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Leslie Miscampbell Frost, premier ministre de l'Ontario de 1949 à 1961
Commémoration du lieu de sépulture de l'honorable Leslie Miscampbell Frost, premier ministre de l'Ontario de 1949 à 1961
Thomas H.B. Symons, C.C., O.Ont, FRSC, LL.D., D.Litt., D.U., D.Cn.L., FRGS, KSS – Président, Fiducie du patrimoine ontarien
Je suis ravi d'être ici aujourd'hui pour m'adresser à vous au nom du conseil d'administration de la Fiducie et pour parler de ce grand ami et mentor qu'a été l'honorable Leslie Frost.
La Fiducie du patrimoine ontarien, qui administre le patrimoine de la province au nom des Ontariennes et des Ontariens, est un acteur incontournable de la conservation de notre patrimoine, un centre de conseil, de renseignements et de formation en matière patrimoniale ainsi qu’un important promoteur de notre patrimoine naturel, culturel et architectural.
En 2007, à l'initiative de Jim Brownell, alors député provincial, le gouvernement de l'Ontario a instauré le Programme commémorant les lieux de sépulture des anciens premiers ministres afin de rendre hommage aux anciens premiers ministres de l'Ontario en érigeant une plaque sur leur lieu de sépulture. La Fiducie du patrimoine ontarien, qui a pour rôle de commémorer des événements, des personnes et des lieux importants de l’histoire de l’Ontario, a été choisie pour concevoir et mettre en œuvre ce nouveau programme spécial dans le prolongement de sa mission.
Elle l'a inauguré en novembre 2008 à St. Andrews West, lors d'une cérémonie inoubliable organisée pour commémorer la première personne à occuper le poste de premier ministre de la province – l'honorable John Sandfield Macdonald. Depuis, des cérémonies ont eu lieu à St. George, Toronto, Brantford, Morrisburg, St. Thomas, Oshawa, Crown Hill et Guelph en hommage au leadership de treize autres premiers ministres et à l’héritage important qu’ils ont laissé derrière eux.
Aujourd'hui, nous avons l'honneur de rendre hommage à l'honorable Leslie Frost, seizième premier ministre de l'Ontario. Leslie Frost est né à Orillia en 1895. Le rythme et les sensibilités de cette petite collectivité, dont Stephen Leacock a si bien su rendre compte à travers sa description fictive de Mariposa dans Sunshine Sketches of a Little Town, ont profondément marqué M. Frost. Son intérêt pour la politique et sa manière d'envisager celle-ci ont également été influencés par sa vie familiale et, en particulier, par les vives discussions politiques qui animaient si souvent les repas chez les Frost.
La Première Guerre mondiale a, elle aussi, eu une influence considérable sur la conception que se faisait Leslie Frost du service public et du devoir public. Il s'engage comme lieutenant provisoire dans le 157e bataillon Simcoe Foresters au printemps 1915 et combat en France et en Belgique. Au cours de cette période, son frère Cecil et lui écriront de nombreuses lettres à leur famille dans lesquelles ils analysent en profondeur la politique de l'époque. Cette correspondance fait d'ailleurs l'objet d'un volume superbement préparé par M. Rae Fleming.
M. Frost est libéré de l'armée avec le grade de capitaine en 1918 à la suite d'une grave blessure, qu'il abordera rarement mais dont il ressentira les effets jusqu'à la fin de ses jours. Les expériences qu'il a vécues pendant la guerre lui inspirent une passion pour le processus politique et l'histoire militaire, ainsi qu'un souci constant du bien-être des anciens combattants, qu'il conservera tout au long de son mandat politique. Mais ce n'est pas tout : ses expériences l'amènent à accorder une valeur encore plus importante à la communauté et à une société dont les membres prennent soin les uns des autres et se soutiennent mutuellement. Le respect qu'il porte à ses compagnons d'armes de la Grande Guerre, qu'il décrira si bien dans son livre Fighting Men, ses expériences sur le champ de bataille et sa période d'hospitalisation pour se remettre de sa blessure de guerre sont autant d'éléments qui renforcent sa foi en la communauté et la valeur qu'il y accorde.
Pendant ses permissions pour prendre un repos bien mérité et se rétablir, alors qu'il combat en première ligne en France, ainsi que durant sa convalescence, M. Frost passe de nombreuses heures dans la galerie du modèle des parlements, souvent accompagné de son frère Cecil, à écouter les débats, à observer les allocutions parlementaires des grands orateurs de l'époque, et à réfléchir aux questions d'intérêt public dont ceux-ci discutent. Cette expérience accroît et aiguise l'intérêt et le respect qu'il porte au processus politique selon le modèle britannique, qui deviendra l'une de ses passions dominantes et le restera tout au long de sa vie.
À son retour au Canada à la fin de la guerre, Leslie Frost s'inscrit en faculté de droit à Osgoode Hall en 1919 et est admis au barreau en 1921. Avec son frère Cecil, son grand ami pour la vie, avec lequel il partage sa passion de la politique, il achète un cabinet d'avocats à Lindsay cette année-là. En 1926, « Les » épouse Gertrude Jane Carew. Ils passeront la majeure partie de leur vie à deux dans cette collectivité, où ils vivront heureux.
Né à Orillia et installé à Lindsay, Leslie était véritablement un enfant de la voie navigable Trent-Severn, dont le réseau de lacs, de rivières et de canaux l'aura fasciné toute sa vie. Il connaissait la vallée de la rivière Trent – son histoire, sa géographie, ses peuples et sa culture – comme sa poche. Il était chez lui dans cette collectivité à laquelle il était profondément attaché et depuis laquelle, tout au long de sa vie, il couvrira de son regard bienveillant les autres collectivités de l'Ontario, du Canada et du Commonwealth, avec tout le souci et l'affection d'un père.
M. Frost est élu à l'Assemblée législative pour la première fois en 1937, en tant que représentant de Victoria-Haliburton. Il y sera systématiquement réélu jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite en 1963, après avoir consacré 26 années consécutives à sa mission électorale parlementaire au service de la population de l'Ontario. Il a occupé la fonction de trésorier provincial et de ministre des Mines dans les gouvernements George A. Drew et Thomas Laird Kennedy, et est resté au poste de trésorier provincial pendant les six premières années de sa charge de premier minister.
Leslie Frost est choisi comme chef du Parti progressiste-conservateur de l'Ontario en 1949 avant de prêter serment comme premier ministre et comme trésorier provincial au mois de mai de la même année.
Pendant la durée de sa charge de premier ministre, douze ans au total, Leslie Frost dirige une province qui traverse une période complexe : une incroyable expansion d'après-guerre. Alors que l'Ontario connaît une phase de développement et d'industrialisation, M. Frost mesure combien la croissance est importante et nécessaire dans un contexte de responsabilité financière. En parallèle, il œuvre pour un style de conservatisme progressiste favorable à l'intervention de l'État, adoptant une approche plus soucieuse des besoins des citoyennes et des citoyens de l'Ontario, comme en témoignent la mise en place par son gouvernement de l'aide pour les personnes handicapées et du régime public d'assistance-hospitalisation, ainsi que son excellent travail dans le domaine de l'éducation. Si son apparence, son attitude et sa manière d'aborder les questions font de lui un conservateur attentionné, il n'en est pas moins très progressiste dans ses idées et en pratique, faisant avancer les programmes sociaux provinciaux axés sur le bien-être communautaire.
Animé d'un sens aigu de l'équité, Leslie Frost a très à cœur de défendre et de faire progresser les droits de la personne. Il est le principal artisan d'une grande partie de la législation fondamentale sur les droits de la personne en Ontario. En 1951, son gouvernement adopte une loi pour encourager les pratiques d'emploi équitables en Ontario (« Act to Promote Fair Employment Practices in Ontario ») et une loi pour garantir la rémunération équitable des femmes au travail (« Act to Ensure Fair Remuneration for Female Employees »). Il s'ensuit une législation sur les pratiques équitables en matière de logement (« Fair Accommodation Practices Legislation ») en 1954. En 1955, le gouvernement Frost élargit le droit de vote aux Autochtones de l'Ontario. Sous le leadership ferme de Frost, la province de l'Ontario établit un code des droits de la personne et une commission des droits de la personne, ce qu'aucune autre province ni aucun autre état d'Amérique du Nord n'avait fait avant elle.
Conscient de l'importance de l'infrastructure économique, le gouvernement de Leslie Frost développe considérablement les réseaux de transport de la province en faisant construire l'autoroute Macdonald-Cartier (autoroute 401) et en achevant le tronçon ontarien de la route Transcanadienne. Il œuvre aussi à la construction d'une foule de nouvelles autoroutes et à la réalisation de nombreuses améliorations à des autoroutes existantes dans l'ensemble de la province. La construction de la voie maritime du Saint-Laurent et plusieurs avancées dans le domaine hydroélectrique constituent d'autres éléments essentiels du programme d'expansion économique de la province sous la houlette de Leslie Frost.
M. Frost est sensible à la relation souvent fragile qui unit la province et ses municipalités. Son gouvernement augmente donc l'aide provinciale aux municipalités et facilite la mise en place d'un gouvernement de type métropolitain dans la région de Toronto.
Alors que la province connaît une période de croissance et de progrès, M. Frost ne perd pas pour autant de vue à quel point il est important de préserver nos ressources et notre patrimoine naturels. Il agit avec détermination pour s'assurer que les ressources de l'Ontario ne seront pas détruites ou mises à prix afin d'en retirer de l'argent facile. Respectueux des espaces naturels, il œuvre pour la préservation de ceux-ci et crée la Commission des ressources en eau de l'Ontario.
Mais la priorité majeure de M. Frost durant sa charge de premier ministre aura sans doute été l'éducation. Il a un jour déclaré que l'éducation était le problème numéro un de l'Ontario et que des besoins vitaux tels que la mise en place d'un régime d'hospitalisation, le développement du réseau autoroutier ou encore la prestation des services visant à maintenir l'expansion industrielle devaient passer au second plan. Ainsi, pendant ses mandats, de nouvelles écoles élémentaires et secondaires ouvrent leurs portes dans toute la province tandis que des projets voient le jour pour créer plusieurs autres établissements postsecondaires et pour opérer une restructuration en profondeur d'établissements existants. Parmi les dirigeants de notre pays, M. Frost était assurément un homme d'État d'une érudition supérieure.
Leslie Frost continue de s'intéresser à l'éducation bien après ses mandats de premier ministre. Il joue ainsi un rôle capital dans la création de l'Université Trent et accepte, lorsque celle-ci ouvre ses portes, d'en devenir le premier chancelier en 1967, fonction qu'il occupera activement. En effet, il ne se contente pas d'un titre honorifique et consacre, au contraire, beaucoup de temps à réfléchir aux projets et aux besoins de l'université et à prêter son concours pour obtenir les ressources nécessaires à leur réalisation. Il participe à d'innombrables cérémonies et événements organisés par l'université, et met un point d'honneur à apprendre à connaître un échantillon représentatif du corps professoral. Son épouse et lui s'intéressent individuellement et personnellement à de nombreux étudiants, qui sont souvent surpris, tout comme leur famille, d'entendre M. Frost s'adresser à eux par leur nom pour les féliciter lors des cérémonies de remise de diplômes.
Leslie Frost se soucie particulièrement de l'élaboration d'un cursus en études canadiennes à l'université, comme l'illustre bien la création par Leslie et Gertrude Frost d'un fonds spécial à Trent en 1969 pour encourager l'enseignement et la recherche dans ce domaine. Le Frost Centre for graduate studies and research in Canadian Studies and Indigenous Studies de l'Université Trent a justement reçu ce nom en l'honneur de M. Frost.
Après son retrait de la vie politique, M. Frost devient l'un des administrateurs fondateurs les plus actifs du Collège Sir Sanford Fleming, qui a d'ailleurs baptisé son campus de Lindsay en son honneur. Il œuvre également au sein du Comité consultatif en matière universitaire de la province.
Non seulement convaincu de l'importance de l'éducation, M. Frost était aussi très attaché à l'histoire de la province – en particulier à l'histoire des comtés de Victoria, de Peterborough et de Haliburton. Ses ouvrages – Forgotten Pathways of the Trent et Pleasant Point Story: a History of Pleasant Point – témoignent de sa passion pour l'histoire de cette region.
Si son gouvernement affiche des réalisations impressionnantes sur le plan législatif, M. Frost a légué un autre élément peut-être tout aussi important : la manière dont il entreprenait d'atteindre de tels objectifs. Leslie Frost appréciait énormément d'établir une relation avec les citoyennes et les citoyens de l'Ontario, ce qu'il faisait avec grand talent. Pendant ses années consacrées à la politique, il rendra visite à presque tous les foyers de sa circonscription, convaincu que c'était le seul moyen de véritablement comprendre les espérances et les aspirations des gens. Ceux-ci, pour leur part, admiraient son charme et son intégrité, et respectaient énormément son leadership.
M. Frost était également profondément respecté aussi bien par ses collègues que par ses opposants politiques, qui reconnaissaient ses qualités d'administrateur doué et de leader avisé, tout aussi à l'aise à l'Assemblée législative, pour débattre et diriger la politique d'une main ferme, que dans le fauteuil du coiffeur de Lindsay, d'où, comme il le disait souvent, il observait attentivement la scène politique de l'Ontario. C'est en effet comme d'un père – il était surnommé « Old Man Ontario » –, veillant d'un regard tendre et protecteur sur sa province et son pays sous l'angle privilégié que lui offrait le fauteuil du coiffeur de Lindsay, que l'on se souvient avec tant d'affection et de respect de Leslie Frost aux quatre coins de l'Ontario.
Juste avant sa démission officielle du poste de premier ministre en 1961, M. Frost écrira : « Cela a été un immense privilège que de diriger notre Parti, qui est en effet le parti du peuple, et de donner la possibilité aux hommes et aux femmes – de tous âges, de tous horizons et de toutes origines – de servir notre province et notre pays à une époque très complexe. »
Plus d'une fois, Leslie Frost a fait remarquer, comme l'avait fait l'une de ses sources d'inspiration, Sir Wilfrid Laurier, qu'il était « canadien avant tout » – ce que sa vie prouve et confirme. Les Frost n'ayant pas eu d'enfants, l'Ontario est, d'une manière très authentique, devenu leur famille. Mais M. Frost possédait également une connaissance approfondie de la littérature, de l'histoire et des institutions des Îles Britanniques, qu'il affectionnait beaucoup. Ces îles ont, elles aussi, toujours été pour lui une source d'inspiration. Vers la fin de sa vie, après le décès de sa courageuse épouse, Gertrude, M. Frost s'est joint à mon épouse, Christine, et moi-même, pour un voyage en Grande-Bretagne. J'y avais quelques obligations à satisfaire à Londres et à Oxford en tant que président de l'Association des universités du Commonwealth, après quoi nous avons eu la chance de passer deux semaines en compagnie de M. Frost à faire des rencontres et à visiter des endroits selon un itinéraire qu'il avait en grande partie choisi. Cela a été une expérience très heureuse et extrêmement vivante, grâce aux innombrables récits historiques, anecdotes personnelles et allusions littéraires qu'il nous faisait sans cesse partager – et grâce à sa grande gaieté.
En me penchant sur la carrière politique de M. Frost, je me remémore à quel point des valeurs comme le leadership, le respect, la collégialité, l'intégrité, ainsi que la bienveillance et le souci à l'égard de chaque citoyen et citoyenne, et de la collectivité, peuvent bel et bien concourir à une vie réussie et productive dans le service public, même dans les périodes les plus difficiles. De ce point de vue, la carrière de M. Frost constitue pour nous toutes et tous un rappel important de ce que la politique peut être.
C'est pour nous un honneur que d'être ici aujourd'hui pour commémorer officiellement, au nom de toutes les Ontariennes et de tous les Ontariens, l'honorable Leslie Miscampbell Frost et pour célébrer son dévouement envers la population de cette province ainsi que les services qu'il lui a rendus.
Je vous remercie.