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L’établissement de Queen’s Bush, 1820-1867

Le 2 août 2008, la Fiducie du patrimoine ontarien, la Société historique du comté de Wellington et la Société historique du canton de Mapleton ont dévoilé une plaque provinciale au parc Glen Allan, à Glen Allan, en Ontario, pour commémorer l’établissement de Queen’s Bush, 1820-1867.

Voici le texte de la plaque bilingue :

L’ÉTABLISSEMENT DE QUEEN’S BUSH, 1820-1867

    Au début du 19e siècle, la vaste région inoccupée située entre le comté de Waterloo et le lac Huron était connue sous le nom de « Queen’s Bush ». Vers 1820, plus de 1 500 esclaves noirs affranchis commencèrent à fonder des fermes disséminées sur l’ensemble de Queen’s Bush. Bon nombre d’entre eux s’installèrent à la limite du canton de Peel et Wellesley, avec Glen Allan, Hawkesville et Wallenstein comme centres névralgiques. Ensemble, ces colons travailleurs et autonomes construisirent églises et écoles, et créèrent une communauté forte et dynamique. Des missionnaires américains éduquèrent les enfants noirs de la région dans les écoles de Mount Hope et de Mount Pleasant. Dans les années 1840, le gouvernement ordonna l’arpentage de la région, et de nombreux colons n’eurent pas les moyens d’acheter les terres qu’ils avaient défrichées au prix de tant d’efforts. Dès 1850, l’exode de Queen’s Bush était entamé. De nos jours, les descendants afro-canadiens des pionniers de Queen’s Bush vivent dans les collectivités de tout l’Ontario.

THE QUEEN’S BUSH SETTLEMENT, 1820-1867

    In the early 19th century the vast unsettled area between Waterloo County and Lake Huron was known as the “Queen’s Bush.” More than 1,500 free and formerly enslaved Blacks pioneered scattered farms throughout the Queen’s Bush, starting in about 1820. Many settled along the Peel and Wellesley Township border, with Glen Allan, Hawkesville and Wallenstein as important centers. Working together, these industrious and self-reliant settlers built churches, schools, and a strong and vibrant community life. American missionaries taught local Black children at the Mount Hope and Mount Pleasant Schools. In the 1840s the government ordered the district surveyed and many of the settlers could not afford to purchase the land they had laboured so hard to clear. By 1850 migration out of the Queen’s Bush had begun. Today African Canadians whose ancestors pioneered the Queen’s Bush are represented in communities across Ontario.

Historique

Introduction

Queen’s Bush était une vaste région non arpentée, située au nord du comté de Waterloo et au sud du lac Huron. C’est ici que s’implanta le plus important, et de loin le plus largement disséminé, des établissements noirs du Haut-Canada. C’est aussi dans cette région que s’installèrent en premier lieu en grand nombre les esclaves fugitifs provenant du Sud des États-Unis. Les conditions de vie dans cette région canadienne étaient extrêmement difficiles, même pour le 19e siècle, et l’infrastructure économique et sociale sur laquelle pouvait compter l’établissement était réduite à sa plus stricte expression. Malgré cela, en 1840, la région comptait la plus importante population noire du Haut-Canada. L’établissement, dans sa période de gloire, comptait entre 1 500 et 2 000 habitants.1 Les membres de l’établissement de Queen’s Bush construisirent des églises et des écoles autour desquelles se développa une vie communautaire dynamique et stable. Le 1er août, des célébrations de grande envergure marquaient chaque année le Jour de l’émancipation à Elmira et à Hawkesville, dans le comté de Waterloo.2 L’établissement de Queen’s Bush était toutefois destiné à être éphémère. Manquant de moyens et éloignés des marchés, les agriculteurs furent peu nombreux à pouvoir acheter les terres qu’ils cultivaient lorsqu’elles furent finalement mises en vente en 1848. En 1850, l’exode de Queen’s Bush était déjà entamé. Des familles afro-canadiennes continuèrent cependant de vivre sur place encore longtemps après le début du 20e siècle.

Débuts de l’établissement

Dès environ 1820, à partir du moment où des terres furent accordées aux loyalistes noirs près de Fergus, des immigrants afro-canadiens et afro-américains, tant des esclaves fugitifs que des esclaves affranchis, commencèrent à s’installer dans la région sauvage alors inoccupée de Queen’s Bush. Exception faite de quelques anciens combattants comme Richard Pierpoint, des Rangers de Butler, rares étaient ceux parmi ces immigrants qui possédaient les moyens voulus pour acheter des fermes ou du bétail et du matériel.3 Ils rêvaient cependant de devenir des propriétaires fonciers autonomes. Certains – y compris Paola Brown, qui émigra de Cincinnati au moment de la fondation de l’établissement de Wilberforce en 1829 – s’installèrent près de Winterbourne, dans le canton de Woolwich, et fondèrent Colbornesburg, qui dès 1832 pouvait s’enorgueillir de posséder une église et une école.4 D’autres construisirent des maisons au nord-est de Waterloo, à Conestoga.5 La majorité d’entre eux s’installèrent cependant le long de la frontière entre le canton de Peel (comté de Wellington) et le canton de Wellesley (comté de Waterloo).

Queen’s Bush demeura un territoire sans organisation jusqu’à la fin des années 1840. Une bonne partie des terres avaient été réservées au clergé lorsque le lieutenant-gouverneur Simcoe confia à des arpenteurs militaires la tâche d’établir les frontières de la nouvelle province du Haut-Canada en 1792-1793. La culture, la location et la vente des terres de cette réserve foncière devaient soutenir l’Église anglicane. Les politiques changèrent au cours de la quatrième décennie du 19e siècle et ces terres furent mises en vente à la fin des années 1840. Étant donné qu’il leur était impossible d’acheter des terres lorsqu’ils s’installèrent d’abord sur les lieux de l’établissement, les colons noirs les occupèrent en squatteurs comme le firent de nombreuses familles blanches, et ils commencèrent à défricher des terres sauvages pour s’y adonner à l’agriculture.

L’un des premiers colons noirs, John Little, qui devint un fermier prospère, décrivit en ces termes son expérience lors de son arrivée dans la région en 1842 :

Nous nous dirigeâmes ensuite directement vers la forêt, où s’étendaient des acres de terre vierge que personne n’avait songé à exploiter depuis l’arrivée d’Adam sur terre. À la tombée de la nuit, nous construisîmes un feu de camp, nous abattîmes un arbre et nous dressâmes des perches pour faire une espèce de wigwam. C’était en février et deux pieds de neige couvraient le sol.6

Le défrichage des terres exigeait beaucoup d’efforts. Des forêts mélangées denses et d’épaisses broussailles recouvraient toute la région où abondaient les ours et les loups, surtout dans les premières années. Chaque pouce de sol devrait être défriché avant qu’il ne soit possible d’y planter quoi que ce soit. Les gens plantaient les semences entre les troncs d’arbre, cultivant la terre au moyen de lourdes bêches et de râteaux à main. Même les agriculteurs expérimentés peinaient à la tâche, à moins qu’ils n’aient pu se permettre un attelage de bœufs, la façon la plus efficace de labourer le sol. Les agriculteurs noirs, s’entraidant et empruntant parfois à des colons blancs locaux, y compris à des agriculteurs mennonites, des semences et des appareils aratoires, parvinrent à défricher et cultiver quelques acres de terrain. Ils vendaient la potasse produite en brûlant du bois de feuillus.

Les fermes étaient souvent très isolées. Le bois étant cependant abondant, des maisonnettes coquettes se dressèrent bientôt dans des clairières. Il s’agissait de bâtiments en rondins qu’on agrandissait lorsque les circonstances l’exigeaient. Les hommes, les femmes et les enfants qui avaient depuis peu fui l’esclavage sont ceux qui connurent les plus grandes difficultés puisqu’ils n’avaient pas de quoi acheter jusqu’aux plus simples outils; ils souffrirent constamment de la faim. Ils persévérèrent pourtant et certains devinrent même prospères. Le levé effectué par Robert Kerr en 1843 incluait une liste des colons noirs du comté de Peel, liste reproduite à partir de ses notes d’arpentage.

Pour Thomas Smallwood, un abolitionniste noir qui visita la région en 1843, l’établissement de Queen’s Bush était un exemple pour tous les Afro-Américains de ce qu’ils pouvaient faire si on leur en donnait la possibilité :

S’ils prenaient plus largement exemple sur quelques-uns de mes frères de couleur de Queen’s Bush, auxquels j’ai rendu visite en 1843, mes frères de couleur des États-Unis s’enrichiraient rapidement. Ces hommes étaient arrivés là sans le sou. Ils avaient dû s’aventurer à l’intérieur des terres sur une distance de quinze milles et avaient dû travailler pour des fermiers pendant deux semaines pour rassembler ce dont ils avaient besoin pour travailler pendant une semaine à défricher leurs propres terres. Pendant mon séjour sur les lieux, j’ai constaté que ces hommes mangeaient trois fois par jour des pommes de terre et du sel et voici cependant ce qu’ils m’ont dit : « Ami Smallwood, vous voyez combien nos conditions de vie sont dures ici, mais nous sommes prêts à les supporter jusqu’à ce que nous parvenions à nous faire une place ». Je suis retourné les voir trois ans plus tard. Les mêmes hommes avaient engrangé quatre, cinq et parfois même six cents boisseaux de blé et possédaient du bétail et tout ce qui est nécessaire à une vie confortable. Au lieu de devoir travailler pour se nourrir, ils pouvaient embaucher des hommes pour travailler pour eux et vendre leur blé contre espèces trébuchantes.7

Le révérend William King, qui visita l’établissement en 1848, décrivit également les conditions de vie dans les environs de Queen’s Bush : « Sans moyens, loin des marchés et contraints d’emprunter des routes affreuses, les colons pouvaient à peine subvenir à leurs propres besoins. Ils ne se laissèrent cependant pas abattre par les difficultés et persistèrent, animés de l’espoir qu’avec le travail et la persévérance, ils vivraient bientôt dans l’aisance. »8 L’auteur d’une lettre parue dans le Provincial Freeman du 20 juin 1856, disait des gens de Queen’s Bush qu’ils vivaient dans « une pauvreté alarmante ». Une série de mauvaises récoltes aggrava leur situation, certains devant se résigner à manger des plantes sauvages comme de l’ail sauvage et du chou cavalier.

Malgré les difficultés, des communautés se forment

Bien qu’au début des années 1800, la majorité des colons noirs savait à peine lire et écrire ou pas du tout, ils souhaitaient ardemment que leurs enfants aillent à l’école. Dans la partie sud-ouest du canton de Peel, il était cependant difficile aux enfants noirs qui le souhaitaient de s’instruire. La fréquentation des écoles exploitées par les Blancs leur était en effet interdite de façon générale et malgré que les Afro-Canadiens dans leur ensemble attachaient beaucoup d’importance à l’instruction, il arrivait souvent qu’ils ne puissent pas se passer de l’aide de leurs enfants à la ferme.

À compter de 1838, des missionnaires américains comme le révérend William Raymond et son épouse, Eliza, arrivèrent à Queen’s Bush dans le but d’enseigner aux enfants noirs. Fidelia Coburn, une jeune femme singulièrement dévouée originaire du Maine, qui avait enseigné à l’Institut britano-américain de Dresden, en 1842, s’installa à Queen’s Bush en 1843. Elle ouvrit une école en rondins de huit pieds sur 14 pieds,9 qui lui servait aussi d’habitation à elle et à plusieurs orphelins noirs, à la Mission Mount Pleasant, située sur le lot 13, dans la moitié ouest de la concession 3. Le révérend Elias E. Kirkland, un prédicateur appartenant à l’Église méthodiste wesleyenne, et son épouse, se joignirent à Mme Coburn en 1845 et John S. Brookes du Massachusetts, ouvrit en 1846 sa propre école quatre milles plus loin, à la Mission Mount Hope. En 1845-1846, 225 enfants fréquentaient les deux écoles. Deux sœurs, Mary et Susan Teal, et un missionnaire wesleyen du nom de Melville Denlow, s’installèrent aussi par la suite dans la région.10

Des fonds et des vivres destinés aux colons leur parvenaient par l’entremise de la Mission du Canada (organisée par le révérend Hiram Wilson), de l’Église méthodiste wesleyenne et de l’Association missionnaire américaine. Certains Noirs reprochaient aux missionnaires une attitude paternaliste ainsi que la façon, pas tout à fait honnête, avec laquelle ils s’y prenaient pour distribuer les vêtements provenant de donateurs américains. En outre, les fiers Afro-Canadiens acceptaient mal qu’on les décrive comme des colons pauvres au bord de la famine, tactique à laquelle recouraient certains missionnaires dans leurs sermons et leurs articles pour stimuler la générosité, par trop sporadique, des donateurs sur lesquels comptaient leurs missions. John Little, un fermier prospère et ancien esclave, dit que bien qu’il détestait et craignait les Blancs à son arrivée dans la région, « ce sentiment disparut par la suite, en raison de la bonté que manifestèrent à mon endroit certains Blancs d’ici et des abolitionnistes venus des États-Unis pour enseigner à nos enfants ».11

L’église afro-canadienne à Queen’s Bush

Des églises furent construites, y compris celles de Yatton, Glen Allan et Wallenstein. Il s’agissait non seulement de lieux de culte pour la population noire largement dispersée, mais aussi de lieux de tenue de rencontres publiques, de réjouissances sociales et de réunions de sociétés d’entraide et d’élévation morale comme les associations de tempérance.

L’Église méthodiste épiscopale africaine (MEA), initialement fondée par le révérend Richard Allen de Philadelphie, était au nombre des confessions religieuses actives à Queen’s Bush. La Conférence du Haut-Canada fut constituée le 21 juillet 1840, à Toronto, en présence de 12 fidèles. James Dorcey construisit en 1841 un lieu de culte MEA en rondins « au sud de la rivière Conestoga ». Il s’adonna à l’agriculture sur la partie nord du lot 18, concession 1, canton de Peel.12

En 1844, la congrégation de Queen’s Bush fut confiée aux soins du révérend Samuel H. Brown. Originaire du Maryland, il prêta allégeance à la Couronne en 1842, à sa résidence, dans le comté de York.13 Le révérend Brown veilla pendant 40 ans au salut des âmes à Queen’s Bush, construisant une église MEA sur sa ferme, située sur le lot 16, concession 4, dans le canton de Peel. En 1856, l’église prit le nom d’Église méthodiste épiscopale britannique.14

Aux dires de tous, le révérend Samuel H. Brown était un prédicateur qui savait inspirer ses ouailles. Il jouait régulièrement un rôle de premier plan lors des réunions de l’Église MEA. Les réunions tenues sur la ferme du révérend Brown attiraient des milliers de participants, aussi bien blancs que noirs.15 Malgré un déclin de la population pendant les années 1850, en 1862, l’église du révérend Brown accueillait chaque dimanche 165 fidèles et 60 enfants pour l’instruction religieuse, tant et si bien qu’il devint nécessaire de construire une église à ossature de bois plus grande près de l’église en rondins originale. Samuel H. Brown s’éteignit en 1881 et fut inhumé dans le cimetière situé aux abords de l’église.16

Trois réunions annuelles de l’Église MEA eurent lieu à Queen’s Bush, dont la première en 1846. Parmi les diverses résolutions adoptées lors de cette réunion, il y eut une résolution « interdisant l’accès aux chaires canadiennes aux esclavagistes et à leurs défenseurs ».17 La seconde réunion eut lieu le 30 juillet 1847. L’un des prédicateurs présents était le révérend Josiah Hension, qui devint membre de l’Église MEA lors de la réunion de 1841 à Hamilton.18 Lors de la troisième réunion, en juillet 1853, les 70 fidèles de la congrégation MEA du canton de Peel accueillirent 14 ministres du culte qui « proposèrent des résolutions reconnaissant le Canada comme un refuge pour les esclaves fugitifs et pressant les paroissiens de prêter allégeance à la Couronne pour devenir des citoyens britanniques ».19

Le premier prédicateur baptiste à prêcher régulièrement à Queen’s Bush fut un Écossais du nom de James Sims, dont la famille d’agriculteurs s’était installée à Peel. Il servit de prédicateur itinérant auprès de congrégations noires et de congrégations blanches, bien que l’Église baptiste ne possédait pas encore de lieu de culte permanent. Une église fut finalement construite à Glen Allan, mais elle vivota toujours, ne comptant que 12 membres déclarés en 1857. Un Noir de l’endroit, John Lawson, dont la famille exploitait une ferme prospère dans la région, veillait au salut de la congrégation. L’Église méthodiste wesleyenne, comptant surtout des prédicateurs blancs, était également active dans la région.

Période de déclin

Les communautés noires de Queen’s Bush furent éphémères dans la région. Dans les années 1840, le gouvernement ordonna l’arpentage du district et de nombreux colons n’eurent pas les moyens d’acheter les terres qu’ils avaient défrichées au prix de tant d’efforts. Après que quatre pétitions sur le sujet lui eurent été présentées, le gouvernement offrit des conditions de paiement plus généreuses, mais les colons manquaient d’argent liquide et les agents des terres touchaient une commission sur les terres vendues.20 Les agents les moins scrupuleux menacèrent de s’en prendre aux Afro-Canadiens et convainquirent certains de vendre leurs terres, leurs bâtiments et leurs récoltes pour une bouchée de pain, et même parfois de simplement tout abandonner.21

Le nombre d’élèves inscrits dans les deux écoles de mission diminua, et en 1849, Fidelia Coburn (devenue Mme Brooks) recommanda leur fusion avec les écoles du système scolaire public nouvellement constitué. En 1850, une importante migration des habitants de Queen’s Bush était en cours. L’école de Mount Hope ferma ses portes en 1849, et celle de Mount Pleasant, que Susan Teal dirigeait alors toute seule, ferma les siennes en 1853. Les Afro-Canadiens quittèrent Queen’s Bush et s’installèrent principalement à Guelph, Kitchener, Owen Sound, Collingwood, Niagara, Saint-Catharines, Buxton et Chatham.22

Malgré l’adversité, des familles noires continuèrent de s’implanter à Queen’s Bush alors que l’établissement avait commencé à se dépeupler. À l’issue de l’adoption aux États-Unis, en 1850, de la Fugitive Slave Law, la communauté entière de Sandy Lake, comté de Mercer, en Pennsylvanie, immigra au Canada. La famille Travis, par exemple, s’installa à Queen’s Bush, d’abord dans le canton de Normanby, près de Durham, avant de choisir Buxton, dans les années 1860.23 Les colons restants eurent tendance à louer leurs bras à des fermiers blancs, une pratique dont certains se souviennent encore dans la région.24

Conclusion

En dépit des difficultés auxquelles ils furent confrontés, certains agriculteurs de Queen’s Bush devinrent prospères, conservant leurs terres jusqu’au 20e siècle. On commettrait cependant une erreur en pensant que ceux qui quittèrent Queen’s Bush connurent un échec. Non seulement leur succès comme colons fut-il tributaire de facteurs comme la géographie (manque d’accès aux moulins et aux marchés), les rigueurs du climat, le manque de routes et d’autres services, l’absence d’institutions publiques et le caractère complètement sauvage de la région où ils essayèrent de s’implanter, mais ils ne purent jamais se porter acquéreurs des terres sur lesquelles ils avaient choisi de s’établir puisqu’elles ne furent pas mises en vente.

En outre, certains agents des terres sans scrupules profitèrent des colons vulnérables. Norman Hisson, résident de Glen Allan pendant les années 1970, dit ceci à un journaliste du Kitchener-Waterloo Record qui l’interviewait le 20 juillet 1979 : « D’après ce qu’on m’en a dit, [William Lawson et William Douglas] furent les deux seuls colons originaux que les agents des terres ne réussirent pas à flouer d’une façon ou d’une autre ». Certains des colons européens exploitèrent aussi les Noirs. Dans le même article, Norman Hisson disait ceci : « Je me souviens que ma mère m’a raconté notamment... que les agents des terres et d’autres Blancs déplaçaient les pieux pendant la nuit ».25 La majorité des Noirs qui s’installèrent dans la région étaient aussi sans moyens. Ils n’avaient ni argent, ni outils, ni bétail, pas plus que la possibilité d’en acquérir.

On peut dire que ces intrépides pionniers noirs accomplirent beaucoup à tous les égards. Ils défrichèrent de vastes étendues de terre, construisirent des bâtiments, tracèrent des routes rudimentaires, endiguèrent des cours d’eau et apportèrent des améliorations à des fermes dont profitèrent par la suite des vagues successives de colons européens. Ils fondèrent des familles stables qui vivaient en liberté, souvent pour la première fois. Des hommes et des femmes subvinrent aux besoins des enfants et des membres âgés de leur famille. À titre d’exemple, Sophia Pooley, une femme âgée ayant été l’esclave de Joseph Brant et n’ayant pas de parenté à Queen’s Bush, s’y établit pourtant parce qu’elle savait qu’on s’occuperait d’elle dans ses vieux jours. Malgré que le sort se soit ligué contre eux, ces colons industrieux et autonomes26 construisirent des écoles et des églises, fondèrent des organismes sociaux, intellectuels et d’entraide morale et unifièrent leurs communautés autour notamment de causes missionnaires. Le Jour de l’émancipation fut toujours célébré avec grande pompe et des réunions à caractère religieux se tinrent à Queen’s Bush jusque vers la fin des années 1880.

L’importance profonde de l’établissement noir de Queen’s Bush se reflète dans la société complexe et compatissante que ces personnes privées de leurs droits, habituellement analphabètes, et profondément opprimées, créèrent prouvant ainsi ce dont elles étaient capables à condition qu’on leur accorde tout simplement la liberté, quelques acres de terres et une hache.


La Fiducie du patrimoine ontarien est reconnaissante à Mme Karolyn Smardz Frost des recherches qu’elle a effectuées et sur lesquelles s’appuie le présent document.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2008


1 Linda Brown-Kubisch, « The Black Experience in the Queen’s Bush », Ontario History 87, 2 (juin 1996); « The Queen’s Bush Settlement: Important Anti-Slavery Symbol », Waterloo County Times (printemps 1997); Peter Meyler, « The Queen’s Bush Settlement », Ontario Black History News (printemps 1997), np. Pour les documents originaux montrant que la population s’établissait à entre 1 500 et 2 000 habitants, voir « Address of the Colored Inhabitants of Hamilton to His Excellency, the Earl of Elgin », Guelph Herald, and Literary, Agricultural and Commercial Gazette, vol. 1, no 10, (mardi 2 nov. 1847), Guelph, Canada-Ouest.

2 Dumfries Reformer and Weekly Intelligencer, 5 août 1863, cité dans Kubisch-Brown, Queen’s Bush Settlement, 286n61.

3 Aux environs de 1835, la plupart des Noirs de l’établissement de Garafraxa à Fergus s’étaient déplacés vers le nord pour s’établir à Priceville, dans la partie rurale du comté de Grey. Ils construisirent la route de Durham, dont la majeure partie forme maintenant la route no 4. Maltraitées et victimes de discrimination, ces familles s’installèrent par la suite à Collingwood et à Owen Sound. Voir Peter et David Meyler, « Searching for Richard Pierpoint: A Stolen Life » (Toronto: Dundurn Press, 1999), 109-112; David Meyler, « Strange Destiny: the Garafraxa Settement of Richard Pierpoint », dans Wellington County History 9 (1996), 66-71.

4 Colonial Advocate, 2 août 1832; Linda Brown-Kubisch, The Queen’s Bush Settlement: Black Pioneers 1839-1865 (Natural Heritage Books, 2004), 26-31. Voir également la lettre de Jackson et Howell à Mickel à Guelph, 11 avril 1833, dans les Archives du comté de Wellington. Il est question de la colonie à Colbornesburg qui met en doute les bonnes mœurs de Paola Brown, « a Gentleman of Colour ». (Illustration no 11).

5 Entretien avec William Jackson, dans Drew, 189.

6 Entretien avec John Little, Benjamin Drew, The Refugee, Or A North Side View of Slavery (Boston: John H. Jewell, 1856), 216.

7 Thomas Smallwood, A Narrative of Thomas Smallwood (A Colored Man) . . . (Toronto: James Stephens, 1851), 55.

8 Rev. William King, Ecclesiastical and Missionary Record V (1848), 6-7, cité dans Donald G. Simpson, Under the North Star: Black Communities in Upper Canada, éd. Paul E. Lovejoy (Trenton N.J.: Africa World Press, 2004), 183.

9 Linda Brown-Kubisch, « The Missionaries in the Black Settlement of the Queen’s Bush », dans Wellington County History 9 (1996), 72-88; The Queen’s Bush Settlement, en particulier le chap. 2; « The Queen’s Bush Settlement », Waterloo County Times (printemps 1997).

10 Linda Brown-Kubisch, « The Missionaries in the Black Settlement of the Queen’s Bush », dans Wellington County History 9 (1996), 72-88; The Queen’s Bush Settlement, en particulier le chap. 2; « The Queen’s Bush Settlement », Waterloo County Times (printemps 1997).

11 Interview with John Little, in Drew, 216-217; Brown-Kubisch, Queen’s Bush, 100-103.

12 Der Morgenstern (Berlin, Ont.), 20 mai 1841. Dorcey a cultivé la moitié nord du lot 18, concession 1, canton de Peel. Sa ferme se trouvait peut-être où l’on construisit l’église et, fait intéressant, l’atlas du comté de Wellington de 1877 montre une école à la limite des moitiés nord et sud du lot 18. On a peut-être donc réutilisé un bâtiment communautaire existant ou l’on a bâti une maison là où se trouvait auparavant l’Église méthodiste épiscopale africaine. Un an plus tard, Dorcey fut ordonné prêtre et affecté au circuit de Saint-Catharines.

13 Brown-Kubisch, Queen’s Bush, 73.

14 À la réunion de la Conférence canadienne tenue à Chatham en septembre 1856, il fut décidé de séparer l’Église canadienne de l’Église américaine. L’évêque Willis Disney remit sa démission de son poste au sein de l’Église méthodiste épiscopale africaine et le révérend Samuel H. Brown de Queen’s Bush présida temporairement la réunion. Disney devint le premier évêque de l’Église méthodiste épiscopale britannique. Voir Handy, 215-217; Payne, 363.

15 Brown Kubisch, Queen’s Bush, 75.

16 « Peel », Atlas du comté de Wellington, 1877; Brown-Kubisch, 75 et 168.

17 James A. Handy, Scraps of African Methodist Episcopal History (Philadelphia: AME Book Concern, 1902), 144.

18 James A. Handy, Scraps of African Methodist Episcopal History (Philadelphia: AME Book Concern, 1902), 144.

19 Brown-Kubisch, Queen’s Bush, 152-153.

20 Reproduites intégralement dans Brown-Kubish, The Queen’s Bush, 236-243.

21 Entrevue avec John Francis, dans Drew, 195-197; Wright, « Ex-Slaves Farmed », citation de Mme J.E. McDougall de Drayton, « Les premiers colons de Peel sont arrivés aux environs de 1840. Il s’agissait surtout de Noirs que les sociétés abolitionnistes américaines avaient aidé à fuir l’esclavage. Étant des squatteurs, ils vendirent rapidement leurs droits à des Blancs qui achetèrent ces terres entre 3 à 4 $ l’acre. »

22 Entrevue avec William Jackson, dans Drew, 190.

23 Communication personnelle, Bryan Prince, Musée et lieu historique national de Buxton, 2008.

24 Stephen Thorning, « Black Settlers in Peel Township », manuscrit inédit, dossiers de la FPO.

25 Gerald Wright, « Ex-Slaves Farmed in Peel and Wellesley: Black Settlers Largely Ignored by Historians », Kitchener-Waterloo Record (20 juillet 1979), 31.

26 A.E. Byerly, 18 pages manuscrites, vers 1930, indiqué comme l’article Bye 8-7 dans le dossier/enveloppe « Places », Collection Byerly, Bibliothèque publique de Guelph. Lettres de référence Byerly rédigées par le rév. William King, Ecclesiastical and Missionary Record V (1848), 27. W.F. Mackenzie, « Peel Township », The Guelph Weekly Mercury and Advertiser, (24 et 31 octobre, 1907). William Kells, « Sketches of the Early Settlement of the North Riding of Wellington - Township of Peel », Elora Observer and Salem and Fergus Chronicle (10 mai 1867).