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Les raids des fenians au Canada-Ouest

Introduction

En 1866, John O’Neill pénètre au Canada-Ouest à la tête de 700 à 800 républicains américains d’origine irlandaise, armés et partisans de la Fraternité des fenians. Cette invasion s’inscrit dans le cadre d’une campagne feniane plus vaste visant à remporter des victoires militaires en Amérique du Nord britannique pour s’en servir comme levier politique et libérer l’Irlande du joug de la Grande-Bretagne. Jusqu’à leur dernier raid en 1871, les fenians échoueront à tenir des positions stratégiques et verront toutes leurs incursions repoussées. Ironie de l’histoire, les fenians contribueront davantage à renforcer l’Amérique du Nord britannique qu’à l’affaiblir. En effet, la menace des fenians accroît le soutien du public en faveur de la milice canadienne, à une période où le ministère britannique des Colonies cherche à réduire ses engagements militaires dans les colonies. Les agissements des fenians participent également à favoriser l’adhésion à la Confédération canadienne en 1867. À ces égards et à d’autres, les raids des fenians, qui marquent par ailleurs la dernière invasion de la province, joueront un rôle déterminant dans le développement militaire et politique du territoire que l’on appelle aujourd’hui l’Ontario.

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Siège de la Fraternité des fenians, Union Square, New York, 1865. New York Public Library.

La Fraternité des fenians

Pour comprendre les incursions des fenians dans le Canada-Ouest, il est important d’exposer les motivations et les objectifs de l’organisation à l’origine de ces offensives : la Fraternité des fenians. Cette organisation est fondée par des républicains irlandais (pour la plupart catholiques) luttant pour l’indépendance politique de l’Irlande. Inspirés par les révolutions française et américaine, les républicains irlandais tentent de mener leur propre rébellion en 1798, mais celle-ci se solde par une défaite : le parlement irlandais est dissout et les représentants irlandais sont avalés par le système politique britannique. Les révolutionnaires continuent toutefois de se battre pour la création d’une République irlandaise indépendante, une lutte qui atteint son apogée avec la guerre d’indépendance irlandaise de 1919-1921.

Puis a lieu la Grande Famine irlandaise, qui sévit au milieu des années 1840 et conduit à un exode massif entre 1847 et 1852. Des centaines de milliers de réfugiés irlandais se rendent en Amérique du Nord britannique, et près d’un million aux États-Unis. Parmi les immigrants irlandais arrivant dans le Nouveau Monde, de nombreux catholiques continuent de porter en eux le désir qu’ils nourrissaient dans l’Ancien Monde, à savoir créer une République irlandaise indépendante. C’est pourquoi les révolutionnaires irlandais voient les tensions entre les États-Unis et le Royaume-Uni d’un bon œil, tout conflit étant susceptible d’affaiblir le pouvoir de répression de ce dernier face à une révolution en Irlande. C’est ainsi que, par exemple, pendant la rébellion de 1837-1838, certains républicains irlandais soutiennent les loges des chasseurs patriotes malgré l’inclination protestante et abolitionniste de l’organisation.

Alors que la population irlandaise en Amérique du Nord bondit au cours des années 1840 et 1850, les révolutionnaires irlandais se font de plus en plus téméraires. Parmi eux se trouve Michael Thomas O’Connor, qui annonce en 1848 qu’une offensive de grande ampleur contre l’Amérique du Nord britannique est imminente. Cette déclaration n’a pas de fondement réel, mais les révolutionnaires irlandais poursuivent leurs intrigues et fomentent un plan visant à envahir l’Irlande avec l’aide de la marine russe lors de la guerre de Crimée. Ambitionnant de mieux structurer le mouvement révolutionnaire irlandais, ses chefs de file se réunissent à Dublin le 17 mars 1858 pour former la Fraternité républicaine irlandaise. L’année suivante, John O’Mahony fonde la branche américaine du mouvement, qu’il nomme « Fraternité des fenians » en référence aux troupes de guerriers et de chasseurs celtes de l’ancienne Irlande gaélique, appelées Fianna.

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John O’Mahony en uniforme de l’Union. 111-B-2104, Archives nationales du Canada.

Après la tenue de son premier congrès à Chicago en 1863, la Fraternité des fenians prend de l’ampleur. Des campagnes de recrutement attirent des milliers de volontaires, dont de nombreux vétérans irlandais d’origine américaine ayant participé à la guerre de Sécession. Le mouvement met également les femmes à contribution en les chargeant de confectionner des vêtements, de collecter des fonds ou de s’occuper de diverses tâches organisationnelles. La classe politique américaine se plie aux aspirations des fenians pour obtenir des votes. Les fenians vont même jusqu’à émettre leurs propres titres obligataires, remboursables à condition que l’Irlande obtienne son indépendance, et se servent des recettes pour financer leur siège à Union Square, un quartier aisé de New York. La Fraternité des fenians étant bien entendu une organisation militariste, elle travaille également à amasser armes et munitions. L’organisation est néanmoins divisée sur la question de la meilleure stratégie à adopter. O’Mahony estime que le matériel militaire et l’argent devraient être envoyés directement en Irlande. Mais William Roberts, à la tête d’une faction rivale, pense qu’il serait plus efficace de lancer une action militaire contre l’Amérique du Nord britannique pour forcer le Royaume-Uni à concéder l’indépendance de l’Irlande.

À l’instar des généraux américains pendant la guerre de 1812 et des réformistes radicaux lors de la rébellion de 1837-1838, les fenians surestiment les velléités de révolte des Canadiens contre le joug britannique. Même au sein de la communauté irlandaise catholique canadienne, la stratégie des fenians reposant sur une action militaire contre les colonies se heurte à une vive opposition. Thomas D’Arcy McGee fait partie de ses plus farouches opposants. Représentant élu à Montréal et ancien militant du mouvement républicain irlandais, McGee devient un fervent défenseur de la réconciliation pacifique au sein de la communauté irlandaise catholique du Canada. En plus de faire la promotion d’une réconciliation pacifique, McGee et d’autres détracteurs de la stratégie militaire feniane aident les autorités britanniques en leur transmettant des renseignements . En 1865, des rapports indiquent que les fenians sont prêts à attaquer.

La menace feniane et la milice canadienne

La menace feniane point à une période charnière du développement militaire de la province du Canada. Dans les années 1850, de plus en plus de décideurs politiques britanniques souhaitent que le gouvernement canadien assure sa propre défense, car outre l’entretien de la garnison britannique, les contribuables du Royaume-Uni doivent payer pour plusieurs unités canadiennes postées à la frontière entre le Canada et les États-Unis, notamment le Colored Corps, une unité composée de Canadiens noirs et chargée de la surveillance du canal Welland. La nécessité de ces dépenses est discutable. Les relations entre l’Amérique du Nord britannique et les États-Unis sont bien meilleures depuis que ces derniers ont signé avec le Canada le Traité de réciprocité de 1854. Par ailleurs, le gouvernement britannique doit faire face à d’autres dépenses militaires, en particulier celles découlant de l’implication du Royaume-Uni dans la guerre de Crimée. Aussi les effectifs de la garnison britannique seront-ils diminués tout au long des années 1850, et les unités provinciales postées au Canada dissoutes.

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Rapport sur les activités des fenians publié en 1866, VS/Toronto Reference Library.

En 1861, la guerre de Sécession ravive les craintes d’une guerre entre les États-Unis et le Royaume-Uni. En novembre, un navire de guerre américain capture deux envoyés confédérés présents sur le RMS Trent, un bateau à vapeur britannique. En réaction à cet incident, qui portera le nom d’« affaire du Trent », les Britanniques déploient plus de 10 000 soldats pour protéger les colonies contre d’éventuelles agressions américaines. C’est à ce moment-là que les responsables politiques britanniques admettent tacitement l’inutilité de maintenir une garnison pour défendre les colonies nord-américaines face à des États-Unis qui se sont militarisés. La province du Canada commence alors à gagner en autonomie dans la gestion de sa propre sécurité, la présence d’une garnison britannique ne revêtant aucun intérêt d’un point de vue défensif.

Dans un contexte où le Royaume-Uni diminue ses engagements militaires et où la politique de défense canadienne est en cours de négociation, la Fraternité des fenians apparaît comme une menace intimidante pour l’Amérique du Nord britannique. Des rapports faisant état d’invasions fenianes imminentes en 1865 et 1866 poussent les forces canadiennes et britanniques à se préparer à un affrontement qui semble inévitable. La garnison britannique, dont les effectifs sont pourtant en réduction, est temporairement renforcée, et des unités de milice canadiennes sont placées en état d’alerte. La menace des fenians met également la question de la milice canadienne à l’ordre du jour des décideurs politiques, car les réformes militaires adoptées depuis l’Acte d’Union n’ont encore jamais été mises en pratique.

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Dessin des Queen’s Own Rifles et d’autres régiments de volontaires embarquant dans des bateaux à vapeur et des trains pour se rendre sur le théâtre des combats, 1866. Musée canadien de la guerre.

Au début des années 1840, la milice canadienne repose sur une institution appelée la milice sédentaire, qui recrute ses hommes par le biais d’un service universel obligatoire. Impressionnante en apparence avec ses 426 bataillons et 235 000 miliciens, cette milice est néanmoins composée en majeure partie de troupes qui ne sont ni entraînées ni équipées pour le combat. La milice canadienne abandonne progressivement sa politique de service obligatoire au profit du service volontaire. En 1846, des dispositions sont prises pour autoriser la constitution d’une force de 30 000 volontaires, à condition que les unités ainsi formées couvrent leurs propres dépenses. La Loi de Milice de 1855 introduit un autre changement majeur en marquant l’abandon effectif du service obligatoire par le gouvernement, qui s’engage en contrepartie à financer une milice active de 5 000 volontaires, avec l’objectif de former des compagnies d’infanterie, de cavalerie et de batteries de campagne.

Soumise aux fluctuations de l’engouement militaire, cette politique de recrutement volontaire produit des résultats en dents de scie. Ainsi, l’enrôlement volontaire croît parallèlement à l’enthousiasme suscité par la guerre de Crimée, la rébellion indienne et la visite du prince de Galles en 1860. Cette dernière conduit même à la formation de nouvelles unités, telles que les Queen’s Own Rifles de Toronto. Mais à mesure que la ferveur militaire retombe et que les effets de la récession se font sentir, les effectifs des unités volontaires diminuent. La milice canadienne souffre en outre d’un autre problème systémique : son efficacité douteuse au combat. En effet, les officiers de milice sont souvent nommés pour leur statut politique et social plutôt que pour leurs compétences militaires. Les unités, quant à elles, ressemblent davantage à des amicales qu’à des organisations se préparant à des combats meurtriers. À l’inverse, de nombreux soldats fenians sont des vétérans aguerris qui ont pris part à la guerre de Sécession et à d’autres conflits. Il est donc impossible de prédire les performances de la milice canadienne au combat. Néanmoins, cette dernière bénéficie du soutien de la garnison et des services de renseignements britanniques, ce qui lui confère un avantage de taille. Par ailleurs, la montée du sentiment d’insécurité au Canada entraîne un afflux de recrues, qui porte la force volontaire canadienne à 35 000 hommes en 1863.

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Bouton militaire des années 1860-1880, gravé d’un castor et de la mention « Canada Militia ». Fiducie du patrimoine ontarien.

La bataille de Ridgeway

La première grande incursion des fenians en Amérique du Nord britannique est menée par la faction de John O’Mahony. L’offensive vise à occuper l'île Campobello, au Nouveau-Brunswick, pour attirer des troupes britanniques et affaiblir la capacité du Royaume-Uni à réprimer une révolte de grande ampleur en Irlande. Le plan des fenians est découvert par les renseignements britanniques en mars 1866. Des navires armés sont déployés autour de l’île, les unités de milice locales sont mobilisées et 700 soldats de l’armée régulière britannique arrivent en renfort dans la région. Une légère escarmouche se produit sur une île voisine et met immédiatement en échec la campagne des fenians. Bien que bref, cet épisode n’est pas sans conséquence puisqu’il renforce la popularité de la Confédération, en particulier en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick.

L’offensive feniane menée par la faction de Roberts est bien plus ambitieuse. C’est Thomas W. Sweeny, un ancien officier de corps de l’armée américaine fort de 20 ans d’expérience, qui supervise la campagne. Son objectif principal est d’engager le combat avec les forces britanniques et canadiennes le long du fleuve Saint-Laurent pour permettre à d’autres unités fenianes d’occuper, puis de sécuriser les Cantons de l’Est du Québec, afin d’y établir un quartier général et un gouvernement provisoire. Le choix d’occuper cette région n’est pas anodin puisque les lois sur la neutralité interdisent aux autorités américaines d’intervenir sur le territoire britannique. Cette opération permettrait donc à la Fraternité des fenians de se concentrer sur la planification d’actions militaires supplémentaires, en particulier le sabotage des infrastructures canadiennes et des raids contre les navires britanniques. L’occupation et les attaques se poursuivraient jusqu’à ce que le gouvernement britannique concède l’indépendance de l’Irlande.

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Alexander Somerville. Narrative of the Fenian invasion of Canada. Hamilton, C.W. [Ont.] : publié pour l’auteur par Joseph Lyght, 1866. Toronto Reference Library.

À la fin du mois de mai 1866, les fenians commencent à se rassembler à Chicago et à Buffalo. Alarmé, le procureur de district américain W.A. Dart alerte les autorités canadiennes à Hamilton et à Toronto, et des informateurs britanniques confirment l’acheminement de matériel militaire fenian. Faute de pouvoir bénéficier d’un transport par voie d’eau, l’offensive feniane lancée depuis Chicago est entravée, mais celle en partance de Buffalo ne rencontre aucun problème de ce type. Le 1er juin, entre 700 et 800 fenians armés et commandés par John O’Neill traversent la rivière Niagara à un mille au nord de Fort Erie. L’armée d’O’Neill sécurise les environs, y compris la ville de Fort Erie, restée sans défense. Des éclaireurs montés sont envoyés pour patrouiller le secteur et annoncer aux habitants qu’aucun mal ne leur sera fait. Le reste de la journée, les fenians construisent des fortifications, règlent les questions logistiques et se préparent à attaquer le canal Welland.

L’invasion des fenians met l’armée canadienne en ébullition. Au Canada-Ouest, 67 unités de milice sont mobilisées le 1er juin, auxquelles s’ajoutent dès le lendemain 12 unités et 31 compagnies de milice supplémentaires. Sans surprise, les troupes régulières britanniques sont également de la partie, notamment le 47e Régiment de Fantassins. Au commandement des troupes britanniques au Canada-Ouest, le major-général George Napier envoie rapidement des renforts dans la péninsule du Niagara.

Le 2 juin, O’Neill mène son armée jusqu’à la route Lime Ridge, qui conduit au village de Ridgeway. Comme le suggère le nom de la route, le secteur est caractérisé par une crête naturelle de 9 à 12 mètres de haut (soit 30 à 40 pieds) et de 0,8 kilomètre de large (0,5 mille). La route est par ailleurs bordée par des forêts qui s’étendent sur plus de 900 mètres (1 000 verges) de part et d’autre. Apprenant par ses éclaireurs que des troupes ennemies s’approchent de sa position, O’Neill ordonne aux fenians d’ériger des barricades et poste des piquets dans les forêts. Au petit matin, des unités de la 10th Highland Company de Toronto, alors intégrée aux Queen’s Own Rifles, repèrent les fenians. Le lieutenant-colonel Alfred Booker, un officier de milice sans expérience du combat, est chargé du commandement supérieur de 840 miliciens canadiens. Il ne peut compter sur aucun éclaireur monté pour obtenir des renseignements précis sur les positions de l’ennemi ou la composition de ses troupes. Booker décide de frapper l’ennemi malgré sa méconnaissance de la situation, qui le désavantage fortement. Il ordonne aux soldats des Queen’s Own Rifles d’attaquer les piquets ennemis dans la forêt pour les débusquer. L’opération est globalement une réussite, et Booker relève les troupes des Queen’s Own Rifles avec les soldats des York Rifles et ceux du 13e bataillon d’Hamilton, qui arborent une tunique rouge.

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La charge des fenians sous le commandement du colonel O’Neill près de la gare de Ridgeway, le 2 juin 1866. 1946-35-1, Bibliothèque et Archives Canada.

O’Neill décide de contre-attaquer. En formation dispersée, les soldats fenians avancent vers la position des Canadiens. C’est alors que la réaction de la milice canadienne trahit son manque d’expérience. Informé d’une attaque de cavalerie imminente, Booker ordonne aux compagnies des Queen’s Own Rifles d’adopter une formation en carré. Cependant, l’information qu’il a reçue est erronée. Prenant conscience qu’il n’y a pas de cavalerie, Booker commande aux unités de se reformer en colonnes, mais le désordre s’installe. Les officiers de la milice canadienne ajoutent à la confusion en donnant des ordres contradictoires : les troupes ne savent plus si elles doivent se replier, avancer, ou faire halte. Pendant ce temps, les fenians tirent sur une milice canadienne désorganisée et en pleine manœuvre. Il ne faut pas longtemps pour que la bataille prenne fin et que la milice canadienne batte en retraite. O’Neill choisit de se retirer à Fort Erie pour attendre des renforts plutôt que de se lancer à la poursuite de l’ennemi. À l’issue de ces 2 heures d’affrontement, la milice canadienne déplore 9 morts et 33 blessés (dont 4 périront à la suite de leurs blessures). Les pertes estimées du côté des fenians sont similaires.

À Fort Erie, une deuxième escarmouche oppose les fenians à une petite force de milice canadienne commandée par le lieutenant-colonel John Dennis. L’affrontement se solde par une deuxième victoire pour O’Neill. Cependant, le commandant fenian est confronté à une décision difficile : il dispose d’environ 2 000 hommes à Buffalo, prêts à renforcer sa position, mais son armée fait déjà face à une pénurie alimentaire. En outre, les troupes canadiennes et britanniques se massent rapidement dans la péninsule du Niagara. Fin tacticien, O’Neill sait que ses chances de vaincre son ennemi s’amenuisent à toute vitesse. Plutôt que d’opposer une résistance sanglante, il s’attribue la victoire et se retire sur le territoire américain. En pleine traversée à bord de leurs barges, les fenians sont interceptés par des navires américains qui les escortent jusqu’à la fin de leur périple. Soucieux de désamorcer la situation, le gouvernement américain autorise les soldats du rang à rentrer chez eux, à condition qu’ils acceptent d’être placés en liberté conditionnelle. O’Neill est arrêté pour avoir enfreint les lois sur la neutralité, mais est mis hors d’accusation par la suite.

Visionnez cette vidéo sur les raids des fenians, racontés par le Musée du régiment des Queen’s Own Rifles of Canada. Les Queen’s Own Rifles sont le plus ancien régiment d’infanterie toujours en service au Canada.

L’après-Ridgeway

La bataille de Ridgeway se révèle particulièrement profitable pour la Fraternité des fenians. O’Neill devient un héros au sein du mouvement et rallie suffisamment de partisans pour diriger sa propre faction. Si le succès est au rendez-vous en 1866, les projets ultérieurs d’O’Neill sont toutefois voués à l’échec, non seulement en raison de l’éclatement progressif du mouvement fenian, mais aussi et surtout parce que l’un de ses plus fidèles conseillers, Henri Le Caron, est en réalité un espion britannique. La campagne des fenians se poursuit avec une série d’offensives infructueuses. L’affrontement le plus important se déroule au Québec en 1870 lors de la bataille d’Eccles Hill, qui se solde par une défaite des fenians face à la milice canadienne et aux territoriaux. Outre leurs incursions, les fenians tentent également de s’ingérer dans les affaires canadiennes. En 1868, Thomas D’Arcy McGee est assassiné. O’Neill essaie également de recruter Louis Riel et les Métis dans une coalition armée, en vain. À l’automne 1871, O’Neill et un petit groupe de partisans sont appréhendés lors d’un raid sur un poste de la baie d’Hudson. C’est sur cette tentative d’incursion ratée que les raids fenians prennent fin.

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La prison située à l’angle sud-est des rues Front et Berkeley est remplacée par la prison Don dans les années 1860, mais sera utilisée brièvement entre 1866 et 1867 pour héberger les prisonniers capturés lors du raid des fenians. Tableau de John Howard, 1837. 938-1-2 Toronto Reference Library.

Si la menace que représente la Fraternité des fenians sera presque toujours exagérée, celle-ci aura des répercussions considérables. Dans un contexte où le gouvernement britannique réduit ses engagements militaires au Canada, la menace feniane contribue largement à la création d’une milice canadienne et donne l’occasion à cette dernière d’expérimenter des changements organisationnels. De surcroît, cette menace survient en pleine période de négociation de la Confédération par les dirigeants politiques du Canada. La perspective d’une menace militaire extérieure s’avère déterminante dans ces discussions politiques, donnant de la crédibilité aux arguments en faveur d’une consolidation politique et d’investissements dans des infrastructures pour relier les colonies. En Ontario, la défaite de la Fraternité des fenians remplit les régiments de milice de la province d’une fierté qui perdurera dans leur histoire. Bien que les incursions fenianes marquent la dernière invasion en Ontario, l’armée de la province continuera de se battre pour les intérêts canadiens et britanniques dans les années suivantes, parfois même au-delà des frontières ontariennes.

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Médaille du service général au Canada commémorant la participation aux opérations de suppression des raids des fenians en 1866 et 1870. Musée canadien de la guerre.

Enfin, les raids fenians ont une influence profonde sur la vie des habitants de l’Ontario. Ces raids s’inscrivent en effet dans une longue mémoire culturelle, qui retient les menaces issues de l’autre côté de la frontière, comme les attaques subies lors de la guerre de 1812 et de la rébellion de 1837-1838. Cette mémoire refera surface plus tard, au cours de la Première Guerre mondiale, à la suite de rumeurs annonçant que des dizaines de milliers d’Américains d’origine allemande se sont procuré des fusils et planifient une invasion massive. Une fausse alerte signalant une attaque imminente de zeppelins allemands envoyés depuis le territoire américain sera même diffusée. La menace est prise suffisamment au sérieux pour que les lumières des édifices du Parlement d’Ottawa soient éteintes et des tireurs d’élite postés sur les toits. Rétrospectivement, la probabilité qu’une telle attaque se produise peut sembler ridicule. Mais pour les personnes ayant vécu la période turbulente de la première moitié du XIXe siècle et leurs descendants directs, cette éventualité n’aurait pas paru si improbable.

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Funérailles des membres du régiment des Queen’s Own Rifles of Canada morts pendant les raids des fenians, 1866. Toronto Reference Library.
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Des vétérans des raids fenians devant un monument de Queen’s Park à la mémoire des volontaires tombés lors de la bataille de Ridgeway, Toronto, 1934. Toronto Reference Library.