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La défense aérienne pendant la Guerre froide

Introduction

Le 27 juillet 1953, un armistice a mis fin à trois années de combats dans la péninsule coréenne. Parmi les 26 000 Canadiens qui ont servi, 312 ont été tués au combat. La fin de la guerre de Corée a marqué un tournant important dans l’histoire militaire du Canada, car elle a été suivie d’un abandon de la guerre conventionnelle. La stratégie militaire canadienne cherche plutôt à contrer la menace d’une guerre nucléaire avec l’Union soviétique.

Selon les calculs des services de renseignement canadiens et américains, les bombardiers soviétiques s’approcheraient du cercle arctique, transformant ainsi le Nord canadien en ligne de front de la défense continentale. Pour contrer cette menace, le Canada et les États-Unis ont mis en place un réseau de défense à multiples facettes afin de détecter et de neutraliser les bombardiers soviétiques. Ce réseau de défense est regroupé sous ce qui deviendra, en 1957, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Comme le présente cette section, la défense de l’Amérique du Nord contre une menace nucléaire soviétique a eu des répercussions importantes sur l’Ontario, en raison du développement de son industrie aéronautique et de ses bases militaires.

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Le dernier vol d’un CF-100 Canuck au Canada (photo ci-contre) a eu lieu le 10 février 1982 à North Bay. (Photo : Musée de North Bay)

L’aviation en Ontario

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Aviation royale du Canada (ARC) a besoin d’un intercepteur ultramoderne pour décourager l’agression soviétique. L’ARC se tourne alors vers A.V. Roe Canada Ltd, également connue sous le nom d’Avro Canada. La société était située dans les anciennes installations de Victory Aircraft Limited à Malton, que le gouvernement canadien a vendues à Hawker Siddeley Group Ltd, qui en a fait une filiale. Avro Canada a également acheté Turbo Research Inc, une organisation financée par le gouvernement qui a mis au point la technologie des moteurs à réaction pendant la Seconde Guerre mondiale. Après avoir acquis les installations et les conceptions de pointe du Canada, Avro Canada s’est rapidement imposée comme un leader de l’industrie aéronautique.

En novembre 1945, l’ARC et Avro concluent un accord pour la conception d’un nouveau prototype de chasseur/intercepteur. Près d’un an plus tard, un autre contrat est signé pour la production de l’Avro CF-100 Canuck. Le premier vol du CF-100, en janvier 1950, constitue une étape majeure dans l’histoire de l’aviation canadienne, car il s’agit du seul chasseur à réaction conçu et produit en série au Canada. Il est doté de systèmes de contrôle de tir avancés, d’un système de navigation radar de pointe, de deux sièges et d’une conception tout temps. Le CF-100 se distingue également par le fait qu’il est équipé de deux moteurs construits au Canada, qu’Avro appelle Orenda. En raison de ces caractéristiques, le CF-100 se distingue par sa conception, son rendement et ses capacités polyvalentes.

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L’Avro Arrow lors des cérémonies de dévoilement chez Avro Aircraft Limited à Malton, en Ontario, le 4 octobre 1957. PL-107092 (Photo : Bibliothèque et Archives Canada/ministère de la Défense nationale)

Alors que la guerre de Corée débute le 25 juin 1950, la demande de chasseurs à réaction parmi les membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’accroît, d’autant plus que l’Union soviétique déploie ses MiG-15. L’armée de l’air américaine envisage d’acquérir des CF-100, mais ceux-ci coûtent deux fois plus cher que les F-86 Sabre nord-américains.

Ils ont également été dissuadés par les problèmes persistants d’Avro Canada. Les ingénieurs d’Avro sont toujours en train de résoudre des problèmes de conception et doivent apporter de nombreuses modifications, à la demande de l’ARC. En plus des ajustements de conception, les ressources d’Avro sont très limitées. Avro ne se contente pas de développer le CF-100, elle livre également des moteurs Orenda à la société Canadair, située à Montréal, afin d’améliorer sa production de F-86. Parallèlement, Avro Canada met au point un avion de ligne qui manque de quelques semaines seulement de devenir le premier avion de ligne à prendre son envol. L’Avro Canada Jetliner était très prometteur, mais il a finalement été annulé pour donner la priorité aux contrats militaires. Malgré ce sacrifice, la production du CF-100 prend du retard. Alors que Canadair fabrique un millier de F-86, Avro ne produit que 90 CF-100. En 1954, la production du CF-100 augmente régulièrement pour atteindre un total de près de 700 avions.

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F-86 Sabre en vol. CWM 19910001-099, Collection d’archives George Metcalf (Photo : Musée canadien de la guerre)

Le Canuck était un avion de pointe, mais l’aviation soviétique a rapidement progressé entre le milieu et la fin des années 1950 et a rendu le Canuck désuet en tant que contre-mesure à une attaque nucléaire soviétique. Pour remédier à cette lacune, Avro a reçu un contrat en janvier 1954 pour concevoir un intercepteur supersonique de nouvelle génération. Le nouveau prototype a été baptisé Avro Canada CF-105 Arrow, mieux connu sous le nom d’Avro Arrow.

L’Avro Arrow présentait les mêmes caractéristiques que son prédécesseur, notamment des capacités tout temps, mais il était plus performant. En particulier, la vitesse maximale de 0,85 Mach du Canuck a été complètement surpassée par la vitesse record de 2 104 km/h de l’Arrow, soit un peu moins de Mach 2. L’ARC a été enthousiasmée par la conception de l’Arrow et a exprimé son intention d’acheter entre 500 et 600 Arrow, les livraisons devant commencer en 1958.

La mise au point de l’Arrow a sans aucun doute été une période passionnante pour l’industrie aéronautique de l’Ontario. Mais aussi vite que l’Arrow a captivé la population de l’Ontario et au-delà, sa source de fierté nationale s’est transformée en une source de déception.

Le 20 février 1959, le premier ministre John Diefenbaker annonce que le gouvernement fédéral n’achètera plus l’Avro Arrow. L’une des principales raisons est que la fin de la guerre de Corée et la diminution de la probabilité d’une invasion soviétique en Europe occidentale ont atténué le sentiment d’urgence de l’OTAN. Une autre considération importante est le prix de l’Avro Arrow. Le gouvernement de Diefenbaker s’était engagé à respecter des restrictions budgétaires et les projections du coût de l’Arrow par avion s’élevaient à un montant variant entre 8 millions et 12,5 millions de dollars. L’utilité limitée de l’Arrow s’ajoutait aux préoccupations du gouvernement. Le 4 octobre 1957, les Soviétiques ont lancé le premier satellite en orbite, le Spoutnik I. Ce lancement a marqué le début de l’ère spatiale et a permis d’accélérer le déploiement d’armes nucléaires au moyen de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). La contre-mesure privilégiée aux missiles balistiques intercontinentaux était les missiles antimissiles balistiques plutôt que les intercepteurs.

Finalement, l’Avro Arrow a été abandonné; les Avro Canucks sont restés en service jusqu’en 1981. Quoi qu’il en soit, Avro Canada — ainsi que les dizaines de milliers de travailleurs employés directement et indirectement par les projets Avro — a réalisé des exploits considérables dans le domaine de l’aérospatiale et de l’ingénierie aéronautique. Leurs efforts ont contribué de manière importante à la défense de l’OTAN et ont également jeté les bases de la recherche et des opérations spatiales.

Le NORAD et la base de l’ARC de North Bay

La philosophie sous-jacente à la stratégie de défense de l’Amérique du Nord était de dissuader une attaque soviétique au moyen d’une puissance offensive et défensive. La dissuasion offensive repose sur l’extension de la stratégie de « représailles instantanées » des États-Unis. À l’instar de la réponse américaine à une invasion soviétique de l’Europe occidentale, une attaque soviétique autoriserait une frappe nucléaire de représailles à grande échelle sur l’Union soviétique, ce qui aurait pour effet de fausser les calculs militaires soviétiques en faveur d’une action offensive.

Jusqu’aux années 1960, le Canada ne possédait aucune arme nucléaire, mais il était impliqué dans l’armement nucléaire américain. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Canada a fourni de l’uranium raffiné à partir d’une installation située à Port Hope, a mené des recherches nucléaires associées au Conseil national de la recherche et a participé au projet Manhattan. Après la guerre, le Canada a continué à soutenir l’armement nucléaire en fournissant du plutonium aux Laboratoires de Chalk River, situés en Ontario.

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Le réacteur SLOWPOKE a été installé dans le bâtiment de génie chimique de l’Université de Toronto en 1958. À droite, le Dr F. Allen, superviseur du réacteur, fait fonctionner le réacteur avec un étudiant. (Photo : Archives de l’Université de Toronto)

En termes de dissuasion défensive, le Canada et les États-Unis ont commencé à coordonner la défense continentale dès 1940 en créant la Commission permanente mixte de défense. L’émergence de la menace soviétique après 1945 et la mise au point d’armes nucléaires par les Soviétiques en 1949 ont ajouté un sentiment d’urgence à la défense aérienne. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la dissuasion défensive impliquait le déploiement rapide d’intercepteurs pour éliminer les bombardiers soviétiques. Pour détecter une attaque imminente, un accord bilatéral a été conclu pour créer des chaînes de stations radars au Canada entre 1951 et 1957 : le Réseau Pinetree (qui acceptait les femmes de la division féminine de l’ARC), la Ligne du Centre du Canada et le Réseau d’alerte avancé. Le Canada et les États-Unis ont également centralisé le commandement des forces aériennes opérationnelles au sein du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), qui a été créé en 1957.

À la fin des années 1950, la défense aérienne de l’Amérique du Nord s’est modifiée, l’Union soviétique ayant progressé dans la technologie des missiles balistiques intercontinentaux. Le Conseil de recherches pour la défense du Canada a conclu que la question n’était plus de savoir qui attaquait en premier, mais plutôt quelle était la force de riposte restante après l’attaque. Ainsi, au moyen de la destruction mutuelle assurée (MAD), les Soviétiques seraient dissuadés d’attaquer avec des armes nucléaires. Pendant que l’Union soviétique développe son arsenal nucléaire, l’ARC reste déterminée à intercepter les bombardiers soviétiques dans l’intervalle, mais sans le coûteux Avro Arrow. En revanche, le gouvernement de Diefenbaker a acquis 66 intercepteurs McDonnell CF-101 Voodoo auprès des États-Unis. Pour que les Voodoo puissent neutraliser efficacement les bombardiers à réaction soviétiques dotés d’armes nucléaires, ils doivent disposer de leurs propres missiles à tête nucléaire.

Complexe souterrain de la 22e escadre/base des Forces canadiennes de North Bay, ancien siège de la 22e Région du NORAD et de la Région canadienne du NORAD. (Photo : Musée de la défense aérospatiale des Forces canadiennes)

Cette question provoque toutefois un désaccord au sein du gouvernement de Diefenbaker, ce qui déclenche les élections de 1963. Diefenbaker et le parti conservateur sont battus par Lester Bowles Pearson et le parti libéral. Sous le gouvernement Pearson, les missiles nucléaires ont été acquis pour soutenir le NORAD. Les considérations financières n’ont pas joué un rôle important dans la décision puisque la grande partie du coût a été couverte par l’armée de l’air américaine. En outre, le gouvernement Pearson a acheté 56 missiles surface-air de longue portée Boeing CIM-10B Bomarc chargés d’ogives nucléaires.

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Missiles surface-air de longue portée Bomarc armés d’ogives nucléaires. (Photo : Musée de North Bay)

L’ARC disposait de nombreuses bases aériennes en Ontario, notamment à Petawawa, Camp Borden, Kingston, Trenton, Centralia, Rockcliffe, Clinton et Downsview. La base aérienne la plus importante pour la défense contre la menace nucléaire soviétique est sans conteste la base de l’ARC de North Bay.

À partir de décembre 1963, la base de l’ARC de North Bay a stocké la majeure partie de l’arsenal nucléaire du Canada (le reste étant entreposé à La Macaza, au Québec). Entre la fin des années 1950 et le début des années 1960, la base de l’ARC de North Bay a été transformée en une base hautement défendable qui servait de centre de commandement pour la région nordique du NORAD. À l’instar du quartier général du NORAD à Colorado Springs ou du Diefenbunker près d’Ottawa, la base militaire de North Bay disposait d’un complexe souterrain. Situé à 183 mètres (600 pieds) sous terre (l’équivalent d’environ un tiers de la hauteur de la tour du CN), le complexe disposait de systèmes de survie et était conçu pour résister à une explosion nucléaire de quatre mégatonnes. Il était également équipé du seul système semi-automatique d’infrastructure électronique (SAGE) en dehors des États-Unis. Ce système nécessitait d’énormes ordinateurs, qui étaient utilisés pour les cours de détection aérospatiale et d’interception informatique. En 1964, les escadrons d’intercepteurs et les missiles Bomarc de North Bay sont devenus opérationnels.

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Tunnel anti-souffle menant à l’intérieur du Diefenbunker (Photo : Diefenbunker : Musée canadien de la Guerre froide)

À la fin des années 1960, l’arsenal nucléaire soviétique s’est déplacé vers les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). Les missiles Bomarc n’étant pas efficaces contre les missiles balistiques intercontinentaux, ils ont été retirés de North Bay en 1972 par une division spéciale de l’armée de l’air américaine. North Bay est restée une importante base du NORAD, qui continue de bénéficier d’une infrastructure et de rénovations technologiques importantes afin de poursuivre sa surveillance vigilante de l’espace aérospatial nord-américain.

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Un CF-100 à la base de l’ARC de North Bay lors d’un exercice du NORAD en 1961. (Photo : Musée de North Bay)