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Tom Patterson, 1920-2005

Le 13 juillet 2010, la Fiducie du patrimoine ontarien et la Perth County Historical Foundation (avec le soutien de la ville de Stratford, d'Orr Insurance et du Stratford Shakespeare Festival) ont dévoilé une plaque provinciale commémorant Tom Patterson, fondateur du Stratford Shakespeare Festival, au Festival Theatre de Stratford, en Ontario.

Voici le texte de la plaque bilingue :

TOM PATTERSON, 1920-2005

    Né à Stratford, en Ontario, Tom Patterson grandit pendant la Crise de 1929 et rêve de projets pouvant revitaliser sa communauté. Après avoir combattu lors de la Seconde Guerre mondiale et obtenu son diplôme universitaire, il travaille comme rédacteur en chef adjoint pour une revue spécialisée de Toronto. Au début des années 1950, il commence à discuter de la possibilité de créer un festival shakespearien internationalement reconnu dans sa ville natale. Bien que ce projet soit considéré comme risqué par certains, Tom Patterson est encouragé par le maire David Simpson et par le conseil municipal, ainsi que par le metteur en scène britannique shakespearien Tyrone Guthrie. Grâce à sa détermination et à sa persévérance, Tom Patterson réussit, en moins de deux années, à faire de son rêve une réalité. Le Stratford Shakespearean Festival est inauguré en juillet 1953 avec une mise en scène de Richard III, et établit une nouvelle norme pour le théâtre nord-américain. Participant au festival jusqu'en 1967, Tom Patterson est également le directeur-fondateur du Centre du théâtre canadien et le président-fondateur de l'École nationale de théâtre. Il reçoit de nombreuses distinctions honorifiques pour son travail et il est notamment nommé Officier de l'Ordre du Canada en 1977.

TOM PATTERSON, 1920-2005

    A native of Stratford, Ontario, Tom Patterson grew up during the Great Depression and dreamed of plans that might revitalize his community. After serving in the Second World War and completing university, he worked as an associate editor for a trade publication in Toronto. During the early 1950s, Patterson began discussing plans to establish an internationally renowned Shakespearean festival in his hometown. Although considered a risky venture by some, Patterson gained encouragement from Mayor David Simpson and the local council, and from British Shakespearean director Tyrone Guthrie. Through determination and perseverance, Patterson was able, in less than two years, to turn his dream into reality. The Stratford Shakespearean Festival opened in July 1953 with a production of Richard III, and created a new standard for North American theatre. Remaining with the Festival until 1967, Patterson was also founding director of the Canadian Theatre Centre and founding president of the National Theatre School. He received numerous honours for his work, including Officer of the Order of Canada (1977).

Historique

Introduction

Le Stratford Shakespeare Festival est, depuis ses débuts, une institution culturelle majeure au Canada et en Amérique du Nord. Il est né du rêve de Tom Patterson, originaire de Stratford, dont la détermination et la persévérance ont permis le succès immédiat du festival. Il est intéressant de noter que ce n'est pas la passion de Tom Patterson pour le théâtre qui a engendré la naissance du festival. Il n'avait en effet vu que quelques représentations théâtrales dans sa vie. C'est plutôt sa capacité à convaincre, en un laps de temps très court, des résidents locaux, un grand metteur en scène et des comédiens célèbres de donner une chance à son « idée folle ». Comme l'a si bien dit l'ensemblière de théâtre britannique Tanya Moiseiwitsch à propos de sa première rencontre avec Tom Patterson : « J'ai été éblouie ». Tom Patterson était avant tout le promoteur du Festival de Stratford et, dans les 40 années qui ont suivi, il a défendu d'autres projets de théâtre et de cinéma dans tout le Canada.

Ses premières années

Harry Thomas Patterson naquit à Stratford le 11 juin 1920. Il était le quatrième enfant de Harry Murray Patterson et de Lucinda Patterson, née Whyte. Son arrière-grand-père, Thomas Patterson, arriva d'Écosse en 1870 pour occuper un poste d'ingénieur dans l'atelier de réparation des locomotives de la société Grand Trunk Railway, le plus gros employeur de Stratford. Le grand-père puis le père de Tom furent également chefs mécaniciens dans les ateliers des chemins de fer jusqu'à la grève de 1905, à l'occasion de laquelle son père ouvrit une librairie. Peu après la naissance de Tom, son père devint directeur général (puis président) de la Stratford Brass Company, et la librairie fut vendue. L'arrière-grand-père maternel de Tom, John Whyte, émigra également d'Écosse pour ouvrir un commerce de conditionnement de viande dans la région. Déplacé à Stratford en 1900, ce commerce resta dans la famille jusqu'à sa vente au début des années 1960.

L'histoire de Tom Patterson est solidement ancrée à Stratford. Il fréquenta les bancs de la Avon Public School puis ceux du Stratford Collegiate Institute (aujourd'hui Stratford Central Secondary School) pendant la Crise de 1929. Au cours de cette période difficile, la deuxième industrie majeure de Stratford, la production de meubles, connut un déclin important et endura une grève générale en 1933. Bien que la famille Patterson ne connût pas de problèmes financiers, la récession économique qui touchait la ville la préoccupait. Tom était alors adolescent. Lui et son groupe d'amis commencèrent « . . . à envisager des solutions pour tenter de sauver (leur) ville natale ». Tom Patterson eut l'idée d'un festival shakespearien. Selon lui : « . . . nous avions une ville baptisée Stratford dans laquelle coulait une rivière nommée Avon. Nous avions un très beau système de parcs. Nos quartiers et nos écoles portaient des noms tels que Hamlet, Falstaff, Roméo et Juliette ».1 L'aménagement du système de parcs de Stratford, dirigé par Thomas Orr, fut inspiré des parcs de Stratford-upon-Avon, en Angleterre.2 Les jardins classiques de Shakespeare, près du Stratford Collegiate Institute, furent inaugurés en 1936 et étaient fréquentés par Tom Patterson et ses amis.

« L'idée originale (de Tom Patterson) . . . était que les représentations du futur festival se déroulent en extérieur. Je n'avais pas en tête l'image d'un bâtiment ou d'une scène, car je ne connaissais absolument rien au théâtre et à son fonctionnement. J'avais plutôt l'image de nombreuses personnes affluant. . . » Au départ, Tom Patterson avait choisi comme site l'abri d'orchestre de la rive sud de la rivière Avon et son cadre d'amphithéâtre naturel.

Tom Patterson obtint son diplôme d'études secondaires en 1939. Bien que sa candidature ait été refusée par l'infanterie, il servit en tant que sergent dans le corps d'armée dentaire au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il resta en garnison dans le nord de l'Europe et en Angleterre pendant cinq années, mais ne se rendit jamais à Stratford-upon-Avon. Il semble que Tom Patterson était en Normandie le jour J, en juin 1944. Après la guerre, il étudia l'histoire au Collège Trinity de l'Université de Toronto, où il obtint son diplôme en 1948. Il accepta ensuite un poste de rédacteur en chef adjoint pour une revue spécialisée de Maclean-Hunter appelée Civic Administration, à Toronto.

Une idée prend forme

Son poste chez Maclean-Hunter conduisit Tom Patterson à des conférences municipales aux quatre coins du pays. En mai 1951, alors qu'il était à Winnipeg pour couvrir un congrès sur le chapitre canadien de l’American Waterworks Association, il rencontra David Simpson, maire de Stratford. Au cours de leur conversation, il suggéra au maire de créer un théâtre shakespearien à Stratford. L'idée de Tom Patterson fut accueillie favorablement, encourageant le journaliste à l'approfondir. Grâce à ses relations professionnelles, Tom Patterson put rencontrer des hommes politiques et d'autres personnalités influentes, dont Floyd Chalmers, son patron chez Maclean-Hunter. Il put leur présenter son idée et recevoir leur appui. Tom Patterson fit part des résultats encourageants de ces réunions au maire David Simpson : « J'ai rapidement appris que personne ne pouvait dire qu'un festival shakespearien était une mauvaise idée ».

Après avoir largement semé les graines de son idée, Tom Patterson prit contact avec le conseil municipal de Stratford en janvier 1952, dans l'idée de rencontrer l'acteur britannique Laurence Olivier à New York. Les membres du conseil approuvèrent une subvention de 125 $ pour lui permettre de faire le voyage. Le lendemain, la une du Stratford Beacon Herald (Le Conseil parle de faire de Stratford un centre shakespearien mondialement connu) fut reprise par des journaux de tout le pays. Bien qu'il n'ait pu rencontrer Laurence Olivier, Tom Patterson put prendre contact avec la Fondation Rockefeller,3 et recueillit quelques commentaires et propositions d'autres personnes à rapporter au conseil. Peu après, Tom Patterson obtint le premier engagement ferme de la ville de Stratford et constitua un comité pour le festival. Des personnes telles que Harry Showalter, président de Kist Canada Ltd., ou encore Alf Bell, directeur général de la Sealed Power Corporation, voulaient voir le projet de théâtre se concrétiser. En novembre 1952, le comité pour le festival devint le conseil d'administration du Stratford Shakespearian Festival of Canada, organisme doté de la personnalité morale.

C'est grâce à l'aide de la metteure en scène canadienne Dora Mavor Moore4 à Toronto que Tom Patterson fit le plus grand pas en avant vers la création du festival. Sur ses conseils, ils prirent contact avec l'éminent metteur en scène britannique Tyrone Guthrie. Tom Patterson expliqua, dans sa lettre à Tyrone Guthrie, que les membres du comité ne connaissaient rien au milieu du théâtre et précisa « nous sommes donc plus que disposés à vous laisser carte blanche, c'est-à-dire à vous fournir un budget assez généreux ».5 C’était là un des souhaits les plus chers de Tyrone Guthrie : avoir la possibilité de construire un théâtre avec une avant-scène prolongée, comme cela se faisait beaucoup à l'époque de Shakespeare. Intrigué par cette idée, Tyrone Guthrie se rendit au Canada en juillet 1952. Séduit par la ville et son parc, il écarta immédiatement l'idée de situer le théâtre dans l'abri d'orchestre. Ils choisirent le site actuel du Festival Theatre, construit sur la pente de la colline de Queen's Park, avec vue sur la rivière Avon.

Le rêve devient réalité

En moins d'une année avant la date d'inauguration prévue, Tyrone Guthrie et Tom Patterson surent convaincre un groupe impressionnant de professionnels britanniques du théâtre pour qu'ils travaillent avec le nouveau festival. Parmi eux se trouvaient la décoratrice et costumière Tanya Moiseiwitsch,6 plusieurs comédiens dont les vedettes Alec Guinness et Irene Worth, et le directeur de production Cecil Clark. Le reste de la compagnie de 60 personnes était constitué de Canadiens. L'architecte canadien Robert Fairfield fut recruté pour concevoir et bâtir l'amphithéâtre et la scène (puis, quatre années plus tard, la structure permanente alentour).

La construction du théâtre ne se fit pas sans encombre. L'argent accusait un retard certain par rapport aux engagements financiers pris précédemment et, jusqu'aux dernières semaines avant l'inauguration, de nombreuses personnes impliquées ne savaient pas si elles seraient payées pour leur travail. Ce groupe incluait Gaffney Construction, de Stratford, qui était en charge de construire l'amphithéâtre permanent et la scène. L'énorme tente qui devait finalement recouvrir le théâtre devait être payée par avance, et il n'y avait tout simplement pas assez d'argent. Par conséquent, la tente n'arriva pas avant la fin du mois de juin 1953, soit après le début des début des répétitions. Heureusement, chaque crise semblait encourager des dons supplémentaires et spéciaux, en particulier à l'approche de la soirée d'inauguration.

La communauté de Stratford dans son ensemble, même ceux de ses membres qui demeuraient sceptiques, apporta son soutien à Tom Patterson et à son festival. Les habitants de la ville furent fortement mis à contribution : ils servirent de bénévoles pour garder le portail et la billetterie, et ouvrirent leurs portes aux comédiens, au personnel et aux mécènes qu'ils logèrent (à cette époque, on ne comptait que deux hôtels et un motel à Stratford). Des dîners furent organisés dans les églises locales, notamment à la Knox Presbyterian Church, en raison du nombre insuffisant de restaurants. (La relation particulière entre le festival et la ville de Stratford perdure de nos jours.)

Le 13 juillet 1953, Richard III inaugura le festival, suivi de Tout est bien qui finit bien le lendemain soir. Les deux pièces, tout comme le théâtre dans son ensemble, firent l'objet de critiques enthousiastes dans toute l'Amérique du Nord. Par chance, les ventes de billets dépassèrent toutes les attentes dès l'ouverture de la billetterie, et la saison, prévue sur quatre semaines au départ, fut prolongée pour atteindre six semaines. Elle s'acheva avec un déficit de seulement 4 000 $, malgré un budget dépassant de 60 000 $ les 150 000 $ prévus pour lancer le projet initial. Il était clair que le festival avait un avenir.

Tyrone Guthrie, Alec Guinness, l'auteur canadien Robertson Davies et beaucoup d'autres, impliqués dans la création du festival ou en lien étroit avec celle-ci, expliquèrent clairement que Tom Patterson était l'élément moteur à l'origine de la réalisation et de la réussite du festival. L'audace et la persévérance de Tom Patterson inspirèrent nombre d'autres personnes, qui prirent de gros risques ou ouvrirent leur maison à des étrangers pour rendre ce projet possible. Antoni Cimolino, directeur actuel du Festival de Stratford, déclara : « Le concept d'essayer de faire ce que Tom proposait devait sembler fou pour cette petite ville au début des années 1950, mais il n'a pas lâché prise ».7

Un héritage ... incommensurable

Le théâtre connut un succès international, soutenant la comparaison, même au cours des deux premières saisons, avec les inconditionnels de la scène dramatique anglaise, tels le Shakespeare Memorial Theatre de Stratford-upon-Avon et le Old Vic de Londres, en Angleterre. Le rêve théâtral de Tom Patterson créa une nouvelle norme pour le théâtre nord-américain, qui reste toujours d'actualité.

Tom Patterson poursuivit l'aventure avec le festival jusqu'en 1967, tout en lançant plusieurs autres initiatives théâtrales aux quatre coins du Canada, notamment la troupe itinérante Canadian Players en 1954 (avec Douglas Campbell) et l'École nationale de théâtre du Canada à Montréal (président-fondateur, 1960). Il dirigea également sa propre société de conseils en théâtre. Il devint Membre de l'Ordre du Canada en 1967 (avant d'être promu Officier en 1977), et fut nommé docteur honoris causa par l'Université de Toronto (1981) et l'Université Western Ontario (1988). Il fut également décoré de la Médaille du centenaire du Canada, de la Médaille du jubilé de la reine Élisabeth et de l'Ordre de l'Ontario (1991). L'île Tom Patterson, sur la rivière Avon, fut nommée ainsi en son honneur en 1977, et la troisième scène du Festival de Stratford fut rebaptisée Tom Patterson Theatre en 1991.

Bien que très malade à l'époque, Tom Patterson put faire une apparition émouvante lors des célébrations marquant le 50e anniversaire du festival, en 2002. Il apparut sur scène dans un fauteuil roulant, et le public lui fit une ovation enthousiaste et prolongée avant que ne commence la représentation de Richard III, pièce qui avait lancé le Festival de Stratford, sous une tente, 50 années auparavant. En 2002 toujours, l'étoile de bronze de Tom Patterson fut l'une des cinq premières incrustées dans le trottoir devant le Avon Theatre. Tom Patterson décéda à l'hôpital de Sunnybrook, à Toronto, le 23 février 2005.


La Fiducie du patrimoine ontarien est reconnaissante à Lutzen H. Riedstra pour ses recherches sur lesquelles s'appuie le présent document.

© Fiducie du patrimoine ontarien, 2010


1 Thomas Mercer Jones baptisa la ville Stratford en 1832 lors de l'ouverture de la Shakespeare Inn, première structure permanente de la collectivité. Il renomma également la rivière Little Thames River, qui parcourait le village, rivière Avon. D'autres noms associés au dramaturge britannique apparurent rapidement. Dans les années 1850, la ville était organisée en cinq quartiers : Hamlet, Falstaff, Roméo, Shakespeare et Avon. Un village voisin fut baptisé Shakespeare.

2 Une plaque provinciale commémorant R. Thomas Orr (1870-1957) a été dévoilée en mai 2003. Elle se situe sous l'abri d'orchestre de Lakeside Drive, à Stratford.

3 La Fondation Rockefeller est une organisation philanthropique américaine, fondée en 1913 par John D. Rockefeller, John D. Rockefeller Jr. et Frederick T. Gates. Elle soutient des causes à la fois nationales et internationales, notamment dans les secteurs de la médecine, de la recherche scientifique, de l'éducation, des arts et des lettres, et des relations internationales. En 1954, la Fondation a créé un programme de soutien institutionnel aux arts et, la même année, elle a contribué à la fondation de l'American Shakespeare Festival à Stratford, dans le Connecticut.

4 Dora Mavor Moore (1888-1979), pionnière du théâtre canadien, était comédienne, enseignante et metteure en scène. Elle fut la première Canadienne admise au sein de la Royal Academy of Dramatic Arts de Londres, en Angleterre. Elle a aidé à fonder la troupe amateur des Village Players, qui jouaient des pièces de Shakespeare dans les écoles secondaires de l'Ontario. En 1946, elle participa à la création de la New Play Society, première compagnie théâtrale professionnelle de Toronto fondée après la Seconde Guerre mondiale. En 1970, Dora Mavor Moore fut nommée Officier de l'Ordre du Canada pour sa contribution au théâtre canadien.

5 Tom Patterson et Allan Gould. First Stage: The Making of the Stratford Festival. (Toronto : McClelland and Stewart, 1987, révisé en 1999), p.60.

6 En 1949, à Stratford-upon-Avon, en Angleterre, Tanya Moiseiwitsch et Tyrone Guthrie avaient collaboré à la conception et à l'utilisation d'une scène élisabéthaine qui mettait les comédiens en valeur en faisant ressortir les costumes. Ce concept a été développé davantage à Stratford, en Ontario. Pour la première saison, Tanya Moiseiwitsch conçut les costumes et la scène en bois pour la représentation inaugurale de Richard III. Elle conçut ensuite plus de 30 spectacles pour le Festival de Stratford.

7 Citation d'Antoni Cimolino publiée dans The Toronto Star. Robert Crew, « Stage-struck boy created festival ». Toronto. 25 février 2005.