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Industrie et recherche

Introduction

Province riche en gisements minéraux, l’Ontario recèle une multitude de ressources stratégiques pour la production militaire. Sa population nombreuse est également un avantage : le recensement mené en 1941 dénombre 3,8 millions de résidents dans la province, dont 62 p. 100 vivent en zone urbaine. La combinaison de ces deux atouts fait de l’Ontario un pôle industriel idéal pour la production de guerre. À la fin du conflit, l’Ontario a tenu ses promesses en devenant un important fabricant d’armes, de munitions, d’équipements, de véhicules et de navires. Outre son rôle de pôle de production, l’Ontario offre un environnement propice au développement de technologies militaires grâce à ses nombreux centres de recherche et universités.

Production de guerre

Bien que l’Ontario ne dispose quasiment d’aucune capacité de fabrication de munitions ou d’équipements militaires lourds en septembre 1939, la province présente des conditions favorables pour opérer la transition nécessaire. Par ailleurs, le gouvernement fédéral, évitant de commettre la même erreur que lors de la Première Guerre mondiale, anticipe l’éventuelle nécessité de reconvertir l’industrie à la production de guerre en menant entre 1936 et 1939 une enquête sur la capacité industrielle de la province. Cette enquête s’avérera être un précieux atout, contribuant à assurer une transition plus efficace pendant la guerre. Le gouvernement fédéral stimule également le développement de l’industrie en supprimant les limites imposées sur les bénéfices des contrats de défense, et, dans certains cas, crée des sociétés de la Couronne pour compenser les faiblesses du secteur privé. Le secteur industriel de l’Ontario connaît ainsi une forte croissance au cours de la période 1939-1945. D’une part, les usines préexistantes prospèrent grâce à la hausse de la demande découlant de la guerre, et d’autre part, de nombreuses usines sont créées. En effet, en 1945, la moitié des usines de guerre en activité dans la province n’existaient pas seulement six ans plus tôt.

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Une femme manœuvre un engin le long d’une grande ligne de production tandis que des hommes installent des équipements mécaniques sur un char Ram. Cette image a été publiée par le Toronto Star en 1942. (Photo : Toronto Public Library)

Si les décideurs politiques et les détenteurs de capitaux ont joué un rôle de premier plan dans la croissance de l’industrie de l’Ontario, rien n’aurait été possible sans le labeur de la main-d’œuvre ontarienne. En effet, les travailleurs et travailleuses de la province sont désireux de contribuer à l’effort de guerre industriel, non seulement par patriotisme, mais aussi pour se soustraire aux conditions précaires dans lesquelles la Grande Dépression les a laissés, l’économie du Canada ayant été l’une des plus durement touchées par cette crise. Au printemps 1940, le taux de chômage s’élève encore à 10 p. 100 et 600 000 Canadiens et Canadiennes bénéficient d’aides gouvernementales. Mais dès la fin de 1941, cet excédent de main-d’œuvre se transforme en pénurie. Le gouvernement fédéral réagit par la mise en place du Service sélectif national en 1941, ainsi que de sa division féminine en 1942, afin d’encadrer le placement des Canadiens et Canadiennes dans les secteurs industriels essentiels. En 1943, plus de 250 000 femmes travaillent dans des usines de guerre et perçoivent des salaires quasiment équivalents à ceux des hommes. L’emploi dans le secteur manufacturier ontarien grimpe de 80 p. 100 entre 1939 et 1943. À son apogée en 1943, la production de guerre représente environ 1,1 million d’emplois à l’échelle du pays. Même les filles et les garçons sont mobilisés en tant que travailleurs de guerre, leurs tâches allant de la construction de modèles réduits d’avions à la manipulation de machines industrielles.

L’industrie de l’Ontario brille particulièrement par son secteur automobile. Les villes d’Oshawa et de Windsor comptent de nombreuses usines automobiles détenues par General Motors, Ford et Chrysler. D’autres installations d’assemblage de véhicules se trouvent à Toronto, à St. Catharines et dans la municipalité de Leaside, alors indépendante. Bien qu’impressionnant, le secteur automobile de l’Ontario demeure tributaire de l’importation de moteurs fabriqués aux États-Unis, qui sont nécessaires pour l’assemblage de voitures complètes. Quoi qu’il en soit, l’infrastructure du secteur est tout à fait adaptée à la fabrication de véhicules militaires et son niveau de production se révèlera à la hauteur des attentes durant la guerre.

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Le Canada devient le principal fournisseur de véhicules automobiles légers et moyens du Commonwealth, avec la production de plus de 800 000 unités pendant la guerre. Fabriqué par Ford et General Motors Canada à Oshawa, le Canadian Military Pattern (CMP) représente l’essentiel de la production. Ce véhicule utilitaire sera utilisé par toutes les armées du Commonwealth et figure parmi les plus grandes réussites industrielles du Canada durant la guerre. 19950103-006 (Photo : Musée canadien de la guerre)

Les usines automobiles de l’Ontario participeront à la production de 815 729 véhicules destinés à des fins militaires jusqu’en 1945. Avec plus de 90 types de véhicules basés sur 12 classes de châssis, la variété des engins militaires est impressionnante. Si le secteur automobile se distingue par sa productivité exceptionnelle, il convient également de mentionner la grande diversité de la production de guerre de l’Ontario, qui fabrique notamment un large éventail d’équipements, de munitions, d’armes légères et d’armes lourdes. Cette production contraste fortement avec celle de la Première Guerre mondiale, axée sur la fabrication de munitions.

Ce film (en anglais seulement) d’actualités de General Motors Canada met en avant la production militaire de l’entreprise pendant la
Deuxième Guerre mondiale. Vidéo gracieusement fournie par le lieu historique national du Canada Parkwood, à Oshawa (Musée canadien de l’automobile).

Le domaine de la production d’aéronefs figure également parmi les prouesses industrielles de l’Ontario. Avant la guerre, la province ne compte que quelques modestes avionneurs, dont les appareils ne sont pas pleinement fonctionnels. Le secteur se développe lentement et au prix de lourds investissements. Lorsque le consortium Canadian Associated Aircraft Limited se lance dans la production de l’avion Handley Page Hampden près de Toronto et de Montréal, ce dernier est déjà obsolète. Néanmoins, le secteur enregistre des progrès remarquables en 1942. De grandes avionneries sont établies, notamment Canadian Car and Foundry et De Havilland Aircraft Company Limited à Fort William, National Steel Car Company Limited à Hamilton, et Victory Aircraft Limited à Malton. Ces usines joueront un rôle déterminant dans la production par le Canada de plus de 16 000 aéronefs militaires, parmi lesquels le Mosquito, un avion de combat multirôle performant, et le Lancaster, un bombardier moderne. Un tel niveau de production tient essentiellement au labeur de plus de 120 000 travailleurs, dont 30 000 femmes. L’industrie aéronautique de l’Ontario dépend elle aussi d’entreprises américaines, qui fournissent les moteurs d’avion, ainsi que des brevets aéronautiques partagés par les ingénieurs britanniques.

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Des membres du 6e groupe de l’ARC devant un bombardier Lancaster. (Photo : Musée canadien de la guerre)

L’industrie ontarienne s’illustre également dans le domaine de la construction navale. Le secteur se concentre sur la production de navires de taille moyenne, tels que les corvettes, les frégates et les dragueurs de mines. La construction de quatre destroyers de classe tribal débute à Halifax, mais ces bâtiments ne seront achevés qu’après la fin de la guerre. La province produit également des navires de petit gabarit, comme des vedettes (petits navires militaires utilisés pour la défense des ports et le sauvetage), des remorqueurs, des péniches de débarquement et des vedettes lance-torpilles, dont il ne faut pas sous-estimer l’importance. La flotte de petits bâtiments produits dans la région des Grands Lacs que la Marine royale du Canada envoie à Dunkerque en soutien au Royaume-Uni, par exemple, arrivera à temps pour participer à l’évacuation des troupes alliées et sauvera de nombreuses vies.

L’essentiel de la production navale provient de chantiers maritimes situés le long du Saint-Laurent et aux abords des Grands Lacs. Avant le début du conflit, seuls deux grands chantiers navals sont en activité en Ontario, l’un se trouvant à Collingwood et l’autre à Port Arthur (aujourd’hui Thunder Bay). Tous deux sont capables de produire des coques, des moteurs et des chaudières. À mesure que la demande de navires augmente, les chantiers navals ontariens en sommeil sont progressivement revitalisés. Le petit chantier de réparations de Kingston et le chantier maritime quasiment inutilisable de Midland seront par exemple équipés pour permettre la construction de navires. De nouveaux chantiers navals voient également le jour à Hamilton et à Toronto. Même les chantiers de Gravenhurst, de Penetanguishene, d’Orillia, de Bracebridge et de Port Carling sont mis à contribution pour la construction de vedettes. Entre le début et la fin de la guerre, la flotte de la marine canadienne passe de 13 à 939 bâtiments (dont 373 navires de combat), faisant de la MRC la troisième plus importante marine du monde. On doit ce tour de force en grande partie à l’industrie navale de l’Ontario.

Recherche militaire

Le Conseil consultatif honoraire de recherches scientifiques et industrielles (qui deviendra le Conseil national de recherches Canada, ou le CNRC) est fondé en 1916 en vue de piloter la recherche scientifique. Le CNRC poursuit ses activités pendant l’entre-deux-guerres et conduit des recherches dans son laboratoire d’Ottawa. En 1935, le major-général Andrew McNaughton est nommé président du CNRC et oriente les travaux de l’organisation vers des projets aux applications militaires plus évidentes. Des recherches sur la radio, la navigation aérienne, la balistique, la guerre chimique et les premiers radars seront notamment menées dans le cadre de ces projets. Cette transition marque un tournant important, car les forces armées du Canada ne disposent alors d’aucune structure dédiée à la recherche scientifique, et la perspective d’une guerre prochaine précipite la nécessité de réaliser des progrès technologiques. Comptant seulement 300 membres, le CNRC demeure une organisation relativement modeste du fait des contraintes qui pèsent sur les dépenses fédérales pendant la Grande Dépression, mais avec l’arrivée de la Deuxième Guerre mondiale, les considérations financières sont reléguées au second plan.

Entre 1938 et 1945, les dépenses du gouvernement fédéral consacrées à la recherche et développement passent de 4,9 à 34,5 millions de dollars, une hausse de budget qui reflète le renforcement des relations entre le CNRC et l’armée. En mars 1940, environ 80 p. 100 des recherches menées par le Conseil servent directement des intérêts guerriers, et en 1941, le CNRC devient le centre de recherche officiel des forces armées.

L’ampleur des activités du CNRC est considérable. Comptant un unique laboratoire au départ, l’organisation finira par exploiter 22 sites. Le CNRC rassemble en outre 33 comités associés de recherche et près de 100 sous-comités, qui travaillent sur des centaines de projets de collaboration dans tout le pays. Les 450 projets que l’Office des recherches de l’armée supervise entre 1942 et 1945 donnent une idée de l’étendue des activités du Conseil. Cependant, moins de la moitié de ces projets seront achevés, et seulement 35 d’entre eux entreront en production. En Ontario, l’Université de Toronto est l’établissement le plus impliqué dans les projets du CNRC, mais d’autres universités, dont celles de Queen’s et de Western, y participent également de manière significative. Il convient par ailleurs de souligner que bon nombre des projets menés par le CNRC font appel à des agents de liaison américains et britanniques, inscrivant l’organisation dans un effort international de collaboration scientifique et technique. Les historiens reconnaissent en effet que le Canada a joué un rôle de médiateur important entre les communautés scientifiques britannique et américaine.

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Ingénieurs du Corps d’entraînement des officiers canadiens. (Photo : archives de l’Université de Toronto)

Pendant la guerre, les chercheurs canadiens se distinguent notamment par leur importante contribution au développement et à l’application de la technologie radar, qui se révèle absolument cruciale, surtout face à la menace des raids aériens et des sous-marins allemands qui pèse alors sur le Royaume-Uni et les navires alliés. Des chercheurs britanniques de l’Université de Birmingham réalisent une avancée déterminante avec la mise au point du magnétron à cavités, qui permet de générer un signal hyperfréquences. S’appuyant sur ces travaux, les scientifiques canadiens se mettent à chercher comment appliquer cette technologie aux systèmes de détection. Un groupe de 60 chercheurs se constitue à Ottawa pour travailler sur les technologies radio et radar. Les scientifiques du groupe collaborent étroitement avec leurs pairs britanniques et d’autres confrères travaillant au sein de l’Université de Toronto, de l’Université Western, de l’Université McGill ainsi que de la société Research Enterprises Limited, basée à Toronto. Cette coopération aboutit à la conception de nombreux systèmes radar, parmi lesquels un radar de défense destiné à l’artillerie côtière, le système GL Mk. IIIC destiné aux canons antiaériens, des systèmes de navigation à longue distance, des systèmes de détection des mines marines, des systèmes de détection aéroportée, et un système de détection lointaine permettant de localiser des aéronefs à des distances allant jusqu’à 160 kilomètres (100 milles). Les partenariats universitaires se révéleront extrêmement précieux, non seulement pour le développement de la technologie radar, mais aussi dans le cadre de la formation des opérateurs. Toutes ces initiatives permettront d’accélérer le développement et l’utilisation d’applications militaires de la technologie radar au bénéfice de l’effort de guerre allié.

La recherche en armements constitue également un domaine crucial. En 1943, 60 projets liés aux explosifs sont menés dans les universités canadiennes. Le développement du RDX, aussi appelé hexogène, un explosif plus stable et plus puissant que la TNT, revêtira un intérêt stratégique particulièrement important. Les chercheurs et ingénieurs de l’Ontario contribuent également à la mise au point de la fusée de proximité. Essentielle à la conception d’obus antiaériens efficaces, cette technologie restera l’un des secrets les mieux gardés des Alliés. Un autre projet allié est toutefois mené dans une confidentialité encore plus grande : celui de la bombe atomique.

En tant que fournisseur majeur d’uranium pendant la guerre, le Canada joue un rôle déterminant dans la recherche atomique. L’uranium canadien est raffiné dans une raffinerie implantée à Port Hope. Mais la contribution du Canada ne se limite pas à la fourniture de matières premières. En effet, les physiciens du CNRC sont directement impliqués dans la recherche atomique et participent notamment au projet Manhattan. Les recherches menées dans un laboratoire de Montréal donnent lieu à des innovations liées à la diffusion gazeuse et à la séparation du plutonium. Un autre complexe de recherche situé à Chalk River supervise la production de la matière fissile utilisée dans les armes nucléaires. D’une grande efficacité, le site produit du plutonium trois fois plus vite que les réacteurs américains. D’autres armes dévastatrices, y compris des armes biologiques et chimiques, seront également étudiées avec grand intérêt. Si les commandants alliés n’ont pas l’intention d’utiliser de telles armes, ils estiment que leur simple détention constitue une forme de dissuasion.

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Intérieur de l’un des bâtiments des Laboratoires nucléaires de Chalk River, 1945. (Photo : Conseil national de recherches Canada)

Le CNRC ne mène pas seulement des projets à visée destructive : la médecine fait également partie de ses champs d’études. De nombreuses découvertes sont ainsi réalisées dans les domaines des antitoxines, de l’immunisation, de la médecine aéronautique, des substituts sanguins, de la recherche sur les chocs émotionnels et de la nutrition. L’avancée la plus marquante est sans doute le développement de la pénicilline. Les propriétés antibactériennes et la très faible toxicité de cette substance sont observées par le biologiste écossais Alexander Fleming dès l’entre-deux-guerres, mais les méthodes de production qu’il emploie nécessitent des quantités irréalistes. Le département de pathologie et de bactériologie de l’Université de Toronto commence ses recherches sur la pénicilline en 1941. Ces recherches seront ensuite approfondies grâce aux financements du CNRC, avec l’objectif principal de mettre au point une méthode de production efficace de la pénicilline aux Connaught Medical Research Laboratories de Toronto. Les efforts conjugués des chercheurs canadiens, britanniques et américains aboutiront à la simplification de la production de pénicilline à forte dose, et donc à son industrialisation à grande échelle. À n’en point douter, les millions de doses de pénicilline dont disposent les alliés sauveront d’innombrables vies lors du débarquement de Normandie.