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Victimes civiles de la guerre

Introduction

Durant la guerre, des milliers d’enfants seront évacués du Royaume-Uni et envoyés en Ontario et d’autres provinces jusqu’à ce que la situation se calme et se stabilise afin qu’ils puissent retrouver leurs familles dans de meilleures conditions. Cependant, l’Ontario ne sera pas une terre de refuge pour tout le monde. La sélection de ces « enfants invités » est en effet restreinte par des considérations d’ordre racial et religieux. La discrimination sociale sévit également dans les camps d’internement de l’Ontario de façon apparente. Sous prétexte de « protéger » le Canada de ses prétendus ennemis intérieurs, certains citoyens canadiens se verront privés de leurs libertés sans discernement et seront internés aux côtés de sympathisants nazis et de prisonniers de guerre. C’est ainsi que des Canadiens d’origine japonaise tout à fait pacifiques et des réfugiés juifs fuyant les persécutions nazies se retrouveront parmi les populations internées. Cette partie met en évidence le passé ambivalent de l’Ontario en tant que terre de refuge, mais aussi d’oppression, pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Les enfants invités

Quand le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Allemagne nazie en septembre 1939, les parents britanniques craignent pour la sécurité de leurs enfants et cherchent à leur trouver un refuge hors d’Europe. Parmi les destinations de choix figurent les États-Unis ainsi que d’autres pays du Commonwealth, notamment l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud et le Canada. Avant juin 1940, les enfants invités qui arrivent au Canada y sont envoyés dans le cadre d’une démarche privée. En effet, les enfants faisant partie de cette première vague d’évacués sont pour la plupart issus de familles aisées ayant les moyens de payer le voyage, et satisfont aux critères d’immigration stricts du Canada. Les relations sociales jouent un rôle important dans le processus d’évacuation. Prenons l’exemple du programme d’évacuation privé lancé en 1939 par le Women’s War Service Committee de l’Université de Toronto. Les membres du comité nommées à l’administration du programme profitent de leur situation pour contacter leurs amis dans les universités britanniques et faciliter l’évacuation de leurs enfants. Au total, ce sont 253 enfants de moins de 16 ans qui arrivent au Canada en 1939 à la suite de tels arrangements privés. Par ailleurs, des écoles privées du Royaume-Uni se relocalisent au Canada, y faisant entrer des centaines d’autres enfants britanniques.

Quand la France est vaincue en juin 1940, le nombre de parents britanniques qui cherchent à évacuer leurs enfants explose. Leur détermination devient encore plus forte lorsque la bataille d’Angleterre éclate un mois plus tard. En réponse à la crise, le gouvernement canadien assouplit ses restrictions financières et médicales à l’immigration pour faciliter les efforts d’évacuation. Ces mesures conduisent tout d’abord à une forte augmentation du nombre d’initiatives d’évacuation privées. Mais la situation suscite l’attention du public, qui fait pression sur le gouvernement britannique pour qu’il lance un programme public d’évacuation des enfants. C’est le Children’s Overseas Reception Board (CORB, ou Comité de réception à l’étranger des enfants) qui héritera de cette responsabilité. Pour être admis au Canada en tant qu’enfants invités, les candidats doivent satisfaire à des critères discriminatoires d’ordre racial, religieux et médical. Ainsi, ces critères interdisent l’admission d’enfants noirs et « de couleur », de même que d’enfants atteints d’incapacité mentale. La plupart des enfants juifs ne remplissent pas non plus les conditions d’admission du programme du CORB. Néanmoins, des représentants de Toronto, qui abrite alors la deuxième plus importante communauté juive canadienne, se joindront à la minorité d’acteurs qui feront pression sur le gouvernement ontarien pour que ce dernier autorise l’admission d’enfants juifs.

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Des enfants prennent leur repas dans la garderie de guerre de la General Engineering Company, à Scarborough. (Photo : Archives publiques de l’Ontario)

À l’été 1940, environ 211 000 dossiers d’enfants britanniques sont à l’étude par le CORB, mais seuls 24 474 d’entre eux seront finalement approuvés. Les premiers navires embarquant les candidats admis commencent leur voyage en juin, évacuant 1 532 enfants. L’Ontario, qui compte alors 5 000 foyers approuvés, fait partie de leurs destinations. Les enfants sont tout d’abord conduits dans un centre d’accueil, comme celui de Hart House à l’Université de Toronto, afin de passer un entretien ainsi qu’un examen médical. Outre les enfants admis dans le cadre de procédures officielles, on estime que 5 500 autres enfants arriveront au Canada par le biais d’arrangements privés.

Les parents qui évacuent leurs enfants le font bien entendu dans l’espoir de les protéger du danger. Cependant, la traversée de l’Atlantique n’est pas sans risque. Le 17 septembre 1940, le paquebot City of Benares est coulé par un sous-marin allemand. Les 73 enfants admis à son bord au titre du programme du CORB y laissent la vie. Cet événement tragique aura un fort impact psychologique sur les parents britanniques, si bien que la plupart d’entre eux deviendront réticents à envoyer leurs enfants outre-Atlantique. À la suite de cet incident, le programme du CORB prend fin au début de l’année 1941. Les parents britanniques délaissent également l’idée d’évacuer leurs enfants à travers des arrangements privés : la même année, le nombre d’enfants envoyés au Canada par ce biais tombe à 458. Les enfants invités qui parviennent effectivement en Ontario bénéficient d’une scolarité publique plus riche que celle que le Royaume-Uni aurait pu leur offrir. Ils échappent également au service obligatoire dans les programmes militaires du Royaume-Uni, tels que la Home Guard, même si ceux qui sont déterminés à contribuer à l’effort de guerre en ont la possibilité au Canada.

De nombreux témoignages oraux et mémoires d’enfants invités dépeignent une vie palpitante et agréable au Canada, mais à la fin de la guerre, la quasi-totalité des enfants évacués au titre du programme du CORB rentreront chez eux. Seuls 205 d’entre eux resteront au Canada.

Internement

Au début du conflit, le gouvernement du premier ministre William Lyon Mackenzie King use des pouvoirs exceptionnels qui lui sont conférés en temps de guerre pour promulguer les Règlements concernant la défense du Canada. Ces règlements lui permettent de suspendre les libertés civiles et de détenir tout individu, y compris les citoyens, agissant d’une « quelconque manière préjudiciable à la sécurité publique ou à la sécurité de l’État ». La Royale Gendarmerie à cheval du Canada (R.G.C.C.), dont le travail d’enquête a commencé avant la déclaration de la guerre, arrête immédiatement 265 Allemands et 60 Germano-Canadiens soupçonnés d’être des sympathisants nazis, des saboteurs ou des réservistes ennemis. Bon nombre des personnes arrêtées en Ontario sont détenues à Toronto, où le fascisme organisé gagne du terrain. Les détenus sont ensuite envoyés à Petawawa, qui a servi de camp d’internement pendant la Première Guerre mondiale, puis de camp de secours lors de la Grande Dépression. À titre de précaution supplémentaire, le gouvernement canadien impose aux 16 000 immigrants allemands non naturalisés arrivés après 1922 de pointer chaque mois auprès des autorités locales.

En 1940, les opérations d’internement prennent une ampleur considérable. Le nombre d’internés allemands et autrichiens présumés « déloyaux » grimpe à plus de 800 à l’échelle du pays. En outre, à la demande du gouvernement britannique, le Canada accepte d’accueillir 35 000 étrangers et prisonniers de guerre internés. Parmi ces internés figurent notamment des réfugiés juifs (dont le cas sera traité plus bas) ainsi que des soldats et des marins de commerce allemands. Des Italo-Canadiens sont également internés en Ontario. Lorsque Mussolini déclare la guerre à la France et au Royaume-Uni en juin, les Italiens non naturalisés deviennent eux aussi considérés comme des « sujets d’un pays ennemi ». En vertu des Règlements concernant la défense du Canada, 31 000 Italo-Canadiens et immigrants italiens seront ainsi contraints de se présenter aux autorités chaque mois, et 632 d’entre eux seront placés en détention. Ils seront rejoints par 90 communistes, initialement internés à Petawawa aux côtés de sympathisants nazis.

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Cette photographie a été initialement publiée dans un article du Toronto Star contenant la phrase suivante : « Les prisonniers mènent leur vie, des chants allemands provenant du camp d’internement de Petawawa résonnent dans la nuit ». Les prisonniers étaient payés 20 cents par jour pour défricher les forêts et couper du bois. (Photo : Toronto Reference Library)

Pour faire face à cet afflux d’internés, de nombreux camps d’internement sont créés en Ontario, parmi lesquels ceux de Mimico, Chatham/Fingal, Bowmanville, Fort Henry (le seul camp d’internement accueillant des femmes), Gravenhurst, Petawawa, Espanola, Monteith, Angler, Neys et Red Rock. Les villages de Schreiber et de White River abritent également chacun un camp de travail, où les internés s’affairent à la construction de routes, qui formeront par la suite la Transcanadienne. Les conditions de vie dans les camps varient à travers la province. Dans certains camps, elles sont intolérables et entraînent des protestations et des révoltes. Parmi les plus notables d’entre elles figure la « bataille de Bowmanville », qui éclate en 1942 et au cours de laquelle des internés (dont beaucoup de soldats et d’officiers allemands capturés) organisent une révolte de trois jours pour protester contre le menottage des détenus.

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Tirée d’un article du Toronto Star, cette photographie montre des prisonniers allemands ayant quitté le Nord de l’Ontario la même semaine après avoir terminé leur besogne de coupage de bois à pâte dans la région de Longlac. Sur la photo, une embarcation de débarquement les amène à la ligne de chemin de fer. La destination des hommes n’a pas été révélée, mais il est possible que certains d’entre eux aient été envoyés dans l’Ouest de l’Ontario pour aider à la récolte de betterave sucrière et de tabac. (Photo : Toronto Reference Library)

Les camps d’internement de l’Ontario hébergent également des milliers de Canadiens d’origine japonaise. En 1941, plus de 90 p. 100 des résidents d’origine japonaise vivent en Colombie-Britannique, non loin de la côte du Pacifique. La majorité d’entre eux sont nés au Canada, et beaucoup d’autres sont des citoyens naturalisés. Aucun élément ne permet de taxer la population japonaise de déloyale, mais l’offensive menée par l’empire du Japon sur les troupes canadiennes à Hong Kong en décembre 1941 provoque une montée de xénophobie en Colombie-Britannique qui conduira les responsables politiques d’Ottawa à mettre en place des règlements oppressifs. Plus de 700 hommes japonais et nippo-canadiens sont emprisonnés. Les résidents d’origine japonaise sont contraints de se présenter régulièrement auprès de la police locale. Plus dramatique encore, près de 21 000 résidents d’origine japonaise vivant dans un rayon de 160 kilomètres (100 milles) de la côte du Pacifique sont expulsés de leur domicile. Leurs biens, parmi lesquels des bateaux de pêche, des automobiles et des propriétés, sont saisis et vendus aux enchères pour contribuer à couvrir les coûts des opérations d’internement menées pendant la guerre. De tous âges, les Canadiens d’origine japonaise ainsi délogés sont forcés de vivre dans des camps de détention implantés dans des villes fantômes, mais aussi dans des greniers, des poulaillers ou des communautés autosuffisantes.

En mars et avril 1942, des centaines de Canadiens d’origine japonaise internés sont envoyés en Ontario. Certains arrivent à Schreiber pour travailler à la construction de routes, tandis que d’autres se retrouvent au camp de Petawawa et à celui d’Angler, parmi des prisonniers de guerre allemands. La vie dans les camps obéit à des routines militaires rigides. De temps à autre, la Croix-Rouge parvient à procurer aux internés un semblant de confort en leur apportant des cigarettes et de la lecture. La pénurie de main-d’œuvre en Ontario se faisant de plus en plus sévère en 1942 et 1943, quelques internés parviennent à obtenir des emplois d’ouvriers agricoles et d’usine. Après la fin de la guerre, plus de 13 000 Canadiens d’origine japonaise quitteront la Colombie-Britannique pour échapper au nativisme et à la xénophobie qui s’y sont généralisés. La plupart d’entre eux s’installeront en Ontario, et plus particulièrement dans la région du Sud-Ouest, où ils travailleront dans des exploitations fruitières. Du fait de cette migration d’après-guerre, le nombre de résidents d’origine japonaise en Ontario passe de 132 en 1942 à 6 616 en 1947.

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Les associations culturelles nippo-canadiennes de tout le Canada, telles que le Nikkei Network of Niagara, dont on aperçoit les membres sur cette photographie, protestent contre les injustices commises à l’encontre de leur communauté pendant et après la guerre. En 1988, le gouvernement fédéral présentera des excuses officielles aux Canadiens d’origine japonaise et leur proposera une compensation financière. 2010.32.124 (Photo : Nikkei National Museum)

Il existe un groupe social qui parvient à éviter l’internement en échange de services de main-d’œuvre au bénéfice du gouvernement : ce sont les objecteurs de conscience. La plupart d’entre eux sont des mennonites, des quakers, des témoins de Jéhovah et des membres de l’Église unie du Canada. À la suite de l’instauration de la conscription en 1940, la Conference of Historic Peace Churches, basée en Ontario, et le gouvernement canadien parviennent à un accord en vertu duquel les objecteurs de conscience peuvent effectuer un « service de remplacement » en échange d’une exemption. Les camps de travail dédiés à ce service de remplacement commencent à voir le jour à la fin mai 1941. En Ontario, les objecteurs de conscience se voient confier les mêmes types de travaux que les internés. Un camp est par exemple établi à Montreal River Harbour pour contribuer à la construction de la route Transcanadienne. D’autres objecteurs de conscience sont envoyés au parc national des Glaciers en Colombie-Britannique, ainsi que dans des stations d’expérimentation forestière en Alberta et à Petawawa. Au printemps 1943, la majorité des objecteurs de conscience contribuent à pallier les pénuries de main-d’œuvre dont souffrent les fermes et les usines. Près de 11 000 objecteurs de conscience, parmi lesquels 2 636 résidents de l’Ontario, travailleront dans le cadre de leur service de remplacement pendant la guerre.

Les survivants de l’Holocauste

Selon le recensement de 1931, la population juive au Canada se chiffre à 155 614 personnes, soit 1,5 p. 100 de la population nationale. Montréal et Toronto concentrent la majeure partie de la communauté juive canadienne. Bien que l’histoire de la migration juive remonte au XVIIIe siècle, certains Canadiens d’origine britannique ou française considèrent les Juifs comme l’une des populations immigrantes les moins désirables. Frederick Blair, ministre des Mines et des Ressources et responsable de l’immigration au Canada entre 1936 et 1943, est l’un de ceux qui nourrissent de tels préjugés. Ces derniers le conduiront à introduire de nombreuses restrictions qui rendront l’entrée au Canada extrêmement difficile pour la plupart des immigrants juifs, qui ne seront en effet que 5 000 à pénétrer sur le territoire canadien entre 1933 et 1947. Une fois installés, les immigrants juifs continuent de subir des discriminations dans de nombreux domaines de la vie, notamment lorsqu’il s’agit de postuler à des emplois, d’accéder aux installations de loisirs et aux espaces publics, ou encore d’acheter des propriétés dans certains quartiers. Les Canadiens juifs doivent également faire face à l’antisémitisme propagé par les éditoriaux des journaux de grande diffusion, les responsables politiques et les personnalités publiques. Dans certains cas, l’antisémitisme est même à l’origine de violentes confrontations. L’émeute de Christie Pits, qui éclate le 16 août 1933 à Toronto, en est l’exemple le plus significatif en Ontario. Des sympathisants nazis agitent un drapeau arborant la croix gammée lors d’un match de baseball pour provoquer les joueurs juifs, ce qui déclenche une bagarre. Celle-ci attise des tensions de longue date entre les communautés ethniques de Toronto, et la violence finit par gagner la rue. Selon les estimations, plus de 10 000 personnes participeront à l’émeute. Elle ne fera pourtant aucun mort, et donnera lieu à seulement quelques arrestations, dont celles des personnes accusées d’avoir provoqué la violence.

Regardez cette vidéo d’Historica Canada sur l’émeute de Christie Pits (en anglais seulement).

L’antisémitisme ne sera jamais aussi virulent et répandu qu’en Europe sous domination nazie, mais il demeure suffisamment prononcé pour que les réfugiés juifs n’échappent pas à l’oppression nazie. Au début du mois de novembre 1938, les maisons, les synagogues et les commerces juifs à travers toute l’Allemagne sont saccagés, tandis que le gouvernement nazi appelle à la violence et procède à des arrestations massives de Juifs. Ce pogrom ordonné par les nazis, connu sous le nom de Kristallnacht (la nuit de cristal), est reproduit au Canada. De plus en plus de Juifs fuient l’Europe pour échapper à cette escalade de l’antisémitisme. Parmi eux se trouvent les 937 réfugiés qui monteront à bord du Saint Louis, un navire affrété qui traversera l’Atlantique au cours du printemps 1939. Lorsque le Saint Louis atteint La Havane, à Cuba, les autorités refoulent les réfugiés malgré leurs visas d’entrée dûment obtenus. Des appels exhortant le premier ministre King à accepter les réfugiés au Canada sont lancés, mais celui-ci délègue l’affaire au ministre Blair sous prétexte d’avoir à s’occuper de la famille royale britannique en visite. Les réfugiés juifs, y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées, se voient tragiquement refuser l’entrée sur le territoire canadien. Le Saint Louis est contraint de retourner en Europe, et 254 de ses passagers seront tués pendant l’Holocauste.

Bien que la persécution du peuple juif soit un fait notoire, les politiques canadiennes relatives à l’admission des réfugiés juifs resteront fortement restrictives durant la guerre. Ne sont acceptées que les unités familiales complètes et composées de membres de la famille immédiate. Ainsi, seulement 153 familles, soit 455 personnes, seront admises sur toute la durée de la guerre. Toronto acceptera 158 de ces réfugiés. Cependant, un autre prétexte conduira à l’arrivée au Canada de 2 284 hommes juifs supplémentaires. Leur histoire commence lorsque le gouvernement britannique décide d’arrêter les réfugiés juifs, principalement d’origine allemande et autrichienne, au motif que ceux-ci représentent une menace pour la sécurité. Puis, dans le cadre d’un accord au titre duquel le gouvernement canadien accepte d’accueillir des prisonniers de guerre et des « sujets d’un pays ennemi qui présentent un danger », les autorités britanniques envoient au Canada les hommes juifs arrêtés, en même temps que les autres internés concernés par l’accord. Lorsque tous ces internés débarquent au cours de l’été 1940, les autorités canadiennes découvrent avec surprise que des réfugiés juifs, pour la plupart âgés de 16 à 20 ans, se trouvent parmi eux. Au lieu d’être libérés, comme le demande le gouvernement britannique, ces hommes juifs sont placés dans des camps d’internement, notamment dans ceux de Monteith et de Red Rock, en Ontario. Se trouvent également dans ces camps des sympathisants nazis et des marins de commerce allemands capturés.

La vie d’interné est éprouvante et dégradante, imposant un travail manuel difficile pour un salaire dérisoire. Les conditions intolérables des camps poussent parfois les internés à commettre des actes désespérés, comme organiser des grèves ou faire preuve d’insubordination. Les conditions de vie dans les camps finissent toutefois par s’améliorer. À la fin de l’année 1941, la plupart des réfugiés juifs sont séparés des sympathisants nazis et des prisonniers de guerre. La libération des réfugiés juifs s’accélère en 1943, même si le processus est graduel et nécessite l’aide extérieure des groupes de défense d’intérêts, des proches, des familles de parrainage et des employeurs éventuels. Les réfugiés juifs qui sont libérés bénéficient d’une « liberté conditionnelle ». Ils n’ont ainsi pas le droit de dénoncer le traitement dont ils ont fait l’objet, ni de voyager ou de changer d’emploi sans autorisation. Il leur est également interdit d’épouser une femme canadienne pour obtenir la citoyenneté, car un tel mariage ferait perdre sa propre citoyenneté à l’épouse envisagée. Tous les réfugiés juifs libérés ne restent pas au Canada. Mus par le désir de contribuer plus directement à la défaite de l’Allemagne nazie, bon nombre d’entre eux retournent au Royaume-Uni et s’enrôlent dans l’Auxiliary Military Pioneer Corps.

Lorsque les armées alliées libèrent les camps de concentration nazis entre juillet 1944 et mai 1945, elles obtiennent la preuve incontestable de l’extermination systématique des Juifs et d’autres minorités par le Troisième Reich et ses complices. Les deux tiers de la population juive d’Europe, soit un total de 6 millions d’individus, ont été massacrés. Des villes entières ont été rayées de la carte. L’horreur de l’Holocauste deviendra le moteur d’une volonté de mettre fin à l’antisémitisme et de protéger les droits de la personne pendant l’après-guerre. Au Canada, une révolution en faveur des droits de la personne prend forme, ralliant un large éventail de partisans, dont la communauté juive organisée. Cet effort commun jouera un rôle absolument crucial dans l’assouplissement des politiques d’immigration du Canada. Entre 1947 et 1955, le pays acceptera plus de 35 000 survivants de l’Holocauste, y compris leurs personnes à charge et les orphelins de guerre. Nombre d’entre eux s’installeront à Toronto et contribueront à la croissance de la communauté juive canadienne, qui peut aujourd’hui se targuer d’être forte et bien établie.

WW2 National Holocaust Monument web
Monument national de l’Holocauste, Ottawa. (Photo : Doublespace Photography)