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Église anglicane St. George the Martyr

Le 15 août 2012, la Fiducie du patrimoine ontarien et les paroissiens de l'église anglicane St. George the Martyr ont dévoilé une plaque provinciale à l'église anglicane St. George the Martyr de Magnetawan (Ontario), pour commémorer l'église anglicane St. George the Martyr.

Voici le texte de la plaque :

ÉGLISE ANGLICANE ST. GEORGE THE MARTYR

    Le révérend William Crompton, un missionnaire itinérant, fonde une mission anglicane à Magnetawan en 1880. Les travaux de construction de cette église commencent la même année. Érigée sur Old Nipissing Colonization Road à une époque où la région connaît un essor fulgurant, l'église offre un centre spirituel à la collectivité et constitue un important lieu de réunion pour les pionniers. L'édifice est un bel exemple de « gothique charpentier », un style architectural de la fin du XIXe siècle qui fait figurer des éléments d'inspiration gothique sur des bâtiments à ossature de bois. L'église s'élève sur un affleurement précambrien, et cet emplacement, tout comme son style architectural et les matériaux employés (bois d'œuvre de la région), lui permet de s'intégrer harmonieusement au paysage. A.J. Casson, un membre du Groupe des sept, a immortalisé tout le pittoresque et le caractère emblématique de cette église dans son tableau Anglican Church at Magnetawan. L'église St. George the Martyr est devenue un point d'intérêt majeur ainsi qu'un symbole des fondations culturelles et naturelles qui ont présidé au développement d'une large partie de la province.

Historique

Juchée sur un affleurement rocheux du Bouclier canadien, l'église anglicane St. George the Martyr de Magnetawan est un haut lieu de la région, érigé à une époque où la province connaît un essor fulgurant. Située sur Nipissing Colonization Road, surplombant le réseau hydrographique de la rivière Magnetawan, l'église est emblématique de la riche combinaison d'influences culturelles, religieuses, économiques et naturelles sur la base de laquelle l'Ontario s'est en grande partie construit.

L'implantation de l'église anglicane de Magnetawan est, à bien des égards, le fruit des profonds changements qui surviennent en Ontario à la fin du XIXe siècle. La prospère industrie du bois de sciage constitue une énorme source de revenu pour la province; le rythme de l'exploitation forestière a exponentiellement dépassé celui du repeuplement. À la moitié du siècle, les forêts de pins du sud de la province sont pratiquement épuisées. La main-d'œuvre et les infrastructures sont par conséquent requis plus au nord, où le pin blanc est disponible en abondance mais le terrain n'a pas encore été exploré aux fins d'établissement permanent. Vers la fin du XIXe siècle, le gouvernement provincial a développé un intérêt pour le potentiel économique du nord de l'Ontario. Il réunit des équipes d'arpentage qu'il envoie en expédition dans le nord de la province repérer les ressources naturelles et cartographier la région, dont il assure alors la promotion tant au Canada qu'à l'étranger, avant de commencer à investir dans des infrastructures. Pour encourager l'établissement, le gouvernement provincial vote la loi intitulée Free Grants and Homestead Act en 1868. En 1872, le commissaire à l'agriculture et aux travaux publics, Archibald McKellar, écrit ceci au sujet de l'Ontario :

    Aucun secteur du Dominion n'offre de meilleurs incitatifs aux émigrants. Ce dont le pays a besoin, c'est d'hommes pour défricher les terrains forestiers, cultiver la terre, bâtir des maisons, fabriquer les produits ménagers usuels et établir la communication d'un bout à l'autre du pays en construisant des routes et des chemins de fer. Des hommes de profession libérale, des comptables et des commis, l'Ontario en compte bien plus qu'il n'en faut1.

La perspective de déménager dans les forêts du nord de l'Ontario doit sans aucun doute paraître intimidante pour les Canadiens comme pour les immigrants éventuels. Pour les personnes en quête de conseils, Thomas McMurray publie, en 1871, un livre intitulé The Free Grant Lands of Canada, from practical experience of bush farming in the free grant districts of Muskoka and Parry Sound. Dans cet ouvrage, il donne des conseils précis et pratiques à ceux qui envisagent de s'installer dans la région. Dans son chapitre sur Magnetawan, il écrit : « Il y a là une splendide concession hydraulique sur laquelle M. Miller est en train de construire une scierie; dans l'intérêt des enfants, on y maintient également une bonne école du dimanche. Je peux annoncer sans la moindre hésitation que Magnetawa [sic], de par son emplacement idéal, deviendra tôt ou tard un lieu d'importance considérable »2. L'appréciation de Thomas McMurray s'avère exacte. La collectivité prospère effectivement, grâce à sa situation au carrefour de deux voies de communication majeures : le chemin Nipissing3 et la rivière Magnetawan.

Le chemin Nipissing est l'un des 20 chemins de colonisation établis par le gouvernement de l'Ontario pour rendre la région se trouvant entre la rivière des Outaouais et la baie Georgienne plus accessible. À l'instar des concessions de terre gratuites, ces routes ont pour but de pousser les colons à migrer vers le nord. Le chemin facilite le passage des pionniers et des bûcherons afin qu'ils puissent défricher les forêts, bâtir des fermes et fonder des familles. La construction du chemin Nipissing dure huit ans. Lorsqu'elle s'achève en 1872, la collectivité de Magnetawan connaît un essor rapide, suivi d'une phase d'expansion immobilière galopante : trois hôtels, quatre magasins d'approvisionnement, un bureau de poste, une conserverie, une boulangerie et un magasin d'aliments pour animaux ouvrent leurs portes durant la seule année 18794. Une écluse et des épis sont construits entre 1884 et 1886 afin de permettre aux vapeurs à passagers et aux bateaux de fret de rallier Ahmic Harbour, sur la rivière Magnetawan. Le chemin de fer relie la collectivité voisine de Burk’s Falls en 1885, et dès 1890, la construction navale devient une industrie majeure, à Burk’s Falls aussi bien qu'à Ahmic Harbour.

Tout au long de ces années, les infrastructures s'efforcent de rester en phase avec l'accroissement de la population. Tandis que davantage de colons arrivent et que les familles s'agrandissent, les besoins sociaux des collectivités augmentent de pair. La religion occupe une place prépondérante dans la vie au sein du Canada victorien. À la faveur d'un recensement de 1871, seul 1,2 pour cent de la population ontarienne confesse ne pas avoir d'orientation ou de foi religieuse5. La pratique religieuse régulière revêt une importance particulière pour les nouveaux venus dans le nord de l'Ontario, puisqu'elle permet aux individus et aux familles de perpétuer leurs croyances et coutumes d'origine tout en faisant la connaissance de leurs nouveaux voisins. Selon un pasteur itinérant de la région à l'époque, les offices liturgiques dans les pastorats ruraux « occupent une place essentielle dans l'économie sociale des forêts reculées du Canada. Dans l'isolement de leur vie solitaire à la ferme, les gens, en particulier la composante féminine des ménages, se voient très peu en dehors de ces rassemblements hebdomadaires et bimensuels »6. L'importance de la tenue de services religieux n'échappe pas à Thomas McMurray, qui en livre une attestation de première main dans son ouvrage de conseils pour les personnes envisageant d'emménager dans la région :

    Les commodités religieuses de Muskoka et de Parry Sound dépassent de loin les attentes des étrangers qui ne connaissent pas l'établissement. Il n'est pas rare que les visiteurs entretiennent l'idée que les colons sont tenus à l'écart de tous les lieux d'exercice public du culte de Dieu, mais fort heureusement, ce n'est pas le cas . . . [dans le but] de répondre aux besoins spirituels d'une population nettement plus nombreuse et en augmentation constante, on a vu une forte hausse du nombre d'ouvriers chrétiens et de moyens de rendre grâce. Plusieurs églises ont été construites, et plusieurs autres attendent de l'être. […] »7.

À mesure que les collectivités se développent, le besoin en lieux d'assemblée plus vastes se fait de plus en plus pressant. Le révérend Robert Mosely relate en ces termes un séjour à Magnetawan en compagnie de l'évêque d'Algoma : « [nous] étions quelque peu déçus de ne pas pouvoir dire la messe, faute d'édifice ou de salle convenable, sans compter que les membres de l'église étaient très largement dispersés. Nous avons cependant rendu visite à certaines familles chrétiennes dans l'espoir de voir germer une occasion future de tenir office en leur sein »8. Lorsqu'il faut de l'argent pour construire une église, des appels aux dons sont lancés dans les environs et au-delà. Le révérend William Crompton, fondateur de la mission de Magnetawan, est bien connu dans le secteur pour son rôle dans la construction de plus de 20 églises dans la région. Le journal Algoma Missionary News rapporte ceci en 1881 :

    Le matin du dimanche 17 octobre, le révérend Crompton a investi la chaire de l'église St. George, à Toronto, du haut de laquelle il a lancé un fervent appel au nom des missions en général, et de l'église qu'il est en train de construire dans le village de Magnetawan en particulier. Le gentilhomme révérend a illustré son propos à l'aide d'anecdotes de la vie, nombre desquelles le concernaient lui-même ou sa famille, laquelle a vécu sept ans en zone forestière vierge et était pendant un temps à ce point isolée qu'elle ne disposait de rien d'autre qu'une piste de traîneau d'environ neuf milles pour rejoindre sa demeure. La congrégation de St. George a de toute évidence été profondément touchée, puisque la réponse à son appel s'est élevée à 120 $ en faveur de l'église du village de Magnetawan, qui sera baptisée St. George the Martyr9.

Une fois la somme nécessaire à l'érection de l'église réunie, reste à en déterminer la conception. Le choix a son importance. Les styles architecturaux permettent de véhiculer l'idéologie d'emblée, et le style sélectionné reflètera les valeurs de la communauté. L'histoire a vu les styles gothique et néogothique associés à nombre de mouvements politiques et philosophiques, mais à la fin du XIXe siècle, le renouveau gothique est considéré comme un choix conservateur. Il a été retenu lors de la conception des Chambres du Parlement britannique en 1836, et le Canada en fait de même pour ce qui est du choix de conception de la Colline du Parlement d'Ottawa en 1859.

La mesure dans laquelle les styles architecturaux et les philosophies s'entremêlent durant cette période est bien mise en exergue par la Cambridge Camden Society, une société d'architecture s'adonnant à l'étude et à la promotion de l'architecture gothique médiévale. Fondées en 1839, la société et sa revue mensuelle, The Ecclesiologist, ont une grande influence sur la conception des églises anglicanes, en Angleterre comme dans l'ensemble des colonies. En dépit de sa brève période de 20 ans d'existence, on attribue à cette seule société la refonte quasi-totale de la conception des églises paroissiales. Son objectif principal est de favoriser un retour à l'architecture gothique médiévale, en prêtant une attention particulière à la rigueur archéologique. Le fait que la création de la société et sa période d'influence coïncident avec la vive demande de réforme de l'Église anglicane n'est guère fortuit, dans la mesure où le Moyen Âge passe pour avoir été une époque de grande piété. Les fenêtres et portes en ogive, les rosaces, les arcs-boutants, les plafonds en voûte, les hautes tours et l'accent général placé sur la verticalité comptent parmi les caractéristiques du style gothique médiéval10.

La construction de l'église anglicane St. George the Martyr à Magnetawan s'achève en 1880. Saint George est un nom populaire dans le Canada colonial, s'agissant du saint patron de l'Angleterre et en raison de son association avec la chevalerie, la bravoure et la vertu chrétienne11. L'édifice est un bel exemple d'un style issu du renouveau gothique qualifié de « gothique charpentier » car il intègre des éléments d'inspiration gothi des bâtiments à ossature de bois. Les pignons abrupts, la haute tour, la rosace quadrilobe et l'extérieur presque nu de St. George the Martyr sont des marques de fabrique du « gothique charpentier ». Le plan au sol de l'église, avec son allée centrale et son abside arrondie à l'extrémité est, à l'endroit où se trouve l'autel, est également caractéristique. Les menuiseries intérieures de l'église sont réalisées par des artisans locaux et arborent des motifs géométriques en adéquation avec l'importance accordée aux mathématiques, cou que à tumière des édifices néogothiques. Ces boiseries sont toujours ans leur état d'origine.

La forme architecturale, les matériaux et l'emplacement de l'église, principalemen construite à base de vieux pin blanc, l’intègrent parfaitement au paysage naturel environnant. En raison de son caractère pittoresque, St. George the Martyr est prise pour modèle par A.J. Casson, l'un des plus illustres artistes du Canada. A.J. Casson est le plus jeune membre du Groupe des sept, un groupe de peintres basé à Toronto, aya fondé une nouvelle école de peinture canadienne axée sur le paysage et le caractèr naturel de leur terre natale. Frustrés par les faveurs accordées par la communauté artistique de Toronto à la peinture de style européen, à l'exclusion quasi-totale de quoi que ce soit d'autre, les artistes du Groupe des sept suivent leur propre voie en prena l'engagement solennel de rendre hommage aux paysages typiquement canadiens Cette entreprise est généralement considérée comme ayant donné naissance au remier mouvement artistique national du Canada.

Alors que bon nombre des membres du Groupe des sept fuient la civilisation, en quête de nature sauvage, les sujets favoris d'A.J. Casson sont les villages ontariens ruraux, notamment ceux du nord de la province. C'est probablement en 1932, au cours d'un voyage le long de la rivière Magnetawan consacré à la peinture, qu'il réalise des croqu à la peinture à l'huile de l'église anglicane St. George the Martyr. De retour dans s atelier torontois, il s'appuie sur ces croquis pour peindre la grande toile baptisée Anglican Church at Magnetawan. Son traitement de l'édifice est à la fois formel et révérencieux, et laisse l'élégante silhouette de l'église se mêler à la majestue splendeur de son environnement plutôt que de lui faire concurrence. Chose remarquable, l'artiste a pris position au sommet d'une colline située derrière le le regard tourné en direction de la rivière Magnetawan. Ce point de vue place harmonieusement l'église au cœur de son cadre de roche et de terrain boisé. Le que le Musée des beaux-arts du Canada ait fait l'acquisition de l'œuvre en 1939 moigne de sa puissance symbolique.

L'église anglicane St. George the Martyr continue d'occuper une place importante dans la vie des résidents de Magnetawan, tout particulièrement durant les mois d'été, et ser de point de repère à toutes les personnes qui vont et viennent sur route ou sur eau. Il s'agit toujours d'un lieu de culte pour les résidents locaux et saisonniers qui, comme p le passé, peuvent se rendre à l'église le dimanche par voie terrestre ou fluviale12. E 1980, la collectivité a célébré le centenaire de l'église, profitant de l'occasion pour remettre l'extérieur en état avec un parement flambant neuf et pour poser de nouvelles contre-fenêtres en vue d'améliorer le chauffage et de protéger les vitraux. Les marches du cancel ont été rénovées et un rideau de fond a été ajouté pour marquer l’occasion. Un certain nombre de familles de la région descendent des premiers pionniers qu reçu des concessions de terre gratuites, soit des personnes dont l'ambition et le dévouement ont façonné i ont le paysage naturel et social de Magnetawan, apprécié hier tout comme aujourd'hui.


La Fiducie du patrimoine ontarien tient à exprimer sa gratitude à Jennifer Withrow pour le travail de recherche effectué dans le cadre de la rédaction de cet article.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2012


1 Archibald McKellar. Emigration to the Province of Ontario, Canada (brochure pour le ministère de l'Agriculture du Canada). Toronto : gouvernement de l'Ontario, 1872. p. 1. Traduction libre

2 Thomas McMurray. The Free Grant Lands of Canada, from practical experience of bush farming in the free grant districts of Muskoka. Bracebridge : « Northern Advocate », 1871. p. 34. Traduction libre

3 Officiellement baptisé Rosseau Nipissing Colonization Road.

4 Astrid Taim. Almaguin: A Highland History. Toronto : Natural Heritage/Natural History Inc., 1998. p. 78.

5 John Webster Grant. A Profusion of Spires: Religion in Nineteenth-Century Ontario. Toronto : University of Toronto Press, 1988. p. 222.

6 W.H. Withrow. Life in a Parsonage, Or Lights and shadows of the itinerancy. Londres : T. Woolmer, 1885. p. 44. Traduction libre

7 McMurray, p. 90-91. Traduction libre

8 Algoma Quarterly, édition de 1875. Traduction libre

9 Algoma Missionary News, volume IV, n° 1, janvier – avril 1881. Traduction libre

10 Le style gothique apparaît dans le nord de la France au milieu du XIIe siècle et est principalement appliqué à l'architecture religieuse. Le nom du style est censé être péjoratif. Lorsque le style tombe en disgrâce en Europe, le terme gothique est employé afin de l'associer au peuple de germanique de l'est, du cinquième siècle, considérée comme barbare à l'époque.

11 St George est parfois surnommé « le Martyr ». Selon d'anciens écrits chrétiens, St George fut fait prisonnier, torturé puis décapité par Dioclétien en 304 av. J.-C. pour s'être opposé à l'édit de l'empereur ordonnant l'extermination de tous les Chrétiens.

12 Les résidents d'été constituent une partie considérable de la population locale. Le drapeau américain flotte sur St. George the Martyr au côté de l'Union Jack depuis 1953, par considération pour les nombreux paroissiens estivaux en provenance des États-Unis.