gouvernement provincial et modifier les discours dans le domaine du logement et des espaces commerciaux29. En outre, l’Age of Discrimination Act (loi contre la discrimination fondée sur l’âge) est promulguée en 1966, et la Commission est chargée de sa gestion30. Daniel Hill milite avec zèle pour l’introduction de nouvelles protections dans le Code. En 1969, il montre comment certains points du Code qu’il a identifiés sont de plus en plus utilisés par des groupes spécifiques, notamment les autochtones, les immigrants récents et les femmes, et suggère des pistes de perfectionnement31.

De plus, les droits civils connaissent de larges améliorations en Ontario à l’issue de la Royal Commission Inquiry into Civil Rights réalisée entre 1964 et 1971 sous la direction de James McRuer, ancien juge en chef de l’Ontario. Le « rapport McRuer » qui en résulte formule près de 1 000 recommandations visant à mettre les lois en conformité avec les normes alors en vigueur pour ce qui touche aux droits civils.

Entre 1975 et 1977, la CODP présidée par Thomas H.B. Symons entreprend un examen majeur du Code32, afin de traiter les limites existantes du texte et de rester en phase avec les besoins changeants de la province vis-à-vis des droits de la personne. Une série de 17 consultations publiques sans précédent a lieu à travers la province, et plus de 300 récapitulatifs écrits sont soumis à la Commission. Le rapport qu’elle en tire, intitulé Life Together33, contient 100 recommandations, qui abordent divers sujets allant de l’élargissement des causes de discrimination – pour inclure notamment le handicap, l’état familial et l’orientation sexuelle – au besoin de ressources adéquates pour que la CODP puisse effectuer sa mission correctement. Alors que ces recommandations sont progressivement mises en œuvre dans les décennies qui suivent, le Code et la CODP finissent par adopter l’approche moderne, inclusive et active des droits de la personne qui est aujourd'hui la leur.

La tradition consistant à perfectionner et à renforcer le Code des droits de la personne de l’Ontario s’est perpétuée avec les efforts des autorités – motivées par l’action constante des militants et des groupes de défense – pour apporter et garantir les droits de la personne34. Aujourd’hui, le Code continue de répondre aux évolutions de la société tout en restant fidèle à son essence et à ses valeurs fondamentales de justice et d’égalité. Ce faisant, il poursuit son dialogue avec la vision qu’a le peuple ontarien de lui-même, vision dont il est la cause autant que le résultat. Dans la lignée des premiers défenseurs des droits de la personne de l’Ontario, le Code, tout comme la Commission qui le gère, s’est laissé guider par un mélange de détermination et de souplesse – une attitude essentielle à la croissance, à la santé et au progrès, dans le monde entier.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à exprimer sa gratitude à Amanda Robinson et Sam Wesley pour le travail de recherche effectué dans le cadre de la rédaction de cet article.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2012


1 T.M. Eberlee et D.G. Hill, « The Ontario Human Rights Code », The University of Toronto Law Journal 15, no 2 (1964) : 449.

2 L’honorable Arthur Roebuck, « Civil Liberties », discours donné au Château Laurier (Ottawa), le 5 mai 1946.

3 À cette époque, l’économie est florissante et les Canadiens sont horrifiés par les mesures racistes et les atrocités commises par l’Allemagne nazie.

4 Peter Cumming et Neil H. Mickenberg (éds.), Native Rights in Canada (Toronto : Association eskimo-indienne du Canada, 1972).

5 La Loi constitutionnelle canadienne de 1867 ne garantit pas l’égalité de droits, bien qu’elle consacre les libertés civiles. Dominique Clément, « ‘Rights without the Sword are but Mere Words’: The Limits of Canada’s Rights Revolution », dans A History of Human Rights in Canada: Essential Issues, éd. par Janet Miron (Toronto : Canadian Scholar’s Press, 2009), 46.

6 R. Brian Howe et David Johnson, Restraining Equality: Human Rights Commissions in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 2000), 5; Brian Howe, « The Evolution of Human Rights Policy in Ontario », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique 24, no 4 (décembre 1991) : 8

7. C’est également en 1933 que le Cooperative Commonwealth Party tient sa première convention nationale et fait du « Regina Manifesto » son programme. Ce manifeste invite à un « même traitement devant la Loi de tous les résidents du Canada, quelles que soient leur race, leur nationalité ou leurs croyances politiques ou religieuses. » (traduction libre). L’expert en droit constitutionnel (et poète) F.R. Scott est l’un des rédacteurs de ce document. Il devient ensuite doyen de la Faculté de droit McGill et consacre son énergie à la défense des droits pendant des dizaines d’années.

8 D’après les spécialistes, beaucoup de motifs expliquent la discrimination et l’absence de soutien de la population à l’égard de la législation sur les droits à cette époque. Ces attitudes et convictions sont source de discriminations sociales et économiques envers les minorités et les femmes, par exemple sur le marché du travail, mais aussi de discriminations plus formelles et officielles de la part de l’État. Voir Howe et Johnson, Restraining Equality, 4. Pour mieux connaître la manière dont la discrimination irrigue la société de l’époque, consulter Howe et Johnson, Restraining Equality; Clément, « ‘Rights without the Sword are but Mere Words’ »; Ross Lambertson, « ‘The Dresden Story’: Human Rights, and the Jewish Labour Committee of Canada », Labour/Le Travail 47 (printemps 2001) : 43-82.

9 Selon R. Brian Howe, cette période est caractérisée par une attitude sociale admettant le « laisser-faire » en matière de discrimination. En effet, la non-discrimination est reconnue comme un idéal où chacun peut choisir individuellement d’agir de manière non discriminatoire. Il arrive que cette approche trouve un écho même auprès de chefs de file de minorités et d’organisations ethnoculturelles. Pendant les années 1930, la communauté juive de l’Ontario est parfois réticente à défendre la législation en faveur des droits de la personne. Les juifs préfèrent alors encourager les solutions autonomes, de crainte que les pressions exercées sur les législateurs ne fassent plus de mal que de bien. Certains membres de cette communauté, et de la société en général, sont convaincus que le racisme est un problème dont la solution idéale repose sur une « approche éducative conviviale ». Voir Howe, « The Evolution of Human Rights Policy in Ontario », 787. Dominique Clément note par ailleurs qu’à cette époque, l’État est traditionnellement du côté des personnes coupables de discrimination. Les garanties protégeant la liberté d’expression ou d’association sont alors interprétées comme des droits à refuser des services à certaines personnes ou à exprimer des préjugés négatifs. Voir Dominique Clément, Canada’s Rights Revolution: Social Movements and Social Change, 1937-1982 (Toronto : UBC Press, 2008) : 29-30. Dans une veine similaire, les publications de Maxwell Yalden relatent la tension persistante entre les droits des différents groupes et individus d’une part, et la liberté d’expression d’autre part. Voir Maxwell Yalden, Transforming Rights: Reflections from the Front Lines (Toronto : University of Toronto Press, 2009); Howe et Johnson, Restraining Equality, 5.

10 Pendant la guerre, seuls 5 000 juifs sont autorisés à pénétrer le Canada malgré la pression internationale en faveur du soutien aux réfugiés juifs. Clément, « ‘Rights without the Sword are but Mere Words’ », 46.

11 Betcherman, Lita-Rose. The Swastika and the Rose (Toronto : Fitzhenry & Whiteside, 1975), 147.

12 Arnold Bruner, « The Genesis of Ontario’s Human Rights Legislation », University of Toronto Faculty of Law Review 37 (1979), 238.

13 L’article deux de la Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît que « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion ». Lambertson, « ‘The Dresden Story’ », 49. Une partie de cette Déclaration a été rédigée par le juriste canadien John Humphrey.

14 Lambertson, « ‘The Dresden Story’ », 49. Les théories des droits de la personne nées au cours des années 1940 émergent en même temps que l’élan international porteur d’idéaux égalitaires encouragé par la Seconde Guerre mondiale. Ces idéaux ne sont pas propres au Canada, puisque la réaction internationale aux modèles fascistes ainsi que les normes en matière de droits de la personne de l’après-guerre se répandent dans toutes les démocraties libérales. Par conséquent, on finit par admettre qu’il revient au législateur de lutter contre la discrimination sociale et de garantir un droit social aux mêmes chances. Voir Howe, « The Evolution of Human Rights Policy in Ontario », 787; Clément, Canada’s Rights Revolution.

15 Les droits ne sont inscrits dans la Constitution canadienne que lorsque la Charte des droits et libertés y est incluse à l’occasion du rapatriement de la Constitution en 1982.

16 Clément, Canada’s Rights Revolution, 25; Clément, « ‘Rights without the Sword are but Mere Words’ », 47.

17 Howe, « The Evolution of Human Rights Policy in Ontario », 787.

18 Lambertson estime que les syndicats sont au cœur de la communauté impliquée dans les politiques des droits de la personne au Canada. Lambertson, « ‘The Dresden Story’ », 47. Ce phénomène s’inscrit dans les changements structurels de l’Ontario de l’après-guerre. Les immigrants, dont beaucoup de minorités, inondent la province au moment où émerge le mouvement des travailleurs et où les femmes sont de plus en plus nombreuses à occuper un emploi rémunéré. Ces mouvements contribuent à créer une base sociale favorable à la législation antidiscrimination puisque les politiciens sont plus enclins à courtiser les votes des chefs syndicaux, des femmes et des minorités. À leur tour, les responsables publics incitent les conseillers principaux en matière de politiques de leur parti à adopter des lois répondant aux préoccupations de ces groupes. Howe et Johnson, Restraining Equality, 9-11; Clément, « ‘Rights without the Sword are but Mere Words’ », 47-48.

19 Les années 1960 et 1970 voient émerger de puissants mouvements pour les droits de la personne au Canada. Les organisations canadiennes pour l’égalité et les libertés civiles, confortées par le nombre croissant d’incidents liés à la discrimination dans le pays et par la radicalisation du mouvement pour les droits civils américain, s’organisent mieux et s’expriment plus. Cette évolution augmente leur crédit auprès des Canadiens de la classe moyenne urbaine. Behiels, « Canada and the Implementation of International Instruments of Human Rights », 162. Outre Kalmen Kaplansky, les grandes figures de la lutte pour les droits civils et de la personne comptent notamment Alan Borovoy, Ben Kayfetz, Sidney Midanik, Bromley Armstrong et Dan Hill.

20 Howe et Johnson, Restraining Equality, 11.

21 Dominique Clément avance qu’en réalité, cette première législation antidiscrimination représente certes un pas dans la bonne direction, mais ne parvient pas à imposer le changement. En août 1961, le Toronto Star rapporte que plus de dix ans après l’entrée en vigueur des premiers textes antidiscrimination en Ontario, seules deux plaintes ont été retenues. En théorie, les tribunaux ont les moyens de lutter contre la discrimination, mais les lois sont faiblement appliquées; bon nombre de gens hésitent à reconnaître le nouveau rôle de l’État, qui leur paraît « légiférer sur la moralité ». Clément, Canada’s Rights Revolution, 25; Clément, « ‘Rights without the Sword are but Mere Words’ », 48; Toronto Star (Toronto, Ontario), 3 août 1961.

22 Les limites de la Déclaration des droits ont déjà été amplement critiquées. La nécessité d’une protection des droits mieux adaptée au niveau fédéral conduit à la Charte des droits et libertés.

23 Howe et Johnson, Restraining Equality, 9.

24 Clément, Canada’s Rights Revolution, 28; Howe et Johnson, Restraining Equality, 9; Clément, Canada’s Rights Revolution, 55.

25 La conciliation, la persuasion et l’éducation sont alors considérées comme les clés de l’action de la Commission pour assurer la réussite du processus. Si une victime de discrimination dépose une plainte auprès de la Commission, un agent des droits de la personne mène l’enquête. Si ce dernier trouve des preuves étayant la plainte, la Commission prend des initiatives informelles pour réunir la partie plaignante et la partie intimée afin de négocier à propos du litige et d’aboutir à un règlement amiable. En cas d’échec, le Commission applique la loi plus sévèrement, notamment sous forme d’amendes. Howe et Johnson, Restraining Equality, 11.

26 Howe et Johnson déclarent qu’à certains égards, le Code est un progrès modeste dans la législation sur les droits de la personne. Le Code n’interdit que la discrimination découlant des critères les plus « basiques », et seulement dans les « domaines fondamentaux ». De plus, ces auteurs soutiennent que les amendes pour violation du Code sont alors négligeables. Howe et Johnson, Restraining Equality, 9-10.

27 Daniel Hill est né en 1923 dans le Missouri. Il est le cofondateur de l’Ontario Black Historical Society et soutient sa thèse de doctorat à l’Université de Toronto en 1960. Celle-ci a pour sujet « Negroes in Toronto: A Sociological Study of a Minority Group » (Les nègres de Toronto : Étude sociologique d’un groupe minoritaire) et, avec ses activités auprès du Committee for the Adoption of Coloured Children, constitue un testament qui témoigne du rôle important qu’il a joué pour dessiner les relations interraciales en Ontario et au Canada. Daniel McNeil, « Ushering children away from a ‘light grey world’: Dr. Daniel Hill and his pursuit of a respectable Black Canadian community », Ontario History 99.1 (printemps 2007) : 96.

28 Howe et Johnson, Restraining Equality, 9-11.

29 Michael Ignatieff, The Rights Revolution (Toronto : House of Anansi Press Limited, 2000), 2; Yalden, Transforming Rights, 118.

30 Il s’agit d’une réponse aux nombreuses plaintes déposées auprès de la Commission pour des discriminations fondées sur l’âge. McNeil, « Ushering children away from a ‘light grey world’ », 392.

31 McNeil, « Ushering children away from a ‘light grey world’ », 391-396. Clément note qu’il est crucial d’évaluer les limites du Code tout en reconnaissant qu’il représente une « première pierre » essentielle dans la construction d’un État moderne dans son approche des droits de la personne. Même si le Code théorise ces droits, il ne contient aucune « disposition prévoyant une procédure collective » contre la discrimination. Qui plus est, Daniel Hill et d’autres spécialistes reconnaissent que malgré la capacité de la Commission à sensibiliser la population, son personnel doit attendre les dépôts de plainte pour agir. Voir Clément, Canada’s Rights Revolution; Clément, « ‘Rights without the Sword are but Mere Words’ »; Howe et Johnson, Restraining Equality; Daniel G. Hill, « The Role of A Human Rights Commission: The Ontario Experience », The University of Toronto Law Journal 19 (été 1969) : 390-401.

32 Rosalie Abella. « Transformative Leadership: Tom Symons and a New Vision of Human Rights », dans Ralph Heintzman éd. Tom Symons: A Canadian Life (Ottawa : University of Ottawa Press, 2011).

33 Life Together: A Report on Human Rights in Ontario (Toronto : Commission ontarienne des droits de la personne, 1977).

34 Les groupes de défense continuent leur action en faveur du progrès. L’un des domaines où l’évolution est sensible concerne la discrimination liée au genre, puisque la première version de 1962 du Code des droits de la personne ne reconnaissait pas la discrimination sexuelle. Selon D. Clément, aucune des premières lois antidiscrimination, y compris le Code de 1962, n’intègre de dispositions protectrices à cet égard. Il note également que « les premières campagnes pour les droits de la personne n’accordent tout simplement pas la priorité aux questions de genre ». Clément, « ‘Rights without the Sword are but Mere Words’ », 48. À la fin des années 1960, un groupe de femmes employées par General Motors lance une campagne contre l’entreprise et le syndicat (United Auto Workers) en vue de faire modifier le Code pour y inclure le mot « sexe ». Leurs efforts sont récompensés, et en 1970, le projet de loi no 83 (An Act to Prevent Discrimination in Employment because of Sex or Marital Status) est adopté. La mention « femme » est ainsi retirée des conventions collectives ontariennes. L’historienne Pamela Sugiman note que leurs efforts modifient notablement la répartition du travail rémunéré dans la province selon le sexe, avant d’entraîner finalement l’élimination des mentions du sexe dans les conventions collectives. Voir Pamela Sugiman, Labour’s Dilemma: The Gender Politics of Auto Workers in Canada, 1937-1979 (Toronto : University of Toronto, 1994).